Crise politique en Somalie : Farmajo-Roble, dangereux duel au sommet de l’État

Depuis son intronisation à la tête du gouvernement en septembre 2020, Mohamed Hussein Roble n’a cessé de faire de l’ombre au président Farmajo. Au point de provoquer une crise ouverte entre les deux têtes de l’exécutif.

Le Premier ministre Mohamed Hussein Roble à gauche et le président Farmajo à droite. © Montage JA : Somalian Presidency/Anadolu Agency/AFP ; SADAQ MOHAMED/Anadolu Agency/AFP

Le Premier ministre Mohamed Hussein Roble à gauche et le président Farmajo à droite. © Montage JA : Somalian Presidency/Anadolu Agency/AFP ; SADAQ MOHAMED/Anadolu Agency/AFP

Publié le 29 septembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Si les tensions montaient depuis plusieurs semaines entre le président, Mohamed Abdullahi Mohamed – dit « Farmajo » –, et son Premier ministre, Mohamed Hussein Roble, le point de rupture est intervenu à la suite de la disparition mystérieuse d’une agente de la National Intelligence and Service Agency (NISA), les services de renseignement somaliens. Le 26 juin dernier, Ikran Tahlil Farah, une cyber-experte âgée de 25 ans, était enlevée près de son domicile, à Mogadiscio, avant d’être torturée puis assassinée.

Début septembre, le Premier ministre s’inquiète auprès de Fahad Yasin, le patron de la NISA, de l’absence d’avancées dans l’enquête sur la mort de la jeune femme. Il doute fortement du rapport des services qui attribuent l’assassinat aux Shebab ; ces derniers ont, fait suffisamment rare pour être relevé, publié un communiqué niant leur implication dans l’affaire. Mohamed Hussein Roble tape du poing sur la table, et donne quarante-huit heures au chef des services de renseignement pour produire un nouveau rapport circonstancié. Mais ce dernier, en plus de ne pas s’exécuter, en appelle directement à l’arbitrage du président, dont il est proche.

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Guerre de position

Roble, piqué au vif, annonce le 6 septembre la suspension de Fahad Yassin. Farmajo, lui, prend fait et cause pour le puissant patron des services, qu’il promeut au poste de conseiller à la sécurité nationale. Cette guerre de position connaît un nouveau rebondissement deux jours plus tard, le 8 septembre, lorsque le Premier ministre limoge le ministre de la Sécurité intérieure, Hassan Hundubey Jimale – un allié de Farmajo –, pour nommer à sa place Abdullah Mohamed Nour, notoirement opposé au président somalien. Cinq jours plus tard, il annonce le gel de l’utilisation des fonds publics, réclamant au ministère des Finances de demander son imprimatur pour la moindre dépense, affirmant agir ainsi afin « d’accorder plus d’attention au processus de décaissement et d’utilisation des Droits de tirage spéciaux du FMI [DTS] »… 

Le Roble de septembre 2020 n’est plus le même que le Roble d’aujourd’hui

Le 16, l’escalade atteint un point de non-retour : Farmajo suspend de ses fonctions exécutives son Premier ministre, qu’il accuse d’avoir pris des décisions contraires à la Constitution. Ainsi, le Premier ministre reste en poste mais perd ses pouvoirs de destitution et de nomination de dirigeants jusqu’à la présidentielle, annonce le communiqué officiel. Un scrutin dont la tenue a, de nouveau, fait les frais de la bataille qui se joue au sommet de l’État.

Le mandat de Farmajo, élu par le Parlement en 2017, devait théoriquement se terminer en février dernier. Mais les violents affrontements qui faisaient alors rage à Mogasdiscio ont empêché la tenue du scrutin. En avril, le président avait décrété la prolongation de son mandat pour deux ans, au grand dam de la communauté internationale. Un mois plus tard, le 27 mai, au terme d’âpres négociations entre le Premier ministre et les leaders des cinq régions semi-autonomes du pays, un accord avait été trouvé, en vue de la tenue, le 11 octobre prochain, d’élections « libres et équitables » – les premières depuis la prise de pouvoir par le général Siad Barre en 1969. Mais le 4 septembre, le scrutin présidentiel a été reporté sine die par la Commission électorale fédérale, qui n’a pas donné les raisons de ce report.

La trajectoire ascendante de Roble

En nommant Mohamed Hussein Roble à la primature, en septembre 2020, Mohamed Abdullahi Mohamed était cependant sûr d’avoir trouvé l’homme de la situation. Réputé homme de consensus, Roble bénéficie de puissants soutiens au sein de l’opposition. Nouveau venu en politique, il affichait en outre des positions fédéralistes à même de séduire les leaders des régions autonomes. Dans la ligne de mire du Premier ministre fraîchement nommé : l’organisation des élections générales. Mais « le Roble de septembre 2020 n’est plus le même que le Roble d’aujourd’hui », résume Robert Kluijver, chercheur affilié au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po. « Farmajo a choisi Roble en s’attendant à ce qu’il ne fasse pas de vagues, mais il s’est trompé. Au fil des mois à la tête du gouvernement, Roble a pris de l’épaisseur », analyse le chercheur.

Roble s’est attiré la sympathie de la population en clamant qu’il ne se porterait pas candidat, estime le chercheur Roland Marchal

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Roble a notamment fait entendre sa voix sur la scène internationale et n’a eu de cesse de prendre des positions contraires à celles défendues par son président. Farmajo a adopté une posture très nationaliste, allant même jusqu’à la rupture des relations diplomatiques avec le Kenya, en décembre 2020, sur l’épineux dossier des régions du Jubaland et du Somaliland, réfractaires au pouvoir central de Mogadiscio. Après la reprise, timide des relations entre les deux pays en juin dernier, « Roble a rencontré des émissaires kényans, britanniques et américains à Londres, à qui il a fait de nombreuses promesses concernant la recherche d’une solution au conflit avec le Kenya, et sur l’organisation future d’élections », note Roland Marchal, chercheur lui aussi au CERI. 

Ces divergences politiques avec le président, plutôt que d’affaiblir Roble, l’ont au contraire renforcé. « Roble est sur une trajectoire ascendante. Il s’est attiré la sympathie de la population en clamant qu’il ne se porterait pas candidat. A contrario, le mandat de Farmajo est clairement marqué par une dérive autoritaire », estime Roland Marchal. Mohamed Hussein Roble a-t-il le fauteuil de Farmajo en ligne de mire ? « Pour l’instant, il n’a pas les moyens financiers pour se présenter. Mais dans quatre ans, il sera prêt », estime le chercheur.

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