Siradiou Diallo : «Au secours, Sékou Touré revient!»

Publié le 5 décembre 2003 Lecture : 9 minutes.

Pour avoir refusé de rejoindre le Front républicain pour l’alternance démocratique (FRAD) mis en place en mai 2002 pour faire pièce au régime du président Conté, Siradiou Diallo, chef de file de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR), a été accusé par la plupart des leaders de l’opposition de faire le jeu du pouvoir. En acceptant de participer aux élections législatives du 30 juin 2002, il a aggravé son cas, ses camarades ayant appelé au boycottage d’une consultation dont tout leur indiquait qu’elle serait faussée par la fraude. À l’arrivée, l’UPR s’est retrouvée avec vingt députés à l’Assemblée nationale, où il a repris à son compte et défendu… la plupart des revendications du FRAD. C’est ce que Diallo appelle l’efficacité et le sens des responsabilités. Ancien journaliste, il n’écrit plus depuis son retour définitif dans son pays, en 1991. Mais il parle ! De la vague d’arrestations qui vient de frapper l’armée. De la loi d’amnistie adoptée il y a un mois, dont il fut l’un des meilleurs avocats dans l’Hémicycle. De la présidentielle du 21 décembre, à laquelle ni lui ni ses « amis » du FRAD ne participeront. Des lourdes menaces qui pèsent sur son pays dirigé par un président malade et passablement autiste. Entretien.

Jeune Afrique/L’intelligent : Une vague d’arrestations vient de frapper l’armée. Or, le 9 novembre, l’Assemblée nationale avait adopté une loi d’amnistie. À cette occasion, on vous avait beaucoup entendu dans l’Hémicycle… Avez-vous le sentiment de vous être battu pour rien ?
Siradiou Diallo : Certainement pas ! Dès l’annonce de ces arrestations, nous avons crié au retour des méthodes de Sékou Touré. À cause de ses bévues, le pouvoir en est arrivé à embastiller préventivement. Il cherche à terroriser les gens pour les inciter à se tenir tranquilles. Par la suite, nous avons appris que, dans la perspective de la présidentielle du 21 décembre, le président Lansana Conté avait demandé à l’armée de se tenir prête à réprimer toute manifestation. Cette dernière n’a pas apprécié. Dans ses rangs, notamment au camp Samory-Touré, à Conakry, certains auraient même laissé entendre que, pour une élection sans enjeu à laquelle aucun opposant n’est candidat, ils ne voyaient pas l’utilité de faire appel à leurs services. Pour eux, cela devait relever de la police et non de l’armée.

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J.A.I. : Conté n’a pas pu le supporter ?
S.D. : Non, d’autant qu’il avait sans doute une autre raison de se mettre en colère. Avant de se rendre à Cuba [du 15 au 25 octobre], il semble bien qu’il ait donné de l’argent à certains officiers, mais que la base n’en ait pas vu la couleur. Et puis, à l’occasion de la fête de l’Armée, le 1er novembre, il a promu certains militaires sans toujours tenir compte de leur ancienneté ni de leurs états de service. C’est en tout cas ce que certains lui reprochent. Tout cela s’est ajouté au mécontentement qui prévaut dans le pays…

J.A.I. : Que faut-il faire maintenant ?
S.D. : Ne plus accepter de se taire quand des gens, qu’ils soient civils ou militaires, sont arrêtés sans raison ni explication. Que je sache, les militaires ne sont pas en dehors de la République ! Tout le monde doit dénoncer de telles pratiques.

J.A.I. : Certains ont été surpris de vous entendre, à l’Assemblée nationale, plaider pour l’amnistie d’Alpha Condé, le chef de file du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG)…
S.D. : Je me demande bien pourquoi ! Ma prise de position concernait l’ensemble des
condamnés politiques en Guinée. Elle n’est ni surprenante ni nouvelle, mais découle, au contraire, de la ligne politique, des principes et de la plate-forme que mon parti
[l’Union pour le progrès et le renouveau, UPR], défend depuis des années.

J.A.I. : Vous avez, semble-t-il, insisté sur son cas…
S.D. : À aucun moment je n’ai cité le nom d’Alpha Condé, qui n’est pas le seul concerné, même s’il est le plus connu. De nombreux cadres et militants de son parti, anonymes ou pas, le sont également. Tout comme d’ailleurs plusieurs de mes camarades de l’UPR. Certains ont été arrêtés et condamnés au cours des élections communales de juin 2000 dans les localités de Siguiri, de Faranah et de Mamou. Depuis, ils sont privés de leurs droits civiques et politiques en raison de leurs activités militantes.

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J.A.I. : Avez-vous tenté d’obtenir que cette loi d’amnistie soit étendue aux militaires emprisonnés ?
S.D. : C’était une question de justice et d’équité. Et c’était nécessaire pour apaiser les esprits et favoriser la réconciliation nationale. Il n’y a aucune raison pour que cette loi ne soit pas applicable aux nombreux officiers, sous-officiers et hommes du rang
impliqués dans les différentes crises qui ont secoué l’armée depuis l’avènement du régime actuel. Ils ont été condamnés et se trouvent aujourd’hui soit en prison, soit en exil.

J.A.I. : Pouvez-vous citer des noms ?
S.D. : Je n’ai nommé personne à l’Assemblée et ne pense à personne en particulier. Mais je sais que de nombreux militaires ont été, à un moment ou à un autre, en rupture de ban avec l’armée et le régime en place. Depuis le coup du colonel Diarra Traoré, en juillet 1985, puis la mutinerie des 2 et 3 février 1996 et jusqu’à aujourd’hui, il y a eu de nombreuses vagues d’épuration dans l’armée. Les militaires emprisonnés ou réfugiés à l’étranger méritent d’autant plus notre attention que certains d’entre eux sont mis en cause chaque fois que des incidents ont lieu à la frontière. Et puis, c’est une simple question de respect des droits de l’homme. Une nécessité, à un moment où le manque de dialogue et de concertation est lourd de périls de toutes sortes.

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J.A.I. : Pourtant, l’UPR s’est retirée du dialogue organisé à l’initiative du gouvernement, parce que celui-ci refusait systématiquement vos propositions pour l’organisation d’élections libres, honnêtes et transparentes…
S.D. : Oui, l’UPR a quitté la table des négociations avant tous les autres partis d’opposition. Parce que nous avons très vite compris que le gouvernement n’avait rien changé à ses habitudes. Qu’il faisait semblant de dialoguer, mais ne voulait rien lâcher. Le mémorandum élaboré et contresigné par trente-trois partis réunis, des semaines durant,
au Palais du peuple, à Conakry, était pourtant très clair. Il commençait par énoncer une série de préalables sur lesquels le gouvernement et l’opposition devaient s’accorder
avant d’aborder les vrais problèmes. Ensuite, dans l’éventualité d’un accord, nous demandions des garanties. Car l’expérience nous a montré que même s’il feint d’accepter les revendications de l’opposition, le régime n’hésite jamais à fouler aux pieds ses engagements. En fait, il n’y avait aucune chance d’aboutir à une avancée significative, le gouvernement entendant organiser la présidentielle à sa guise. Sans aucun contrôle de l’opposition ni des bailleurs de fonds.

J.A.I. : Retrait des négociations, boycottage de la présidentielle du 21 décembre… Contrairement à vos camarades de l’opposition, vous aviez pourtant accepté de participer aux législatives de juin 2002. L’UPR serait-elle en train de se radicaliser ?
S.D. : Je l’ai dit à plusieurs reprises et je le répète : les législatives et la présidentielle sont deux scrutins très différents. En participant à la consultation de juin 2002, nous savions qu’il y aurait des fraudes, mais que nous obtiendrions quand même quelques députés. Il était impensable que mon parti n’occupât aucun des 114 sièges de
l’Hémicycle. En revanche, pour la présidentielle, étant donné la tricherie institutionnalisée à laquelle se livre le pouvoir, nous n’avons aucune chance de remporter l’unique siège en jeu : le président sortant s’y cramponne en dépit du bon sens et de l’intérêt national. Inutile, dans ces conditions, de jeter l’argent [de la campagne électorale] par les fenêtres et d’exposer nos militants à la répression.

J.A.I. : Connaissez-vous le challenger de Lansana Conté ?
S.D. : Peu, très peu même.

J.A.I. : Qu’en pensez-vous ?
S.D. : Absolument rien, sinon que ceux qui voulaient un candidat unique face au président sortant sont servis !

J.A.I. : Avez-vous renoué des contacts avec vos amis du Front républicain pour l’alternance démocratique (FRAD)?
S.D. : Les contacts n’ont jamais été rompus avec la plupart, pour ne pas dire la totalité, des partis qui le composent.

J.A.I. : Comptez-vous rejoindre ses rangs ?
S.D. : Certainement pas. L’UPR n’entend pas intégrer la structure actuelle, je veux dire, dans sa forme et son fonctionnement actuels.

J.A.I. : On murmure que plusieurs leaders du FRAD vous tendent aujourd’hui la main…
S.D. : Vous savez, un homme avisé ne s’empresse pas forcément de saisir la main qu’on lui tend. Il convient d’abord de savoir si celui qui la tend est sincère et, surtout, où il se propose de vous conduire. Dans sa position actuelle, l’UPR se sent bien dans sa peau. Il se trouve que, sans être membre du FRAD, nous nous situons, par simple coïncidence et non à la suite d’une concertation, sur la même ligne politique que les autres partis d’opposition. L’essentiel est que l’unité d’action soit totale, qu’il n’y ait ni polémique ni divergence entre nous. Il ne nous paraît pas nécessaire d’être membre du FRAD pour engager le combat pour la démocratie et le changement.

J.A.I. : Pour l’efficacité du combat, ne serait-ce pas plus simple ?
S.D. : Ce n’est ni nécessaire ni utile. Nous pouvons parfaitement travailler avec le FRAD sans appartenir formellement à cette alliance qui s’est créée à notre insu, loin de nous sinon même contre nous. Mais puisque l’adversaire est toujours là et ne change pas, nous faisons preuve de réalisme et oublions notre ressentiment.

J.A.I. : Le FRAD n’exclut pas de faire appel à l’armée pour succéder à Lansana Conté. Vous n’y êtes pas favorables…
S.D. : C’est plus compliqué que cela. Il est vrai que certains « amis » du FRAD ont donné l’impression de souhaiter une prise du pouvoir par l’armée pour nous débarrasser du
régime malfaisant de Conté et abréger les souffrances de nos compatriotes. Mais ils ne sont pas partisans pour autant d’une dictature militaire ! Quant à nous, nous ne sommes
pas systématiquement opposés à toute présence de l’armée au pouvoir. Nous disons simplement qu’un parti démocratique et républicain comme le nôtre ne saurait inviter l’armée à prendre le pouvoir. Nous estimons que celle-ci sait ce qu’elle a à faire en certaines circonstances, quand la vie de la nation est en cause, que le processus
démocratique est bloqué et l’unité nationale en péril. Il n’y a donc pas de divergence fondamentale entre l’UPR et le FRAD. Plutôt une différence dans l’approche, le langage, la manière de poser le problème de la succession. S’agissant du mécanisme institutionnel appelé à assurer l’intérim en cas de disparition de Conté, nous sommes tous d’accord : il importe peu qu’il soit d’origine civile ou militaire, l’essentiel est qu’il ne s’installe pas dans la durée, mais pour une période de six mois à un an. Sa mission doit être de mettre en place un gouvernement d’union nationale chargé de toiletter la Loi fondamentale
et d’organiser des élections enfin régulières, équitables et transparentes, sous l’égide d’une Commission nationale électorale indépendante et souveraine dotée de tous les pouvoirs, depuis l’établissement des listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats.

J.A.I. : Comment comptez-vous accélérer le processus démocratique ?
S.D. : Nous y réfléchissons, en sachant que ce n’est pas la prétendue présidentielle qui est susceptible de résoudre le problème. Chacun sait que la petite cuisine que mijote le ministre de l’Administration du territoire a pour seul objectif de tuer la démocratie. Et les démocrates avec !

J.A.I. : Que peut faire la communauté internationale ?
S.D. : Ses représentants qui vivent dans le pays voient bien, comme tout le monde, que la Guinée avance à reculons, que les Guinéens s’appauvrissent de jour en jour, souffrent de l’arbitraire et de la mauvaise gouvernance d’une dictature qui ne dit pas son nom. La communauté internationale doit se ressaisir, voler au secours de la Guinée, en faisant savoir aux tenants du régime en place que les choses ne peuvent plus continuer ainsi, qu’il faut arrêter le massacre avant qu’il ne soit trop tard. La moindre étincelle peut provoquer un embrasement que rien ni personne ne pourra arrêter.

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