Mali, Guinée… Et si l’Afrique n’aspirait pas à la « République » ?
Face aux récents coups d’État au Mali et en Guinée, les commentateurs occidentaux s’alarment de la fragilité des « institutions républicaines » de certains pays africains. Mais ce concept a-t-il vraiment un sens pour les peuples du continent ?
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Skander Ounaies
Professeur à l’université de Carthage. Ancien économiste au Fonds souverain du Koweït (KIA)
Publié le 23 septembre 2021 Lecture : 3 minutes.
Le renversement du régime en Guinée, le 5 septembre dernier, après celui du Mali, le 24 mai, ont suscité une multitude de commentaires de la part des éditorialistes et des décideurs politiques des pays dits « industrialisés », les uns s’inquiétant du risque d’instabilité au Sahel, les autres se focalisant sur « l’extrême faiblesse des institutions républicaines », balayées en quelques jours, sinon quelques heures, par les forces armées.
Mais les concepts d’« institution » et de « République » ont-t-il la même signification pour tous ? À mon sens, l’erreur fondamentale des pays « avancés » est de chercher à plaquer à tout prix, y compris par la force, leur modèle de gouvernance politique sur les autres nations. Or le modèle bicéphale « capitalisme/pouvoir d’État » a mis des siècles à se mettre en place, en relation directe avec la Révolution industrielle et avec l’évolution des rapports sociaux. Une réalité que beaucoup d’économistes de droite se refusent à reconnaitre, croyant que l’économie se résume à des équations qui se baladent sur un tableau.
Aux antipodes des codes occidentaux
Comment penser ce couple pour des pays qui sont aux antipodes des codes de réflexion occidentaux et dont l’Histoire n’est pas « linéaire », c’est-à-dire qu’elle n’inclut pas, généralement hélas, une évolution commune, du fait des structures tribales et surtout du mode de vie des populations. Que signifient les mots « institution » ou « République » pour un berger du Nord du Mali ou pour un pêcheur de la Basse Guinée ?
Que pensent les Guinéens du « système représentatif » mis en place sur les « conseils » des bailleurs de fonds et des anciennes puissances coloniales, alors que le fait que leur pays renferme un tiers des réserves mondiales de bauxite n’a pas profité au développement national – une situation qualifiée de « scandale géologique ». Conakry a bénéficié à deux reprises, en 2020 et en 2021, de l’ « initiative de suspension du service de la dette » (ISSD), en raison de la pandémie de Covid-19 et de la faiblesse de ses ressources financières.
Il faut arrêter d’être aveugle et appliquer un modèle adapté à ces pays
De même, que signifie le mot « République » pour le peuple du Mali, quand l’or représente 15 % de son PIB et 70 % de ses recettes d’exportation mais qu’il est classé parmi les Pays les moins avancés (PMA) du monde ? Comment expliquer que le Niger, qui exporte de l’uranium, soit classé parmi les pays les plus pauvres de la planète ? Que pensent les Nigériens de leur « République » ? Qu’en pense le consortium Areva, qui exploite ses ressources ? Les dirigeants occidentaux devraient relire le sociologue Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, où il s’interroge sur le concept de « civilisation ».
Éducation pour tous
Les modèles des pays industrialisés reposent sur des politiques de développement d’abord et de croissance ensuite, sur le partage de la richesse nationale, sur l’accès à des besoins essentiels comme la santé et l’éducation et à une politique fiscale équitable. Peut-on parler d’impôt en Guinée, par exemple, quand 44 % de la population vivait encore en dessous du seuil de pauvreté (1,1 Euro par jour) en 2019 ? Cela n’a aucun sens.
Il faut arrêter d’être aveugle et appliquer un modèle adapté à ces pays. Il faut mettre en route une véritable politique d’éducation pour tous, et particulièrement pour les femmes – c’est, à mon sens, la priorité. Il faut faire en sorte que les recettes d’exportations soient utilisées de manière optimale au service du développement – hélas, on parle encore de développement et non de croissance.
En 1979, lorsqu’il a fallu appliquer au Sénégal un plan de rigueur « conseillé » par le FMI et tenant compte de la représentation particulière des groupes sociaux, le président Léopold Sédar Senghor a dû s’entretenir avec le chef des Mourides pour lui expliquer la gravité de la situation et faciliter l’acceptation des mesures restrictives auprès de la communauté musulmane. Il est absurde de vouloir transposer le moins mauvais des systèmes en vigueur dans les pays industrialisés à l’ensemble des pays du globe.
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