Dons de vaccins à l’Afrique : l’Europe n’est pas à la hauteur de ses promesses

Très présente et volontariste lorsqu’il s’agit de s’engager à aider l’Afrique à vacciner contre le Covid, l’Europe se montre malheureusement moins empressée à fournir les doses promises et à financer les programmes annoncés. Le point sur les efforts déjà réalisés et les promesses pour les mois à venir, alors que le continent peine à atteindre les objectifs fixés.

Un soldat kényan surveille les 182 000 vaccins AstraZeneca envoyés par le gouvernement grec via Covax à l’aéroport Jomo-Kenyatta de Nairobi, le 6 août 2021. © Brian Inganga/AP/SIPA

Un soldat kényan surveille les 182 000 vaccins AstraZeneca envoyés par le gouvernement grec via Covax à l’aéroport Jomo-Kenyatta de Nairobi, le 6 août 2021. © Brian Inganga/AP/SIPA

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Publié le 27 septembre 2021 Lecture : 5 minutes.

Malgré les beaux discours, l’écart se creuse entre une Europe dont plus 70 % des adultes sont vaccinés et une Afrique dont la population ne l’est qu’à 3,6 % et qui a dépassé le seuil des 8 millions de contaminations. Chez les Africains, au sentiment d’être laissés pour compte s’ajoute désormais la déception face aux promesses non tenues. L’objectif initial de Covax (dont l’Union européenne – UE – est l’un des principaux contributeurs) de vacciner 40 % de la population est en effet – temporairement – enterré. Revenu sur ses engagements, le dispositif prévoit finalement d’atteindre les 40 % en mars 2022.

« Nous nous sommes plaints d’un manque de transparence. Nous avons le financement et les contrats pour vacciner 37 % de la population africaine en mars, mais il nous faudra une augmentation très rapide des livraisons pour atteindre nos objectifs », met en garde Aurélia Nguyen, directrice exécutive du bureau Facilité Covax de Gavi, l’organisation internationale spécialisée dans la distribution des vaccins. « Sur les 551 millions de doses promises au continent, seules 16 % ont été livrées et certains pays comme les États-Unis ont beaucoup mieux tenu leurs promesses que d’autres », renchérit Ayoade Olatunbosun-Alakija, l’ancienne coordinatrice en chef de l’humanitaire au Nigeria.

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Engagement tout relatif

Les Européens auraient-ils du mal à tenir leurs promesses en la matière ? À travers Covax et quelques rares accords bilatéraux, les 27 ont donné en tout au moins 37 millions de doses au monde entier (selon les données publiques compilées par l’Unicef). Loin derrière les plus de 156 millions allouées par les États-Unis.

En matière de bénéficiaires, l’Afrique reste une priorité pour le Vieux Continent. Dans le cadre de Covax, les pays donateurs peuvent établir des préférences régionales, la distribution des vaccins est ensuite répartie conformément au cadre d’allocation équitable qui le régit. L’Europe a largement choisi d’aiguiller ses dons au dispositif vers ses voisins africains et la tendance se retrouve dans ses accords bilatéraux. En tête des contributeurs pour l’Afrique : la France, l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, le Portugal et la Suède (et, dans une moindre mesure, la Grèce, la Roumanie, Malte, l’Italie ou encore la Lettonie). Mais leur engagement est tout relatif.

Les 27 n’ont honoré que 60 % des livraisons promises

Au total, l’Afrique a, jusqu’à présent, reçu quelque 167 millions de doses, dont 67 millions attribuées à travers le dispositif Covax. L’Équipe Europe (l’UE, ses institutions et ses États membres) et le Royaume-Uni y ont, à ce jour, contribué en livrant au moins 35 millions de vaccins au continent, nous précise Phionah Atuhebwe, chargée de l’introduction des nouveaux vaccins au Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique. Quelque 13,4 millions de doses supplémentaires, promises par ces mêmes contributeurs européens, ont été libérées et doivent être livrées aux pays du continent concernés dès qu’ils auront confirmé être prêts à les recevoir, complète-t-elle.

 © Arthur Beaubois-Jude

© Arthur Beaubois-Jude

Tous mécanismes de distribution et destinations confondus, les 27 n’ont cependant honoré que 60 % des livraisons promises. La nature de leurs dons, constitués quasi exclusivement des doses d’AstraZeneca boudées par une grande partie de leur population, peut aussi écorner l’image du bon samaritain européen.

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Outre ces dons de doses, Covax bénéficie d’engagements financiers des pays riches. Ceux de l’Équipe Europe atteignent 2,822 milliards de dollars (auxquels s’ajoutent 733 millions du Royaume-Uni), d’après les chiffres du mois d’août. Le Vieux Continent participe ainsi à près de 29 % de l’effort international, soit un peu moins que les 36 % des États-Unis (3,5 milliards de dollars). La participation européenne peut aussi paraître toute relative, comparée au milliard donné par le Japon à lui seul (10 %).

L’UE peut mieux faire

La question de l’augmentation de la participation européenne agite des députés des 27, pour qui l’UE peut mieux faire. Parmi eux, la Française Chrysoula Zacharopoulou, du groupe Renew, vice-présidente de la Commission du développement, rapporteure de la stratégie Afrique-UE du Parlement européen et membre suppléante de la délégation pour les relations avec le Parlement panafricain. Cette gynécologue copréside le Conseil des actionnaires de Covax.

À défaut de billets, Ursula von der Leyen a promis 200 millions de doses supplémentaires pour Covax d’ici la mi-2022

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Elle a adressé un courrier le 8 septembre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour demander une contribution supplémentaire de 4 milliards d’euros de l’UE à ce mécanisme. Ce chiffre correspond à une évaluation des besoins du dispositif menée par le Fonds monétaire international (FMI) dans le but d’atteindre 60 % de couverture vaccinale dans les pays à faibles et moyens revenus au premier semestre de 2022.

Mais la mesure n’a pas été retenue par von der Leyen lors de son discours sur l’état de l’Union du 15 septembre. À défaut de billets, cette dernière a promis 200 millions de doses supplémentaires pour Covax d’ici la mi-2022. Elles s’ajoutent aux 250 millions de nouvelles doses déjà promises à cet horizon. Selon nos informations, des négociations sont toujours en cours dans les couloirs européens sur le volet financier.

L’engagement de l’UE dans la diplomatie vaccinale, en particulier à destination de l’Afrique, ne fait pas de doute, rappellent cependant ses défenseurs. Elle s’est montrée très active dans l’organisation du Sommet mondial de la santé consacré à la gestion de la pandémie en mai. À cette occasion, les pays de l’Équipe Europe ont d’ailleurs annoncé le lancement d’une initiative pour encourager la production de vaccins, de médicaments et de technologies de la santé et pour améliorer leur accès en Afrique.

Dans le camp des mauvais partageurs

Les 27 y engagent un milliard d’euros (via le budget de l’UE et les institutions européennes de financement du développement, comme la Banque européenne d’investissement, BEI). Ils promettent également des transferts de technologie pour participer à la création de centres de production africains. En juillet, ils ont déjà donné leur feu vert pour soutenir directement la production de vaccins de l’Institut Pasteur de Dakar. Mais cela ne suffit pas à inverser la tendance de l’iniquité vaccinale. D’autant plus que d’autres décisions creusent encore les écarts.

« Aussi longtemps que les pays riches sortiront les vaccins du marché, l’Afrique n’atteindra pas ses objectifs », prévient le Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Dans certains pays, on envisage d’administrer des doses supplémentaires aux personnes déjà vaccinées. Or, ces décisions politiques devancent les connaissances scientifiques, car il n’existe pas de consensus sur le fait que les vaccins perdent de l’efficacité avec le temps », a-t-elle encore tenu à souligner.

Dans le camp des mauvais partageurs figurent plusieurs pays européens, déjà lancés dans la course aux troisièmes injections. La Commission européenne s’est certes saisie du sujet à la fin août, en soulignant que l’Agence européenne du médicament n’avait pas émis de recommandation en ce sens. Elle a surtout insisté sur les aspects légaux, comme pour se décharger de toute responsabilité, en faisant l’impasse sur d’autres arguments plus altruistes. Plusieurs voix africaines appellent de leur côté à un moratoire clair sur l’administration de troisièmes doses.

En attendant, la couverture vaccinale du continent pourrait être de 10 % fin septembre pour approcher les 20 % au début de 2022, grâce aux 470 millions de doses qui devaient en tout être fournies à l’Afrique cette année. L’intention d’arriver à 70 % de couverture en milieu d’année prochaine semble être encore un lointain mirage.

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