Dis-moi qui t’a rendu visite, je te dirai combien tu pèses

Le catalogue 2005 des voyages officiels de personnalités extra-africaines sur le continent révèle quelques surprises. Les bonnes intentions sont là. Mais quand il s’agit de se déplacer sur le terrain pour les concrétiser, c’est une autre histoire…

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 8 minutes.

L’agenda international avait placé l’Afrique au coeur des priorités en 2005. Tout commence le 17 janvier lorsque le conseiller spécial de l’ONU, Jeffrey Sachs, remet son rapport « Investir dans le développement » présenté comme une feuille de route pour atteindre les Objectifs du millénaire. L’auteur dénonce notamment « le piège de la pauvreté » et en appelle à la communauté internationale. Deux mois plus tard, le 11 mars, le Premier ministre britannique Tony Blair dévoile son « plan Marshall pour l’Afrique » et plaide pour un doublement de l’aide versée au continent, soit 25 milliards de dollars supplémentaires chaque année. Les grandes puissances du G8 enfin, réunies à Gleneagles du 6 au 8 juillet en Écosse, confirment l’annulation de la dette multilatérale de 18 pays pauvres très endettés, dont 14 africains. Un effort de 40 milliards de dollars. Bref, pas une tribune, pas une rencontre au sommet, sans que l’Afrique ne fasse parler d’elle. L’heure est à la mobilisation, et les discours se veulent généreux.
Dans ce contexte, on aurait pu imaginer que les dirigeants du Nord se précipitent pour rencontrer leurs homologues du Sud afin de confirmer par le geste cette accumulation de bonnes intentions. Finalement, même si notre inventaire des visites effectuées ne revendique pas l’exhaustivité, les services du protocole sont restés sur leur faim.

États-Unis : les femmes et les « ex » d’abord
Le président américain George Bush aime à répéter qu’il a une « vision » pour l’Afrique. Mais excepté sa tournée menée tambour battant en juillet 2003 qui l’a conduit en cinq jours au Sénégal, en Afrique du Sud, au Botswana, en Ouganda et au Nigeria, le chef de la Maison Blanche préfère envoyer ses proches pour défendre sa vision axée sur le commerce, la bonne gouvernance et la lutte contre le terrorisme. Fidèle parmi les fidèles, Condoleezza Rice a effectué, du 19 au 21 juillet, son premier voyage officiel sur le continent en tant que secrétaire d’État. Au menu : un forum à Dakar (Sénégal) sur le commerce Afrique/États-Unis. En présence d’une pléiade de ministres venus de 27 pays et d’une délégation américaine composée de 270 personnes, les discussions ont exclusivement porté sur le renforcement des échanges dominés à hauteur de 80 % par les produits pétroliers. Deuxième étape, le Soudan. À Khartoum, Condi Rice a eu un entretien avec le président Omar el-Béchir et visité un camp de réfugiés au Darfour. Khartoum espérait « une normalisation des relations bilatérales », mais tout le monde aura surtout retenu les incidents entre les services de sécurité soudanais et des journalistes américains. Quant au secrétaire d’État adjoint, Robert Zoellick, il a effectué cette année quatre visites au Soudan pour promouvoir la paix au Darfour. En vain. L’autre atout charme de la Maison Blanche s’appelle Laura Bush. La première dame des États-Unis est allée en juillet en Afrique du Sud, en Tanzanie et au Rwanda.
Quelques jours plus tard, l’ex-président Bill Clinton s’est rendu au Mozambique, au Lesotho, en Afrique du Sud, en Tanzanie, au Kenya et au Rwanda. Outre la lutte contre le sida menée par sa Fondation, l’ancien président américain plein d’émotion et les yeux remplis de larmes n’a pas manqué de fêter le 87e anniversaire de son « ami » Nelson Mandela. Moins people, Jimmy Carter a préféré « observer » les élections législatives éthiopiennes en mai et le scrutin présidentiel d’octobre au Liberia. Quant au philanthrope milliardaire Bill Gates, sa générosité ne peut être prise en défaut, mais son goût des voyages paraît limité. Cette année, il n’a pas été vu sur le continent, préférant l’Inde et la Thaïlande.

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Europe : en ordre dispersé
Si son accident cardio-vasculaire l’a empêché d’assister à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, Jacques Chirac a pu déployer l’étendue de son talent là où il est certainement le plus fort. Bain de foule et poignées de main, réunions de « famille », petits apartés et grands discours, son voyage au Sénégal et au Congo-Brazzaville du 2 au 5 février a été un modèle du genre. Accolade avec Abdoulaye Wade, à Dakar, « défense des forêts du bassin du Congo », à Brazzaville, en présence de ses homologues Denis Sassou Nguesso, Paul Biya, Omar Bongo Ondimba, Joseph Kabila, Teodoro Obiang Nguema, Idriss Deby et François Bozizé : « Chirac l’Africain » pouvait exulter. Il en fut de même lors des dernières retrouvailles à l’occasion du sommet Afrique-France à Bamako, le 3 décembre dernier. Au programme, en présence de 25 chefs d’État : photo de famille et franche rigolade. Après une première visite de travail en juillet 2004, le président français est aussi retourné voir Marc Ravalomanana à Madagascar, le 21 juillet. Un déplacement programmé conjointement au Sommet de la Commission de l’océan Indien qui se tenait le lendemain à Antananarivo. La brouille franco-malgache de 2002 est oubliée. Quant au ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, il a expérimenté sa diplomatie de l’humanitaire au Niger et au Darfour. La ministre déléguée à la Coopération, Brigitte Girardin, a pour sa part inauguré ses nouvelles fonctions en Mauritanie, au Cap-Vert, au Niger, au Bénin, au Gabon, en RD Congo, au Congo-Brazzaville et au Burkina.
Si Jacques Chirac s’est rendu à plusieurs reprises sur le continent, Tony Blair, moins chanceux, s’est fait griller la politesse par son ministre de l’Économie. Quatre sauts de puce, mi-janvier, entre le Kenya, la Tanzanie, le Mozambique et l’Afrique du Sud, Gordon Brown a milité pour un renforcement de l’aide en Afrique. L’occasion aussi de soigner son image d’homme d’État. Le ministre belge de la Coopération au développement, Armand De Decker, s’est rendu deux fois dans la région des Grands Lacs (Ouganda, Rwanda, Burundi et RDC), en février et en novembre. Lors de cette dernière visite, il était accompagné par son collègue de la Défense, André Flahaut, pour appuyer la transition et le processus électoral dans l’ex-Zaïre. Avant la conférence euro-africaine sur l’immigration annoncée pour le premier trimestre 2006, le ministre espagnol des Affaires étrangères Miguel Angel Moratinos a entamé une tournée, le 5 décembre, au Ghana, au Nigeria, au Niger, et au Mali, puis en Angola et au Mozambique. Quant à l’Union européenne, le nouveau président de la Commission José Manuel Barroso s’est seulement envolé en juin vers l’Afrique du Sud, le Mozambique et la RDC. « Le président aime l’Afrique et voyagera plus en 2006 », assurent ses services. En attendant, Louis Michel, le commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, a multiplié les déplacements à l’île Maurice, au Kenya, au Mali, en RDC, au Rwanda et à Madagascar.

Partenaires du Sud : intérêts partagés
2004 avait marqué l’entrée en fanfare de la Chine sur la scène africaine, avec la visite du président Hu Jintao en Égypte, au Gabon et en Algérie. Excepté la venue en février en Angola du vice-Premier ministre chinois Zeng Peiyang, le cru 2005 s’est voulu plus modeste. Mais l’essentiel n’est pas là. Les maîtres de l’empire du Milieu n’ont plus besoin de se déplacer pour détailler leurs besoins illimités en pétrole, bois et minerais. Après Omar Bongo Ondimba et Paul Biya, ce fut au tour de Denis Sassou Nguesso, en septembre, et de Teodoro Obiang Nguema, en octobre, d’aller signer des accords économiques dans les salons officiels du Grand Palais du peuple. Avec des échanges estimés à 10 milliards de dollars, la Chine est en passe de devenir le troisième partenaire commercial du continent derrière la France et les États-Unis.
« L’Afrique est prioritaire, et mon pays doit s’acquitter d’une dette. C’est grâce au travail, à la sueur et au sang des Africains que la société brésilienne a vu le jour. » Lors de ses trois visites successives sur le continent depuis son accession au pouvoir en 2002, le président brésilien a dessiné les contours d’une diplomatie Sud-Sud. Avec la même constance en avril 2005, Luiz Inácio Lula da Silva a choisi le Cameroun, le Nigeria, le Ghana, la Guinée-Bissau et le Sénégal pour délivrer le même message. Lula trace sa voie en Afrique et, derrière, les hommes d’affaires creusent leurs sillons. Pétrole, secteur minier, médicaments génériques : les échanges entre le Brésil et le continent totalisaient 6,5 milliards de dollars en 2004, dont la moitié avec le Nigeria, où est implantée la compagnie nationale pétrolière Petrobras. En matière de voyages Sud-Sud, on peut relever la tournée au Gabon et au Sénégal du souverain marocain Mohammed VI en début d’année, suivie de son déplacement au Niger durant la crise alimentaire, en juillet. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a, lui, opté pour l’Afrique du Sud. Quant au « paria » Robert Mugabe, il a eu l’honneur de recevoir en janvier à Harare le président iranien d’alors Mohamed Khatami.

Institutions internationales : au chevet de l’Afrique
« C’est l’une de mes plus importantes missions, et je pense qu’il était nécessaire de venir voir mon équipe sur place. » Après s’être entretenu la veille avec les autorités à Khartoum, Kofi Annan délaisse son costume de diplomate pour celui de responsable humanitaire lorsqu’il visite un camp de réfugiés au Darfour, le 28 mai dernier. Récits de viols, civils en colère, pénurie alimentaire, rien ne sera épargné au secrétaire général de l’Onu. Quatre mois plus tard, reçu par le président Mamadou Tandja, Kofi Annan passe quarante-huit heures au Niger pour constater l’ampleur de la tragédie et répondre aux critiques devant la lenteur de la communauté internationale. Mais il est déjà trop tard. On aurait pu espérer que le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Rodrigo de Rato, se rende compte de l’urgence de la situation en mai lors de sa tournée régionale à Abuja, Cotonou, Niamey et N’Djamena. On a beaucoup parlé de lutte contre la pauvreté et d’Objectifs du millénaire, mais le drame qui se jouait à quelques kilomètres est passé sous silence. Quant au nouveau président de la Banque mondiale, le néoconservateur Paul Wolfowitz, il devait absolument réussir son examen de passage africain du 12 au 18 juin. Celui qui fut en son temps le pourfendeur de l’aide aux pays en développement avait quatre épreuves : Nigeria, Burkina Faso, Rwanda et Afrique du Sud. Que les institutions de Bretton Woods se rassurent, l’opération séduction a été une réussite. En attendant d’en voir les effets, Jeffrey Sachs, « le monsieur Développement des Nations unies », ne désespère pas. Avec pugnacité, il s’est rendu en 2005 au Kenya, en Éthiopie, au Sénégal, au Mali, au Ghana, au Nigeria, en Ouganda, à Djibouti, au Rwanda et au Malawi. Avec une seule ambition : écouter et observer.

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