France-Émirats : pourquoi Macron et MBZ se sont vus à Fontainebleau
En visite en France, le prince héritier émirati Mohammed Ben Zayed a déjeuné, lundi 20 septembre à Fontainebleau, avec le président Emmanuel Macron. Un nouveau signe de la proximité qu’entretient Paris, depuis plusieurs décennies, avec les Émirats arabes unis.
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Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).
Publié le 22 septembre 2021 Lecture : 4 minutes.
La visite en France du prince héritier émirati Cheikh Khalifa Ben Zayed Al Nahyan en ce début de semaine, et le déjeuner au château de Fontainebleau avec le président Macron, n’a été que le nouveau chapitre d’une relation sulfureuse entre les deux pays. Elle dépasse largement le mécénat des Émirats arabes unis : le théâtre impérial, commandé par Napoléon III, a été rebaptisé pour l’occasion du nom de l’actuel président. Derrière ce théâtre d’opérations culturelles émiraties, se cache un véritable théâtre d’opérations géopolitique et militaire.
C’est dans ce château même de Fontainebleau que Napoléon a abdiqué le 4 avril 1814 avant de rejoindre Sainte-Hélène. Tombé dans l’oubli pendant plus d’un siècle, il a été ressuscité grâce au soutien financier à hauteur de 10 millions d’euros d’Abu Dhabi. De là à renommer le théâtre ?
Relation stratégique ancienne
Au fond, la relation unissant la France et les Émirats arabes unis (EAU) n’est pas uniquement culturelle, c’est encore moins une relation dégagée de tout intérêt politique mutuel. Il s’agit d’une stratégie ancienne. La coopération franco-émiratie prend des formes diverses, elle s’est renforcée dans le domaine militaire depuis des décennies. En 1977, un accord militaire était conclu entre les deux pays : les premiers équipements français seront livrés aux Émirats (chars, Mirage).
Les contrats d’armements qui allaient se succéder dans les années 1990 – 388 chars Leclerc ont en particulier été livrés entre 1993 et 2003 – témoignent de liens étroits. Les Émirats arabes unis sont devenus « un partenaire stratégique-clé » de la France au Moyen-Orient lors d’une alliance scellée après la première Guerre du Golfe en janvier 1991. Le 18 janvier 1995, un accord de défense se situait à plusieurs niveaux. Étaient mis en place un « dialogue stratégique » et une « défense aérienne élargie » prévoyant le recours à l’intervention de l’armée française pour défendre les Émirats arabes unis en cas d’agression extérieure venant potentiellement de l’autre rive du Golfe, entendez l’Iran ou l’Irak.
La coopération franco-émiratie prend des formes diverses. Elle s’est renforcée dans le domaine militaire depuis 1977
La coopération militaire visait à approfondir l’emploi commun des forces, ce qui était déjà le cas dans plusieurs domaines. La marine nationale, dont le porte-avions Charles de Gaulle, effectue une trentaine d’escales au port Mina Zayed à Abu Dhabi. Des exercices bilatéraux sont régulièrement organisés. En février-mars 2008, celui appelé « bouclier du Golfe Persique 2008 » a rassemblé des unités françaises, émiraties et qataries (1 800 hommes au total dont 400 Français) pour des grandes manœuvres d’entraînement dans l’ouest des Émirats arabes unis.
Ainsi les relations militaires illustrent-elles déjà de solides échanges entre les deux pays. En juillet 2007, à la suite d’une demande émirienne, la France s’était engagée à développer une présence militaire permanente dans cette pétromonarchie. Les bonnes relations franchirent une nouvelle étape le 15 janvier 2008 : lors de la visite du président Sarkozy à Abu Dhabi, un accord pour l’installation d’une nouvelle base militaire permanente à Abu Dhabi était conclu, de façon que « la France participe à la stabilité de cette région du monde ». C’est à ce jour la seule base dont dispose Paris dans le monde.
Maintenir une place de choix pour la France
Ce partenariat d’exception s’est encore renforcé avec le président Emmanuel Macron, la rencontre du 20 septembre en est une nouvelle preuve. Cette alliance se matérialiserait surtout en matière de lutte contre l’islamisme radical qui constitue, depuis les attentats de 2015, la priorité française en ce qui concerne la sécurité nationale, comme le président français l’avait rappelé lors de son discours de politique internationale devant la Conférence des ambassadeurs le 28 août 2017.
Ce lien limite la liberté de la France, désormais prisonnière des initiatives d’Abu Dhabi connu pour être hostile aux aspirations démocratiques
Cela explique largement l’importance des contrats d’armements signés entre les deux pays. Mais ce ne sont pas de simples calculs commerciaux, à savoir des ventes d’armes et des parts de marché, qui constituent la matrice de la politique française vis-à-vis des Émirats arabes unis. Plus exactement, la logique mercantile n’est que la traduction économique d’une politique d’ensemble visant à maintenir le statut de puissance de la France dans une zone où se jouent, comme pour d’autres, sa sécurité énergétique et son avenir.
Olivier Da Lage, journaliste à RFI, revient sur le dangereux numéro d’équilibriste de nos dirigeants que l’on observe depuis des années entre des pays aujourd’hui sous tension : « Nicolas Sarkozy s’appuyait sur le Qatar, François Hollande sur l’Arabie Saoudite. À son tour, Emmanuel Macron a marqué sa différence en renforçant les liens avec les Émirats sans pour autant rompre avec le Qatar, ni avec l’Arabie Saoudite. Tout est affaire de degré. »
Mais cela limite aussi la liberté d’action de la France qui est désormais prisonnière des initiatives d’Abu Dhabi. En effet, MBZ a tué tout espoir de démocratisation dans la région en soutenant des militaires et des hommes autoritaires chargés de restaurer l’ordre contre la révolution. Ainsi, toutes les évolutions nées des « printemps arabes » dans la région ne sont qu’un lointain souvenir, et c’est en partie dû à l’influence que les Émirats ont exercée dans tout le nord du continent africain. Mais pas seulement : il y a le cas tragique du Yémen.
Les matériels de guerre français vendus aux EAU ont été largement employés dans la guerre contre les Houthis au Yémen (avec près de 300 000 victimes civiles), ce qui a placé le gouvernement français en porte-à-faux. Après les échanges démontrant sa proximité avec MBZ, Emmanuel Macron avait, il y a quelques temps, donné l’impression de prendre un peu de distance, du moins en public, à mesure que le rôle de la France dans le conflit yéménite devenait un élément du débat dans le pays et sur la scène internationale. Mais ces faux-semblants sont déjà, comme on l’a vu lundi, une affaire ancienne. Business as usual ! Ou « Mon théâtre contre un Empire ».
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