Une histoire de géants

Publié le 9 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Félix Houphouët-Boigny nous a quittés le 7 décembre 1993, il y a tout juste dix ans. Je me demande ce qu’il dirait du chemin parcouru par son pays sous la direction des hommes qui lui ont succédé.
Dans le témoignage très remarquable que nous publions en pages 56 et 57, Georges Ouégnin, qui a été son collaborateur direct et même intime pendant trente-trois ans et qui est probablement l’homme qui l’a le mieux connu, dit qu’Houphouët voulait une Côte d’Ivoire « forte, pacifique, hospitalière et ouverte sur le monde » ; il espérait qu’elle y parviendrait en deux générations.
L’image que la Côte d’Ivoire donne d’elle en 2003 est, hélas ! exactement le contraire de ce dont il rêvait.
On peut donc dire que le grand Félix Houphouët-Boigny a tout réussi, sauf sa succession, et que l’homme qui, selon le témoignage de Georges Ouégnin, disait « je peux disparaître, le bon grain est semé : la Côte d’Ivoire sera toujours un pays pacifique et fraternel » a été cruellement démenti par ses successeurs.
Il ne mérite pas cet échec posthume, et la Côte d’Ivoire, victime de sa classe politique, ne mérite pas cette descente aux enfers dont je crains, pour ma part – avec l’espoir de me tromper -, qu’elle ne soit pas terminée puisque ceux-là mêmes qui l’ont mise au fond du trou continuent de… creuser.
Ils nous parlent cette semaine de « désarmement », de « fin de la guerre » et même de « paix », de « réconciliation ». Dieu fasse que, cette fois, les actes suivent les mots et ne soient pas annulés quelques jours après par des actes opposés.

L’Afrique du XXe siècle – et des indépendances – a produit en tout trois grands hommes politiques nés tous les trois peu après 1900 et presque en même temps : Bourguiba, Houphouët et Senghor.
J’ai eu le privilège de les connaître assez bien tous les trois.
Houphouët est celui qui a le plus changé son pays (qui partait de plus loin que les deux autres).
Senghor était le plus intellectuel et le plus modeste des trois. « Si je suis historique, disait-il, c’est par les circonstances », alors que Bourguiba et Houphouët avaient une très haute idée d’eux-mêmes.
Il n’a pas transformé son pays, mais, en pleine frénésie mondiale de parti unique, lui a donné la démocratie. Il a su partir à temps et, surtout, a magnifiquement préparé (et organisé) sa succession : un quart de siècle après qu’il eut volontairement quitté le pouvoir et trois ans après le départ de son digne successeur, Abdou Diouf, le système qu’il a mis en place et que Diouf a consolidé continue de fonctionner.
Quant à Bourguiba, s’étant trop attardé au pouvoir, il a raté sa sortie, mais s’est immortalisé par la modernisation de son pays et plus encore par la révolution féminine qu’il a impulsée.
L’une et l’autre ont été poursuivies et affermies par le successeur qu’il n’a pas choisi, mais qui, lui, a choisi de creuser le même sillon : Zine el-Abidine Ben Ali.

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Après Bourguiba, Senghor et Houphouët, le continent a produit un autre grand homme. Né en 1918, il est encore parmi nous et son destin est encore plus singulier : Nelson Mandela.
Vingt-sept ans passés en prison, cinq ans seulement au pouvoir, qu’il a quitté volontairement après avoir intronisé le successeur que son parti – pas lui – a choisi et qu’il laisse gouverner en s’efforçant de ne pas lui faire de l’ombre ! Qui dit mieux ?

Quatre figures, quatre géants – dont trois produits par l’Afrique subsaharienne – qui honorent ce continent défiguré par tant de nains politiques.
Lui donnent une image, lui permettent de compter dans l’histoire du XXe siècle – et d’espérer avoir un avenir.

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