Le blues des PME

Inerties administratives, pénurie de financements, poids du commerce illicite… Les petits patrons sont à la peine.

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

Avec vingt-quatre stations-service à travers le pays, la société camerounaise First Oil détient seulement 5 % du marché national de la distribution de carburant. Loin derrière les mastodontes Total, Texaco, Shell et Mobil. « La population augmente, le parc automobile progresse, les villes s’agrandissent, il y a donc de la place pour tout le monde, résume le PDG de First Oil, Yonn Lissom. Nous n’avons aucun problème commercial. En revanche, nous nous heurtons aux inerties administratives et à une pénurie de financement. De ce fait, nous n’avons pas pu assurer la régularité de nos approvisionnements, et des ouvertures de stations ont été reportées. » First Oil, créée en 2000, a bataillé deux longues années pour obtenir son agrément. Entre-temps, « une partie du capital a été mangée ». Depuis 2002, le chiffre d’affaires était en hausse, mais en 2005, il devrait reculer, à 12 milliards de F CFA. « Les banques camerounaises refusent de nous soutenir, car nous n’avons pas d’actionnaires étrangers », regrette Yonn Lissom, qui espère convaincre un fonds de placement américain. Un contretemps d’autant plus dommageable que les prix de l’essence à la pompe ont augmenté en moyenne de 30 % depuis 2003. Autant de marges qui échappent à First Oil.
Excepté l’activité pétrolière, « pratiquement tous les secteurs se sont mal comportés durant le premier semestre 2005, avec une baisse de la production industrielle, une contraction des échanges commerciaux et une stagnation des activités commerce, distribution et services », note le Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam). Le secrétaire exécutif de l’organisation, Martin Abega, demande instamment des mesures fiscales incitatives pour relancer l’économie du pays. Il en appelle aussi à une lutte implacable contre le commerce illicite qui génère des pertes annuelles dépassant 65 milliards de F CFA. « Tout le reste n’est que bavardage », tranche-t-il.
« Nous sommes revenus dans une zone de turbulences », estime pour sa part Philippe Fallet, président du Club d’affaires franco-camerounais (Cafcam), qui revendique deux cents membres. « Bon nombre de sociétés françaises réduisent leurs activités et certaines licencient, constate-t-il. Tout le monde attend le « point magique », le point d’achèvement de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés [PTTE], pour réinvestir. Mais, au-delà de la décision du Fonds monétaire international [FMI] et les annulations de la dette qui doivent en découler, il faut renouer avec la confiance. C’est loin d’être le cas. »
Les milieux d’affaires reconnaissent aussi que le Cameroun subit « le contrecoup de l’effet pipeline ». Pour acheminer à Kribi le pétrole tchadien en provenance des champs de Doba, ce chantier gigantesque a attiré de nombreux investisseurs. Une fois le projet terminé, en 2004, ceux-ci sont repartis. Le directeur général de l’hôtel Ibis de Douala, Dominique Delahousse, enregistre depuis une baisse du taux d’occupation. « C’est surtout le cas pour notre clientèle camerounaise et européenne », précise-t-il.
« Si les grosses entreprises connaissent une baisse d’activité, il y a un bon millier de petites et moyennes entreprises [PME] camerounaises qui relèvent la tête. Elles sont sur une dynamique plus positive », constate, au contraire, Pierre Zumbach, délégué général du Salon international de l’entreprise (Promote), qui s’est déroulé du 6 au 12 décembre à Yaoundé. Sur les 920 exposants inscrits, la plupart étaient des PME. « Mais il faut les soutenir, insiste-t-il, et répondre à leurs préoccupations. » Les délais pour créer une société sont trop longs, l’accès au financement est difficile, les banques étant trop restrictives. Du coup, beaucoup de petits patrons demandent conseil pour contourner les obstacles. Si ces derniers sont levés, le potentiel existe au Cameroun. Selon Zumbach, les gisements de croissance et d’emplois se trouvent d’abord dans la petite industrie, l’agriculture et le tourisme.
Pour que le Cameroun puisse se doter d’une économie structurée et équilibrée, il faudrait aussi réduire le périmètre du secteur informel, qui pèse au moins 60 % du PIB national. « C’est la seule façon pour moi de nourrir ma famille, déclare Edgar, un marchand de pièces automobiles à Douala. S’il y avait moins de tracasseries, j’accepterais de déclarer mon activité. »

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