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Le bassiste camerounais Richard Bona achève en Afrique la tournée de promotion de son nouvel album, « Munia ». Rencontre avec un artiste original qui ne mâche pas ses mots.

Publié le 5 décembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Richard Bona arrive seul sur les planches du Bataclan, à Paris. Une basse électrique en bandoulière, des lunettes de soleil sur le nez et un bleu de travail – gris – en guise de costume de scène. Debout devant le micro, il entame de douces incantations. La voix est haut perchée. Autrefois, il la cachait derrière ses talents de bassiste reconnus par les plus grands (Joe Zawinul, Manu Dibango, Harry Belafonte, Herbie Hancock, Paul Simon, Queen Latifah, Bobby Mc Ferrin…). Le Camerounais qui a percé à New York nous revient d’Amérique avec un troisième album, Munia, qui enchante la critique. Du 3 octobre au 28 novembre, sa tournée mondiale a ravi le public. Richard Bona est doué, c’est indéniable. Sans en rajouter et toujours avec humour et distance, il peut tout jouer : makossa, bossa nova, rock et jazz, surtout. On ne peut que se laisser bercer par cette musique venue des quatre coins du monde, et admirer l’affirmation d’un grand talent africain. Avant ses derniers concerts, à Douala et à Yaoundé – évidemment -, Bona nous a confié ses pensées.

Jeune Afrique/L’intelligent : Vous aviez annoncé que vous ne chanteriez plus. Que s’est-il
passé ?
Richard Bona : On m’écoute encore parce que j’ai changé de maison de disques. À cette époque, je ne voulais plus chanter pour Sony, mais je ne pouvais pas le dire J’avais un contrat pour six albums, ça ne se passait pas bien, et je ne savais pas comment m’en sortir. Donc, j’ai dit que je ne chanterai plus, ce qui m’a permis de sortir du contrat.
J.A.I. : Vous étiez l’un des rares Africains produits par Sony, aujourd’hui vous signez chez Universal. Quel était le problème ?
R.B. : Il ne faut pas oublier que les maisons de disques traversent une zone d’incertitudes en ce moment. Le disque ne se porte pas bien. Il y a quelques années, les patrons faisaient un travail de fond, aujourd’hui ils veulent gagner tout de suite de l’argent. Chez Sony, j’avais un contrat pour six albums, et avec un contrat aussi long, je pense qu’il faut laisser beaucoup de liberté à l’artiste. Or ils te laissent faire ce que tu veux pour le premier album et quand vient le second, ils commencent à te dire : voilà, on va te diriger, voilà où on veut t’emmener. Moi j’ai envie de jouer la musique que j’aime jouer, je ne veux pas être une superstar. Je ne suis pas un produit, et je ne serai jamais un produit. Aux États-Unis, on m’a demandé un jour d’accompagner Britney Spears. Pour moi, c’était une insulte ! J’ai compris que je n’avais rien à faire là ! Parce qu’il y a beaucoup de farfelus dans ce métier, j’essaie d’éviter de travailler avec eux. Ces gens-là étaient encore en couches-culottes quand je gagnais déjà ma vie avec ma musique. C’est ce qui est arrivé chez Sony. Le problème, c’est le marketing. Ils engagent quelqu’un parce qu’il vendait bien des voitures chez General Motors, l’année d’avant, puis
ils lui demandent de te dire ce qu’il faut que tu fasses. C’est scandaleux ! Voilà pourquoi je suis parti.
J.A.I. : Très peu d’artistes ont cette liberté…
R.B. : On a toujours la liberté. On te fait croire que tu ne l’as pas. Mais ta liberté, c’est toi qui te la donnes, c’est toi qui décides de la voie à suivre. Ma voie, c’est de jouer la musique que j’aime, avec des personnes qui me plaisent. Aux États-Unis, Sony n’avait jamais signé avec un Africain avant moi. Quand tu signes avec Sony, tu sais où tu vas. Les moyens qu’ils vont donner à un artiste blanc, ce ne sont pas ceux qu’ils vont
donner à un artiste africain. Il faut dire les choses comme elles sont. Il faut rester très, très vigilant. Par exemple, aujourd’hui, les gens applaudissent MTV, et on oublie tous que jusqu’en 1984 il n’y avait pas un seul artiste noir qui passait sur MTV. Les gens
ont tendance à vite oublier. À un moment, on m’a dit : « Il faut que tu fasses des reprises. » Faire des reprises, moi ? Je suis compositeur, je chante ma musique. Si je ne
le fais pas, qui va chanter nos musiques d’Afrique ? Paul Simon ? L’Afrique a son histoire, les gens essaient toujours de l’occulter. Et si l’histoire de notre continent ne compte pas les chapitres les plus importants de l’humanité, c’est parce que ce sont toujours les plus forts qui les écrivent. Non ! Nous avons une culture. En tant qu’Africain, je sais que l’Afrique a une histoire incroyable, il faut la raconter, il faut la dire.
J.A.I. : Dans Révérence, l’accent était mis sur un discours écologique et sur le respect des aînés. Quel est le message de ce nouvel album ?
R.B. : L’amour et la paix parce que, quand j’ai commencé à finaliser cet album, la guerre s’annonçait en Irak. Il y avait déjà la guerre en Côte d’Ivoire, et ce sont des choses qui
me touchent. Je me suis souvenu qu’à Abidjan, en 1990, je m’étais dit : « Waouh ! voilà un pays africain qui va vers quelque chose », et ça m’avait rendu la fierté d’être africain. Lorsque j’ai appris que cette guerre avait commencé, j’ai pensé : « Non, pas la Côte d’Ivoire ! » Pourquoi ne peuton pas construire quelque chose en Afrique ? Pour sensibiliser les gens, il faut le dire, le chanter, de manière à ce que ça n’arrive pas ailleurs. Si ça se passe en Côte d’Ivoire, ça peut se passer partout, il ne faut pas l’oublier. C’est arrivé au Rwanda et ça peut encore arriver ailleurs.
J.A.I. : C’est quoi la Bonatologie ?
R.B. : La Bonatologie, c’est ma propre religion ; elle est fondée sur l’amour et le respect. Voilà les deux choses que j’essaie d’appliquer vis-à-vis des gens que je rencontre. Tous les jours, j’essaie d’être meilleur que la veille. Et pour moi, ce sont deux règles essentielles dans la vie. Même si je n’aime pas quelque chose, je respecte.
J.A.I. : Les invités que vous avez retenus pour Munia viennent d’horizons divers. Comment ont-ils été choisis ?
R.B. : Le choix est fondé sur le style des morceaux qu’ils écrivent, sur des rythmes qui leur vont aussi. Quand j’écris un morceau comme « Kalabancoro », la mélodie est un peu malienne et toute l’ambiance renvoie à l’Afrique de l’Ouest ; donc je fais appel à Salif Keita. Et quand j’écris « Painting a wish » pour rendre hommage à Miles Davis, j’essaie
d’imaginer ce que Miles serait en train d’écrire aujourd’hui, s’il était vivant, et pour nous rapprocher de Miles, je contacte les gens qui ont joué avec lui, comme Kenny Garrett.
J.A.I. : Pourquoi Miles justement ?
R.B. : Dans la musique c’est mon héros. Miles, c’est mon héros !
J.A.I. : Outre les tournées, vous trouvez le temps d’écrire de la musique pour les dessins animés au Japon et même de la musique grégorienne. Jusqu’où irez-vous ?
R.B. : J’écoute de la musique tout le temps quand je suis en tournée. J’ai toujours mon stylo avec moi. Dès que j’arrive dans un hôtel, je branche tout mon studio, c’est la
première chose que je fais, et je travaille. Je m’amuse avant d’aller jouer en concert. Quand je ne suis pas sur scène, je joue tout le temps. J’ai deux préoccupations majeures
dans la vie : jouer de la musique et jouer de la musique. En ce moment, je reprends à la basse des suites de Bach jouées au violoncelle. C’est un autre langage, c’est comme
apprendre une autre langue. Moi j’aime ça. Je ne veux pas me sentir dans l’état d’esprit de quelqu’un qui saurait déjà tout faire en musique. Cette démarche te rappelle que tu as toujours à apprendre.
J.A.I. : On vous qualifie souvent de « Sting africain ». Qu’en pensez-vous?
R.B. : Non, la presse exagère ! Je laisse les gens juger par eux-mêmes. Moi, je suis Richard Bona, musicien, un point c’est tout. Aux États-Unis, c’est le Jaco Pastorius africain. En France, c’est le Sting africain et si c’était Sting le Bona européen [Rires.]

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Munia (The Tale), Richard Bona, 2003 Universal Music France, www.bonatology.com

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