Vingt ans ferme pour un baron

Biya s’était engagé à lutter contre la corruption. Quatre ans après, un ancien ministre est lourdement condamné pour détournement de fonds publics.

Publié le 5 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Dans un pays où l’enrichissement illicite est souvent présenté comme un sport national, l’affaire Mounchipou Seidou ne laisse personne indifférent. Après plus de quatre années de procédure, le verdict est enfin tombé, le 28 novembre. L’ancien ministre des Postes et des Télécommunications a été condamné à une peine de vingt ans de prison ferme. Une première dans l’histoire judiciaire du Cameroun.
L’affaire débute le 1er septembre 1999 avec la publication d’un décret présidentiel : Mounchipou Seidou et Pierre Désiré Engo, le directeur de la Caisse nationale de protection sociale (CNPS), sont limogés sans explication. Quelques jours plus tard, accusés de détournement de fonds publics, les deux hommes sont incarcérés à la prison centrale de Yaoundé. Le premier est plus spécialement soupçonné de « fractionnement de marchés publics, surfacturations et livraisons fictives ». La méthode est simple : le ministère attribue des contrats – pour l’achat de matériel informatique ou la réfection de locaux administratifs, par exemple – à des entrepreneurs indélicats qui s’abstiennent de fournir les prestations commandées. Prélevé sur le budget de l’administration, le montant du contrat est alors partagé entre le commanditaire et son fournisseur. Le « fractionnement » des commandes permet de squeezer la commission chargée de l’attribution des marchés publics et de négocier de gré à gré avec des soumissionnaires véreux. En l’espace de quelques semaines, le ministre aurait passé, au nom de son département, quelque quatre cents marchés fictifs. Montant probable du détournement : 2,4 milliards de F CFA (3,66 millions d’euros). Un record !
En condamnant Seidou à vingt ans de prison ferme, le tribunal de grande instance de Yaoundé a voulu faire un exemple. Dans son réquisitoire, le 17 octobre, le procureur Lavoisier Kwangue Kwangue avait même requis la prison à vie contre le prévenu et sept de ses anciens collaborateurs, ainsi que la confiscation des biens de tous les accusés. Une sanction conforme à la loi camerounaise, qui prévoit la peine maximale d’emprisonnement lorsque le montant des fonds publics détournés dépasse 500 000 F CFA (762 euros).
Cette condamnation, quelques semaines après celle d’Engo à quinze ans de réclusion, a fait l’effet d’un pavé dans le marigot politique camerounais. D’autant que les deux hommes ne sont pas les premiers venus. Proche du sultan Mbombo Njoya, lui-même allié du pouvoir, le Bamoun Mounchipou Seidou était un membre éminent du gouvernement. Quant à Engo, il appartenait de longue date au sérail présidentiel : membre du bureau politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), ce Béti est issu du même groupe ethnique que le chef de l’État.
« En limogeant un ministre de la République, le président Paul Biya a délibérément provoqué une affaire d’État, analyse un diplomate en poste à Yaoundé. Après avoir promis de s’engager personnellement dans la lutte contre la corruption, il ne pouvait plus faire machine arrière. Reste à savoir s’il s’agit d’un cas exemplaire ou d’un cas isolé. » Il est vrai que le « Mounchipougate », comme on dit ici, a, dès le départ, largement débordé la sphère politique. Dénoncés par la presse locale, puis, au Parlement, par les députés du Social Democratic Front (SDF), les crimes économiques imputés à l’administration des Postes étaient devenus trop voyants pour rester impunis.
D’autant que, depuis quatre ans, le Cameroun est confronté aux critiques des bailleurs de fonds internationaux. À la Banque mondiale comme au Fonds monétaire international, on pointe régulièrement du doigt les dérives financières de l’équipe au pouvoir. La gangrène de la corruption mine les hautes sphères de l’État, au risque d’hypothéquer durablement les fruits de la croissance économique. Virtuellement éligible à l’initiative de réduction de la dette des Pays pauvres très endettés, le Cameroun doit impérativement donner des gages de bonne conduite s’il veut rentrer en grâce auprès des instances financières internationales. Bref, Biya n’a plus le choix : des têtes doivent tomber.
En septembre 1999, lorsque Seidou et Engo sont incarcérés à la maison d’arrêt de Kondengui, l’opinion n’en croit pas ses oreilles. Dans la haute administration, l’initiative présidentielle ne fait pas l’unanimité, loin de là. En limogeant un ministre, le chef de l’État ne risque-t-il pas d’accréditer la thèse selon laquelle les membres du gouvernement seraient « tous pourris » ? Cela ne l’empêchera pas de revenir à la charge, quelques mois plus tard. En prenant à nouveau la nation à témoin. Lors de ses voeux de fin d’année, Biya stigmatise ces serviteurs de l’État qui utilisent leurs fonctions pour leur profit personnel et dénonce l’individualisme frénétique qui conduit certains à se livrer à des activités criminelles. Nouveau coup de semonce à l’adresse d’une classe politique tétanisée.
Au cours des mois suivants, les caciques du RDPC reprennent en choeur, avec une crédibilité variable, l’antienne de la lutte contre la corruption, mais rien n’y fait. En 2000 et en 2001, le Cameroun figure en dernière position du classement des pays les plus corrompus établi par l’ONG Transparency International. Cette organisation établie à Berlin publie chaque année un indice de perception de la corruption dans le monde. Et épingle immanquablement un certain nombre d’États africains, comme le Cameroun ou le Nigeria.
Si l’image de Yaoundé ne s’améliore pas vraiment, ses relations avec les institutions de Bretton Woods se détendent quelque peu. Le gouvernement poursuit le processus de privatisation et achève la réforme du secteur bancaire. Du coup, le Cameroun, qui affiche un taux de croissance moyen de 5 %, est de nouveau considéré comme un « bon élève » par le FMI. En octobre 2000, il est déclaré éligible à l’initiative d’allègement de sa dette publique (2 milliards de dollars). Celle-ci va se concrétiser par une importante remise de dette : 27 % de l’encours total de l’ardoise de l’État auprès de bailleurs de fonds.
Par la suite, la croisade anticorruption va malheureusement se faire plus discrète. Certes, l’administration se dote de mécanismes censés garantir la transparence des procédures d’attribution des marchés et les membres du gouvernement lancent de violentes diatribes contre les détournements de fonds publics, mais, sur la scène judiciaire, Seidou et Engo restent les seuls ténors inquiétés. L’instruction de leurs dossiers traînant en longueur, on en vient presque à les oublier.
Pourtant, pots-de-vin, bakchichs et autres dessous-de-table n’ont pas disparu comme par enchantement. En novembre 2002, une fronde éclate au sein même du parti au pouvoir pour dénoncer les dérives dont se seraient rendus coupables certains dirigeants. Emmenés par Pierre Mila Assoute, membre du comité central, les « modernistes » dénoncent les « dévoiements » supposés du RDPC en général et de certains de ses cadres en particulier. « Leurs actes sont en contradiction avec les valeurs fondatrices du parti, regrette Mila Assoute. Notre pays est devenu le champion du monde de la concussion et du népotisme. En confiscant les fruits de la croissance, on prend le risque de provoquer une explosion sociale. C’est pourquoi nous avons cru nécessaire de rappeler le parti à ses devoirs. Il n’est quand même pas normal que Pierre Désiré Engo, qui a été condamné à quinze ans de prison, soit toujours membre du bureau politique du RDPC. »
Accusé par les caciques du régime de convoiter quelques strapontins, Mila Assoute a demandé la convocation d’un congrès du RDPC. Une demande pour l’instant sans réponse. Il est vrai que si le parti paraît peu disposé à laver son linge sale en famille, le pouvoir ne semble pas davantage enclin, à dix mois de l’élection présidentielle, à se lancer dans une série de procès très médiatiques.

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