Rencontre avec Jihad Darwiche, conteur universel

Cet amoureux de la langue, spécialiste de l’arabe et du français, a plus de trente ans de carrière à son actif. Mais il n’a rien perdu de sa verve. Entretien à Montpellier, dans le cadre du festival Arabesques.

Jihad Darwiche© LUC JENNEPIN Jihad Darwiche
© LUC JENNEPIN

Jihad Darwiche© LUC JENNEPIN Jihad Darwiche © LUC JENNEPIN

eva sauphie

Publié le 7 octobre 2021 Lecture : 4 minutes.

Ancien journaliste de radio, ex-professeur de langue arabe (université de Provence), écrivain… Jihad Darwiche a 1 001 vies. Mais c’est sans conteste dans la marmite du conte que le natif de Marwaniyé, un petit village situé dans le sud du Liban, est tombé dès son plus jeune âge. Le conte, c’est d’abord pour lui une histoire de filiation. Le virus lui a été transmis par sa mère qu’il écoutait des heures durant, avant qu’il ne transmette à son tour son amour des récits traditionnels du monde arabe, comme la très ancienne Épopée de Gilgamesh, à ses deux filles, Layla et Najoua Darwiche.

Éveil de l’imaginaire

« J’ai eu la chance d’avoir deux mamans qui étaient de belles conteuses. Ma mère, libanaise, et ma tante, palestinienne », confie-t-il sur la pelouse du festival Arabesques, qui s’est tenu à Montpellier jusqu’au 19 septembre. Dans son village, le conte était le divertissement principal. Il n’y avait rien d’autre pour éveiller l’imaginaire. « C’était notre cinéma et notre littérature à nous. Même quand les conteurs étaient illettrés, et c’était souvent le cas, ils maîtrisaient une langue poétique. J’ai reçu une formation à l’ancienne, douce et indirecte. Ma mère me corrigeait comme un artisan corrige son apprenti lorsqu’il travaille le bois », se souvient celui qui a aussi été bercé au zajal, poésie populaire libanaise.

Ma mère me corrigeait comme un artisan corrige son apprenti lorsqu’il travaille le bois

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Auteur d’une bonne vingtaine d’ouvrages, Jihad Darwiche ne pensait pas faire de sa passion un métier. Depuis 1984 pourtant, il foule les scènes du monde arabe, de la Syrie à l’Égypte en passant par la Jordanie, et est co-président du festival international du conte de Beyrouth. Si l’arabe est sa langue maternelle et de cœur, l’orateur s’est progressivement amouraché du français. « Tous mes personnages arrivaient de droite à gauche, puis j’ai eu un déclic en écrivant Nour et le moineau (2000, éd. L’Harmattan). L’histoire m’est d’abord venu en français.

J’aime aujourd’hui naviguer entre les deux langues, avoue celui qui se produit aussi un peu partout dans l’hexagone. Bûcheur, Jihad Darwiche passe environ deux mois à retravailler une histoire. « Lorsque je tombe amoureux d’un conte, je vais passer du temps avec lui comme je passerais du temps avec mon amoureuse. Il faut que je le côtoie et me nourrisse de lui, avant de trouver le courage de le transmettre ». Pour lui, un bon conteur est quelqu’un qui vit à cœur son histoire et qui donne l’impression d’être témoin des événements, quand bien même il serait question de fiction. Le moyen d’inviter l’auditoire à devenir à son tour présent dans l’intrigue.

Les récits qui portent des valeurs de domination et d’exploitation doivent tomber dans l’oubli

Sur la scène du théâtre Jean-Claude Carrière, au cœur du Domaine d’O, Jihad Darwiche narre les aventures extraordinaires d’animaux – peu représentés dans le répertoire des contes libanais – devant un public majoritairement composé de tout-petits. Les enfants, attentifs, jouent le jeu des devinettes, s’amusent des protagonistes. « Encore une souris », s’exclame l’un d’entre eux. « Oui, aujourd’hui, j’avais envie de mettre les souris à l’honneur », rigole le conteur. Pari réussi pour l’orateur, l’interaction est au rendez-vous. Le conte est un genre éminemment vivant, certainement pas figé dans le temps. Jihad Darwiche a d’ailleurs fait de l’actualisation des récits son fer de lance.

Langage poétique propice à la guérison

S’il existe une littérature parallèle à la tradition orale, à l’exemple des contes les plus connus du grand public comme Les Mille et une nuits, beaucoup d’entre eux ont disparu. « Je fais confiance au conte, il a su traverser des millénaires. Les récits qui meurent tout seuls sont ceux qui portent des valeurs de domination et d’exploitation de la vie humaine. Ceux-là n’ont plus lieu d’être et doivent tomber dans l’oubli », éclaire ce grand sensible aux sujets qui agitent les sociétés contemporaines comme la libération des femmes, la lutte contre l’esclavage moderne ou l’écologie. « Les contes parlent de nous et partent de questions philosophiques comme la vie, la mort, l’amour, l’amitié, l’abandon, mais aussi de problèmes beaucoup plus poignants comme l’inceste et la trahison, le tout dans un langage imagé et poétique qui permet à celui qui écoute et qui est concerné par l’histoire de l’utiliser pour guérir ».

Certains contes du monde arabe sont complètement adaptés à la culture africaine

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Outre les festivals, Jihad Darwiche s’attèle à conduire le conte là où n’a pas l’habitude de l’écouter. En marge des bibliothèques et des écoles, il intervient dans les hôpitaux pour les patients atteints d’Alzheimer et dans les prisons, comme à la maison d’arrêt de Nantes, où il se produisait la veille de son passage dans le sud de la France. Des lieux différents des salles de spectacles qui lui permettent de créer un échange après chaque prestation.

Pour que la tradition perdure, Jihad Darwiche forme les futurs conteurs. Très attaché au continent africain, il est à l’initiative de plusieurs festivals, de la Côte d’Ivoire à Djibouti. « Certains contes du monde arabe sont complètement adaptés à la culture africaine. On retrouve la même structure, la même logique, les mêmes thèmes », observe celui qui a longtemps voyagé au Burkina Faso.

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De ces nombreux voyages, Jihad Darwiche a accouché d’une version de L’Épopée de Soundjata, qu’il relate accompagné du joueur de kora malien Tom Diakité. « Quand je la travaille, j’ai besoin de lire des auteurs africains, d’écouter de la musique mandingue, de baigner dans la culture pendant un ou deux ans pour savoir par où commencer », détaille-t-il. Le déclencheur sera la Charte du Mandé, l’une des premières déclarations des droits de l’homme, dans laquelle il trouvera une dimension universelle pour adapter son épopée. Car pour cet humaniste, pas question de raconter des épopées guerrières, où les hommes se dressent les uns contre les autres. « On ne peut pas aimer le conte si on n’aime pas le monde, déclame-t-il. Je défends avant tout des épopées qui ont une dimension humaine. »

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