Le grand tournant

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

Je veux attirer votre attention sur une première dans l’histoire de l’humanité : sans guerre ni épidémie grave, un pays, et pas n’importe lequel, a vu, en 2005, sa population non pas augmenter en nombre, mais commencer à décliner.
Ce pays, c’est le Japon, deuxième économie mondiale et, avec 127 millions d’habitants, la dixième nation par la population.
Précises et implacables, les statistiques nous apprennent qu’il y a eu au Japon, en 2005, plus de décès que de naissances et, par conséquent, quelque vingt mille Japonais de moins à la fin de l’année.
D’accord avec ceux des autres pays et de l’ONU, les démographes japonais estiment que ce déclin est inexorable et qu’il va aller en s’accentuant. Selon leurs prévisions, les Japonais seront moins de 100 millions en 2050 et passeront sous la barre des 50 millions vers 2100.
Cette spectaculaire inversion de tendance donne le vertige.

C’est que, très bien soignés et convenablement nourris, les Japonais bénéficient déjà de l’espérance de vie la plus élevée au monde : 77 ans pour les hommes et 84 ans pour les femmes en 2004.
Il en découle que le nombre de morts par an diminuera peu.
Ce sont les naissances qui font, et feront, défaut. Le baby-boom japonais de l’après-Seconde Guerre mondiale n’est plus qu’un lointain souvenir, et le taux de fécondité des Japonaises est désormais l’un des plus bas du monde : moins de 1,3 alors qu’il devrait être égal ou supérieur à 2,1 pour assurer le renouvellement des générations et le maintien de la population à son niveau.
Espérance de vie la plus élevée du monde et taux de fécondité parmi les plus bas de la planète conjuguent donc leurs effets pour conduire le Japon à être le premier pays à connaître un déclin démographique impressionnant et qui s’accompagne d’un vieillissement continu de la population : dans très peu d’années, au Japon, près d’un tiers de la population aura 65 ans et plus, dont 20 % de plus de 75 ans…

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Ce n’est pas tout, car les Japonais ont une autre spécificité qui aggrave leur situation démographique : habitant un archipel, ils ont développé une mentalité d’insulaires, vivent repliés sur eux-mêmes et sont très peu réceptifs à l’immigration.
Le nombre et le taux des étrangers installés au Japon sont les plus faibles du monde (quelque 2 millions de personnes, soit 1,5 % de la population). Moins nombreux encore sont ceux parmi eux qui se mélangent aux autochtones par le mariage ou s’enracinent par la naturalisation.
L’ensemble des facteurs ci-dessus font du Japon un cas extrême et… un précurseur, car d’autres pays, dont l’Allemagne, troisième puissance économique mondiale, et l’Italie, sont sur le point de prendre le même chemin.
La Russie voit, elle aussi, sa population décroître, à cause de la baisse de la natalité mais aussi du fait de la surmortalité : sida, alcoolémie, dégradation du système de santé.

On sait que le nombre d’êtres humains est passé de 5 millions environ il y a dix mille ans à 6,5 milliards en 2005 : il a donc doublé une douzaine de fois, et de plus en plus vite. Nous étions 1 milliard en 1802, 2 milliards en 1927 (125 ans après), 3 milliards en 1961 (34 ans après) et 4 milliards en 1974 (13 ans après).
On sait aussi que ce rythme de croissance a culminé au XXe siècle, que la population mondiale augmente encore de 80 millions par an et que cette augmentation se fait, pour l’essentiel ou la quasi-totalité, en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
On sait, enfin, qu’il n’y aura plus jamais de doublement : vers le milieu de ce siècle, les humains seront quelque 9 milliards, leur nombre se stabilisera à ce pic, avant de commencer à diminuer au prochain siècle (voir tableau).
D’ici là, à des degrés divers et plus ou moins vite, tous les pays connaîtront une élévation de l’âge moyen de la population, son vieillissement*. Comment géreront-ils ce changement structurel ?

La planète sera-t-elle surpeuplée lorsqu’elle comptera 9 milliards d’êtres humains ? Pourra-t-elle supporter 2 milliards et demi d’êtres humains de plus et les faire vivre ?
L’Asie, où « le combat pour l’espace et la nourriture » est déjà engagé, sera-t-elle avantagée ou handicapée par le fait d’avoir la densité de population au km2 la plus élevée et d’abriter plus de 50 % de la population de la planète ? Les grandes villes chinoises et indiennes, qui auront 20, 30 ou même 50 millions d’habitants, pourront-elles fonctionner ?

Depuis qu’ils existent, et plus particulièrement au cours des deux derniers siècles, les hommes ont donc connu une longue période de croissance démographique, aussi régulière qu’ininterrompue.
Avec des pyramides des âges à bases très larges, car fondées sur une population jeune très nombreuse.
L’ère dans laquelle est entré le Japon en 2005 est caractérisée par une extraordinaire inversion de tendance. Si j’ai choisi d’y consacrer cette première chronique de 2006 et d’attirer votre attention sur ce « grand tournant », c’est qu’il intéresse l’humanité tout entière.
Le Japon n’est, je l’ai dit, qu’un précurseur. Il nous faut donc observer la manière dont les Japonais vont négocier ce tournant démographique et résoudre les formidables problèmes qu’il va leur poser, car leurs problèmes de demain sont nos problèmes d’après-demain.

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*Selon les calculs des Nations unies, la part des 60 ans et plus est actuellement de 10 % dans la population mondiale et de 20,2 % en Europe. Mais, en 2040, elle devrait monter à 21,4 % dans le monde et à 35,1 % en Europe.
Sur la même période, l’âge médian (qui divise la population en deux parties égales) devrait augmenter de 26,4 à 36,8 ans dans le monde et de 37,7 à 47,7 ans en Europe.

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