Berlusconi, guignol de l’info

« Viva Zapatero ! » est un brûlot. Ce documentaire dénonce avec un humour féroce les dérives et le système médiatique que contrôle le Cavaliere.

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

C’est un véritable phénomène en Italie. Dans le paysage sinistré du cinéma de la péninsule, un film, de surcroît un simple documentaire sorti sans véritable promotion, attire les foules sans discontinuer depuis sa sortie il y a un peu plus de trois mois. Au bout de douze semaines d’exploitation, grâce au bouche à oreille, il avait déjà été vu par près de 400 000 spectateurs. Cas unique dans les temps récents, le long-métrage est même très souvent applaudi à la fin des projections.
Viva Zapatero ! est, il est vrai, peu banal à plusieurs titres. D’abord parce que ses deux personnages centraux, à savoir la comédienne et humoriste italienne Sabina Guzzanti et le Premier ministre Silvio Berlusconi, ne sont souvent à l’écran… qu’une seule et même personne. Explication : parmi ses nombreux talents, Guzzanti, par ailleurs réalisatrice du film, est une transformiste très douée qui, dans un spectacle dont le film reprend des extraits, se déguise de façon très convaincante pour incarner un Berlusconi dont elle emprunte la tête – pour se la payer bien sûr. Mais, en second lieu, ce film est aussi le résultat d’une histoire édifiante. Celle d’une injustice vengée avec bonheur par cinéma interposé.
Guzzanti est une comédienne pleine d’humour qui s’est notamment fait connaître par son talent en matière de sketchs satiriques sur la classe politique italienne. Sa popularité a pris une dimension particulière il y a quelques années grâce à ses performances très appréciées sur les chaînes publiques de télévision, où ses imitations de tous les principaux acteurs du jeu politique, droite et gauche confondues, faisaient mouche à tout coup. En particulier quand elle recréait le personnage de Berlusconi, qui, par ses excès, son obsession du paraître digne d’un séducteur de bas étage et son absence totale de scrupules pour parvenir à ses fins aussi bien comme homme d’affaires que comme dirigeant politique, se prêtait bien à caricature. En toute impunité bien sûr : qui oserait censurer un clown ? interdire la satire ?
Comme par hasard, pourtant, les shows dans lesquels apparaissait Sabina Guzzanti ont eu de plus en plus de mal à être diffusés après le retour au pouvoir du Cavaliere en 2001. Jusqu’à ce jour de décembre 2003 où le premier épisode d’une série d’émissions dont elle était l’auteur et la vedette sur la troisième chaîne de télévision a été brutalement déprogrammé quelques heures avant de passer à l’antenne. Sans raison sérieuse. Le directeur de ladite chaîne lui reprochait, par un simple coup de téléphone et en refusant de s’expliquer plus avant, d’être coupable d’« insultes envers le gouvernement » et surtout de « vulgarité ». Un comble quand on connaît l’état de la télévision italienne et surtout le style trash de ses chaînes privées, toutes possédées par Berlusconi ! C’était la censure de trop. Évidemment imposée par le pouvoir, qui s’est arrogé le droit de nommer les directeurs des chaînes publiques, désormais aux ordres. Guzzanti ne l’a pas supportée. Mais, à la différence d’un Berlusconi incapable d’accepter qu’on se moque de lui, la belle comédienne n’a pas perdu pour autant son humour. Elle a donc décidé de monter un nouveau spectacle sur cette mésaventure, qu’elle présente en général avec grand succès dans des lieux alternatifs. Et surtout, de réaliser un film, fondé en partie sur ce spectacle, où elle se grime bien sûr en Berlusconi plus vrai que nature pour le ridiculiser à travers ses mimiques et ses propos. Mais où elle interpelle aussi toute la classe politique en partant en personne enquêter caméra au poing à la manière d’un Michael Moore sur ce qui s’est vraiment passé en décembre 2003.
Du coup, à force d’interviews « classiques » ou d’entretiens arrachés à la hussarde, souvent dans la rue, à tous ceux, de droite comme de gauche, qui ont participé à cette censure ou qui l’ont laissée se produire, elle assène dans son brûlot toute une série de vérités pas bonnes à dire sur la situation politique dans l’Italie berlusconisée. Sur la mort de la liberté d’expression dans un pays où un seul homme contrôle la totalité des médias de masse, sur la lâcheté des parlementaires de tous bords qui, à de rares exceptions, tolèrent cet état de fait… Souvent avec une immense drôlerie, parfois avec une certaine naïveté, toujours avec une grande férocité.
Une vengeance artistique de la satiriste qui, contre toute attente, a obtenu tellement de succès qu’elle est devenue un événement politique. Malgré, bien entendu, le silence de tous les grands médias au moment de son lancement. Au point de peser véritablement sur les élections législatives italiennes de mai 2006 qui, espèrent beaucoup, mettront un terme à la toute-puissance du Cavaliere ? Le précédent de la réélection triomphale de Bush après le succès non moins triomphal de Fahrenheit 9/11, le pamphlet assassin de Michael Moore, peut laisser perplexe à ce sujet. Mais il est vrai qu’au pays de la commedia dell’arte, un clown en jupon qui pense que le ridicule peut et doit tuer a peut-être encore un peu d’influence

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