Jetez-moi au trou, je suis innocent…

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

C’est une histoire très curieuse qui s’est passée dans un tribunal hollandais. On y jugeait une affaire de cambriolage, entre délinquance et criminalité. Dans le box des accusés, trois jeunes Marocains, trois désoeuvrés à la recherche d’une fortune vite faite, trois paumés qui ont peut-être vu trop de films.
La séance se déroulait normalement, avec les questions de la cour, les interventions des avocats, enfin, tout le bataclan judiciaire bien connu. Tout cela allait son petit bonhomme de chemin et l’issue ne faisait aucun doute. Le trio de malfrats allait écoper d’une peine de quelques années de prison, charge à eux de se réformer pour se réintégrer un jour dans la société.
Dans la salle, au milieu du public, était assis un quatrième jeune homme, lui aussi marocain, mais qui n’était là qu’en tant que témoin. Appelons-le Driss. Lorsqu’il fut appelé à donner son témoignage, Driss commença à répondre normalement aux questions du président du tribunal. Oui, j’ai entendu parler du casse. Non, je ne suis pas sûr que les trois accusés en soient les auteurs.
Et puis soudain, il se passe quelque chose d’extraordinaire. Driss, le témoin donc, s’arrête, regarde le président et les assesseurs, se tourne vers le public, puis il s’éclaircit la voix et déclare :
– J’ai une confession à faire.
Et voilà qu’il affirme qu’il n’était pas un vague témoin anonyme du cambriolage mais qu’il faisait partie de la bande et qu’il avait participé aux préparatifs puis à l’exécution du mauvais coup.
Le président de la cour est très étonné. Il ordonne donc illico l’arrestation de Driss qui, de témoin, se retrouve donc accusé. Le président, un peu perplexe, félicite le jeune homme d’avoir écouté sa conscience et d’avoir spontanément reconnu une culpabilité que personne ne soupçonnait. Il faut dire que ses trois complices, ayant ce sens de l’honneur dont certains bandits se font gloire, ne l’avaient, à aucun moment de l’enquête, mouillé dans l’affaire.
Alors – que s’est-il passé ce jour-là dans la salle de tribunal ?
On peut évidemment croire comme le président qu’il s’agit d’une question de conscience ; mais s’agissant d’un jeune délinquant qui n’en est pas à son premier mauvais coup, ce n’est pas très convaincant.
Certains journalistes ont parlé de « comportement de groupe » ou même de meute, ce qui est à la limite de la diffamation. Le jeune Driss, comme les loups, ne supportait pas d’être séparé de ses petits camarades. Moi je veux bien. Mais d’ici à aller au violon juste pour continuer de faire wouf-wouf avec les autres louveteaux…
D’autres ont parlé d’une sorte de code d’honneur. Peut-être que ce sont des moeurs maffieuses, on ne laisse pas ses petits camarades faire un séjour à l’ombre en profitant soi-même des douceurs de l’été indien.
En fait, il y a une autre hypothèse, bien plus extraordinaire. Durant tout le procès, la cour a fait appel à des experts, des experts en psychologie des adolescents, en sociologie de l’immigration, en « difficulté d’être entre deux cultures ». Bref, les experts étaient en train de prouver par a + b que le comportement des trois cambrioleurs était le résultat de circonstances dont ils n’étaient pas vraiment responsables. En fait, à mesure que les dépositions d’experts se succédaient, les trois petits gibiers de potence étaient en train de se transformer en trois petits anges. Mais pas Driss ! Parce que lui, assis parmi le public, personne ne s’intéressait à son cas. Aucune tête d’oeuf bardée de diplômes ne venait expliquer à quel point, au fond, c’était un gentil garçon. Il n’était qu’un visage anonyme dans la foule. D’où sans doute une frustration intense, parce que lui aussi aurait voulu qu’on le lavât de tous ses péchés, même si personne ne les connaissait. Au moment où il fut appelé à témoigner, quelque chose a dû se rompre en lui. Comment prouver qu’il avait un bon fond mais que c’était la société qui l’avait fait graine de délinquant ? D’où sa confession.
Le résultat est tout de même assez paradoxal. Driss est en prison au lieu d’être chez lui, mais au moins chacun sait qu’il n’a rien à se reprocher. Paroles d’expert…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires