Pourquoi l’Algérie se réfugie derrière un « complot marocain »
Fin août, Alger a rompu ses relations diplomatiques avec Rabat, accusant son voisin de vouloir déstabiliser le pays. Mais cette décision est surtout motivée par les déconvenues du régime algérien…
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Samir Bennis
Analyste politique, cofondateur de Morocco World News, Washington
Publié le 23 septembre 2021 Lecture : 5 minutes.
La décision est intervenue cinq jours seulement après que le Haut conseil de sécurité algérien a recommandé une révision des relations entre Alger et Rabat. Le 24 août dernier, Ramtane Lamamra a annoncé la décision de son pays de rompre ses liens diplomatiques avec le Maroc. Le ministre algérien des Affaires étrangères a accusé le voisin de « soutenir les organisations terroristes » à l’origine des incendies de forêt qui ont récemment ravagé la Kabylie. Il a également accusé le gouvernement marocain d’être en connivence avec « l’entité sioniste » pour déstabiliser l’Algérie.
Tentative de diversion
Pour les Marocains, cette soudaine annonce n’est que l’aboutissement d’une longue tradition perfectionnée par les responsables algériens pendant des décennies : s’attaquer au royaume pour mieux détourner les critiques dont ils font l’objet et stimuler le nationalisme de circonstance. La rupture des liens et les allégations non fondées autour d’un « complot » marocain contre l’Algérie n’ont donc à leur yeux rien de surprenants.
Reste que cette décision intervient un mois à peine après l’appel lancé par le roi Mohammed VI dans son discours du Trône en faveur de l’ouverture des frontières et du dialogue. Deux semaines plus tard, le monarque a d’ailleurs tenu sa promesse de solidarité régionale en donnant l’ordre à son gouvernement de mobiliser deux avions bombardiers d’eau pour voler au secours de son voisin en proie aux incendies.
Les Algériens martèlent que le Maroc serait engagé dans un complot avec « l’entité sioniste » et le MAK
Mais ce dernier a décliné l’offre, préférant demander l’aide de la France et de l’Espagne. Et la classe politique et médiatique algérienne a multiplié les attaques contre le Maroc, mettant en doute la sincérité des bonnes intentions de Mohammed VI. De nombreux reportages et éditoriaux ont accusé Rabat d’avoir orchestré une grande partie de tout ce qui a mal tourné en Algérie au cours des derniers mois, en particulier les incendies de forêt et la montée en puissance des organisations antisystèmes. La théorie la plus révélatrice, relayée sans relâche dans la presse et les cercles politiques, affirme que le Maroc serait engagé dans un complot avec « l’entité sioniste » et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) pour déstabiliser l’Algérie.
Ce contexte a préparé le terrain pour l’annonce de Ramtane Lamamra. Mais la rapidité avec laquelle Alger a conclu que les incendies avaient été causés par des activistes kabyles parrainés par Rabat – sans prendre le temps de mener une enquête digne de ce nom et sans présenter d’éléments tangibles – en dit plus sur les intentions du régime algérien que sur le prétendu agenda déstabilisateur du Maroc. À court d’arguments pour contrer les avancées diplomatiques croissantes du Maroc et répondre aux attentes légitimes d’un peuple algérien désenchanté, l’establishment d’Alger a tenté de faire diversion. Il a voulu profiter de cette catastrophe pour faire oublier ses récents revers diplomatiques et la longue crise post-Bouteflika et pour galvaniser l’opinion publique autour d’une haine partagée des « ennemis du peuple ».
Frustrations et acharnement
Certes, la décision algérienne de rompre les liens avec le Maroc est à bien des égards un non-événement, puisque les relations diplomatiques entre les deux pays sont restées gelées pendant la majeure partie des 27 dernières années. Les frontières sont fermées depuis 1994, les échanges commerciaux demeurent insignifiants et il n’y a pas eu de visites d’État de haut niveau depuis 2012.
C’est l’emprise grandissante du Maroc sur la diplomatie du Sahara qui motive l’État algérien
L’Algérie voulait que cette annonce de rupture diplomatique soit fracassante. Mais vue du Maroc, elle apparaît anodine et semble être une façon de dire, que malgré la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara et le dénouement de la crise de Guerguerate en novembre 2020 – deux événements qui ont considérablement fait pencher la balance en faveur du Maroc et qui en ont frustré plus d’un à Alger –, l’Algérie n’a pas encore dit son dernier mot quant au rapport de forces régional. Il est très plausible qu’Alger ait graduellement pris la décision de rompre les liens avec le Maroc lorsqu’il est devenu évident que l’administration Biden n’annulerait pas la décision de son prédécesseur sur la marocanité du Sahara. Mais il fallait, pour mieux ranimer la fibre nationaliste, attendre un moment propice pour faire l’annonce. Les incendies d’août dernier étaient l’occasion attendue.
Autre élément révélateur : si l’Algérie reproche au Maroc de normaliser ses relations avec Israël, elle est restée curieusement silencieuse sur les décisions similaires prises par les Émirats Arabes Unis, Bahreïn et le Soudan. On peut donc affirmer sans risque de se tromper que plutôt que la défense de la cause palestinienne, c’est l’emprise grandissante et graduellement irréversible du Maroc sur la diplomatie du Sahara qui est le moteur de l’acharnement manifeste de l’État algérien.
Deux poids, deux mesures
C’est dans ce contexte tendu que Omar Hilale, le représentant marocain aux Nations Unies, adressait, en juillet dernier, une lettre-réponse au secrétaire général du Mouvement des non-Alignés. En réponse à l’activisme diplomatique de l’Algérie en faveur du Front Polisario contre l’intégrité territoriale du Maroc, il soulignait notamment le deux poids, deux mesures du gouvernement algérien sur la question de l’autodétermination. Pour le diplomate marocain, l’Algérie, qui refuse à la Kabylie les mêmes droits qu’elle réclame pour le Sahara, ne mérite pas qu’on la prenne au sérieux lorsqu’elle demande d’être perçue ou définie comme un défenseur inconditionnel du droit à l’autodétermination des peuples opprimés.
L’Algérie s’est peut-être tiré une balle dans le pied en plaçant cette rivalité sur le devant de la scène
La réponse d’Alger à cette lettre sera prompte et agressive. « Déclaration de guerre » – tel sera le verdict unanime des médias et partis politiques algériens qui, d’une même voix, annonceront ainsi l’escalade à venir. Mais plutôt que de surenchérir, le roi Mohammed VI a utilisé son discours du Trône pour promouvoir le dialogue, exhorter les dirigeants algériens à surmonter l’impasse qui n’a que trop duré entre les deux pays.
L’allocution royale semble avoir pris l’establishment algérien au dépourvu ; d’autant plus que les paroles conciliantes du roi étaient très éloignées du récit que le régime algérien a fait du Maroc au cours des six dernières décennies. Elle a suggéré une voie différente et a laissé entendre que Rabat serait prêt à transcender le passé et à plaider pour la stabilité régionale et la prospérité partagée.
L’Algérie s’est peut-être tiré une balle dans le pied en plaçant la rivalité maroco-algérienne sur le devant de la scène. Ce nouveau regain de tension entre les deux pays va certainement pousser de nombreux membres de la communauté internationale à s’intéresser de plus près aux raisons sous-jacentes de ces derniers développements. À savoir, la volonté de l’Algérie d’acquérir une hégémonie incontestée en Afrique du Nord – ce qui nécessite un accès sans entrave à l’océan Atlantique, au sud du Maroc – et de faire son comeback sur la scène géopolitique du continent – ce qui nécessite de rattraper l’avancée stratégique du Maroc, ou tout simplement de troubler la fête africaine de Rabat.
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