Rwanda, Cameroun, Nigeria… S’unir ou périr

Vingt-sept ans après le génocide, Kigali créé un ministère de l’Unité nationale et de l’Engagement civique. Preuve qu’au Rwanda comme au Cameroun, au Nigeria ou en Éthiopie, les rancœurs du passé menacent toujours la cohésion sociale.

Commémoration du génocide des Tutsi, à Kigali, en avril 2019 © Ben Curtis/AP/SIPA

Commémoration du génocide des Tutsi, à Kigali, en avril 2019 © Ben Curtis/AP/SIPA

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Publié le 30 septembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Il y a quelque chose d’étonnant avec le Rwanda. Il s’y passe toujours quelque chose. Ce pays est souvent, pour le meilleur ou le pire, à la une de l’actualité. Pourtant, vu de l’intérieur, on a le sentiment que l’essentiel passe au travers des radars médiatiques. Récemment, par exemple, le gouvernement a annoncé la création d’un ministère de l’Unité nationale et de l’Engagement civique. L’information a été relativement peu commentée à l’extérieur du pays. Il est vrai que le décès de la star locale du rap « Jay Polly » à la même période dans un hôpital de Kigali, où il avait été conduit en urgence alors qu’il était détenu depuis plusieurs mois dans un établissement pénitentiaire, constituait, pour les pourfendeurs du pouvoir rwandais, une occasion de tirer une nouvelle fois à boulets rouges sur un régime qui provoque chez certains une aversion irrationnelle.

Pourtant, la question de l’unité nationale est centrale dans le projet de transformation du Rwanda. Elle a occupé l’esprit des architectes de sa renaissance après le génocide perpétré contre les Tutsi. Les fameuses « discussions du village Urugwiro » qui, entre mai 1998 et mars 1999, réunirent toutes les forces vives d’une nation pas totalement pacifiée pour plancher sur les fondements de la reconstruction, identifièrent « l’unité nationale » comme l’un des socles du nouveau Rwanda. La nouvelle Constitution consacra « l’unité » comme l’un des « piliers du développement ».

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Comment « faire nation » ?

L’impératif de l’unité répondait évidemment à l’histoire récente : l’instrumentalisation politique des divisions avait conduit le pays au bord de l’anéantissement. L’enjeu, sur le papier, était simple : s’unir ou périr. Dans les faits, c’était une autre histoire : comment « faire nation » avec des compatriotes dont une partie avait été actrice du génocide ? Comment faire émerger une communauté de destin dans un pays qui, depuis son indépendance, s’était précisément bâti sur l’idée de destins irréconciliables ?

Les fondateurs du nouveau Rwanda avaient visiblement conscience de la difficulté du problème. Mais ils estimaient que le pays bénéficiait d’atouts spécifiques qui, naturellement, favoriseraient l’œuvre d’unification : une langue unique, des coutumes communes, etc. Or, la présence de ces facteurs n’avait pas empêché la désintégration du pays. Dans sa fameuse conférence sur la nation, Ernest Renan rappelle à juste titre que si « la langue invite à se réunir ; elle n’y force pas. Les États-Unis et l’Angleterre, l’Amérique espagnole et l’Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation… Il y a quelque chose de supérieur à la langue : c’est la volonté ».

Puisqu’il est question de « volonté », difficile de dire que les nouvelles autorités en ont manqué dans leur objectif de réconciliation du peuple rwandais après la tragédie de 1994 : des actes de vengeance de militaires issus des rangs de l’armée du FPR ont été sanctionnés ; la mention ethnique sur les cartes d’identité a été abolie, des officiers issus de l’armée du régime génocidaire ont été intégrés à la nouvelle force, des anciens miliciens Interahamwe réfugiés dans les forêts congolaises ont été réadmis dans la société, etc.

La réconciliation n’a pas empêché le développement d’un négationnisme virulent

Et pourtant, d’une certaine manière, la création même d’un ministère consacré à l’unité nationale, vingt-sept ans après le génocide, témoigne de ce que les efforts entrepris depuis presque trois décennies ont été insuffisants. La réconciliation par la réforme du système politique n’a pas empêché le développement d’un négationnisme virulent. Mais qui aurait pu imaginer à l’époque qu’un génocide dont toutes les preuves existent aurait pu être relativisé, contextualisé, nié ? On peut penser que dans l’esprit des cadres du Front patriotique rwandais [FPR], la question de la réconciliation des mémoires historiques ne se posait pas : le génocide contre les Tutsi était une réalité objective. Mais dès lors que, contre toute attente, des mémoires s’affrontent autour de la place et du sens de cet évènement fondamental, sur quelles bases fonder « l’unité nationale » ? Dans quelle mesure l’unité peut-elle être accomplie sans un récit historique partagé ?

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Le lourd prix de l’unité

Cette question va bien au-delà du Rwanda. Au Cameroun, par exemple, la question historique est revenue au cœur du débat national avec la résurgence de « la crise anglophone ». Là aussi, l’un des enjeux est celui du récit national – et donc de l’unité du pays : peut-il y avoir cohésion nationale sans mémoire historique nationale ? Quel contrat social dans un climat de rancœurs historiques ? Au Nigeria, la parenthèse ouverte par la guerre du Biafra n’a jamais été refermée ; l’héritage de cette tragédie pose toujours la question de l’unité du pays, d’autant plus que, entre-temps, d’autres considérations politico-historiques ont conduit à l’émergence de revendications sécessionnistes dans diverses autres régions du territoire. Et que dire de l’Éthiopie, dont une terrible guerre civile menace la survie ?

Constituer une nation est difficile. Le prix de « l’unité » est souvent lourd. C’est peut-être la raison pour laquelle les gouvernements confrontés à des problèmes de cohésion nationale choisissent soit de fermer les yeux, soit d’instrumentaliser les divisions – souvent pour le pire. En raison de son histoire, le Rwanda n’a pas d’autre choix que celui d’affronter le problème, puis d’y apporter une solution – et peut-être, comme dans d’autres domaines, d’inspirer le continent.

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