Le mystère Kikhia, dix ans après

En décembre 1993, un ancien ministre de Kadhafi devenu opposant disparaissait au Caire. Sa famille n’a jamais renoncé à élucider l’affaire.

Publié le 5 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

« Cela fait dix ans que je cherche mon mari », raconte Baha avec émotion. Le 10 décembre 1993, dans la soirée, Mansour Kikhia, ancien ministre de Kadhafi entré en dissidence en 1980, quittait son hôtel du Caire pour ne plus jamais réapparaître. Depuis, son épouse Baha tente désespérément de percer le mystère qui entoure cette affaire.
Né en 1931 à Benghazi, dans l’est de la Libye, juriste de formation, ce francophone exilé à Paris avait entamé une carrière de diplomate sous la monarchie. Ambassadeur à Paris puis à Alger, il était devenu le représentant de la Libye auprès des Nations unies en 1965. Kadhafi le nomma ministre des Affaires étrangères en 1972. Huit ans plus tard, revenu à ses fonctions onusiennes, il quittait le Guide et passait à l’opposition.
Que s’est-il passé en décembre 1993 ? A-t-il été enlevé par des hommes de Kadhafi ? Par des opposants rivaux ? Est-il mort ou vivant ? Celle qui, au moment des faits, pointait un doigt accusateur vers Tripoli n’est aujourd’hui plus sûre de rien. « Logiquement, c’est du côté libyen qu’il faut chercher, dit-elle de sa voix rauque, mais, légalement, c’est en Égypte puisque c’est au Caire qu’il a disparu. »
Deux mois avant de se volatiliser, le militant avait réuni pour la première fois à Alger les deux principales figures de l’opposition libyenne, Mohamed Magarieff et le commandant El-Houni. Ils s’étaient quittés sur la promesse d’une nouvelle réunion à Genève en janvier. « Pour Kadhafi, Mansour devenait l’homme à abattre », affirme alors son épouse en guise d’explication. En décembre 1993, Baha se rend au Caire pour récupérer les affaires de son mari. « Il y avait sa mallette, son passeport et son insuline », explique-t-elle, en ajoutant qu’elle s’est fait dérober le passeport par des « émissaires de Moubarak ».
Citoyenne américaine d’origine syrienne, elle veut mettre ses enfants à l’abri et quitte Paris pour Washington. Commence un marathon international. Elle retourne au Caire deux fois. Le conseiller politique du président, Oussama El-Baz, affirme que les services secrets égyptiens ne savent rien, que Mansour a dû quitter le territoire librement, tout en suggérant une responsabilité libyenne. En 1996, elle engage une action en justice contre le ministère de l’Intérieur pour non-protection de ressortissant étranger menacé. On lui fait savoir qu’elle est désormais persona non grata. Ce qui ne l’empêchera pas de gagner son procès en appel en 1999. En juin 1994, elle sollicite Kadhafi. Audience accordée. Ce sera l’unique fois. « Depuis, le régime libyen nous offre le voyage tous les ans et nous installe à l’hôtel, explique son fils Rashid. Mais nous ne rencontrons que des seconds couteaux. »
À Washington, en février 1995, Baha rencontre le patron de la CIA et le président Bill Clinton. Deux ans plus tard, le département d’État lui fait parvenir un étrange bordereau : « Nous disposons d’informations récentes et crédibles indiquant que Mansour aurait été assassiné en Libye début 1994. Le corps a été éliminé. » Bien que sa provenance ait été soigneusement camouflée, la destinataire y voit la griffe de la CIA. Ce n’est pas une délivrance pour autant : « Sans preuves, c’est comme si ce bordereau n’existait pas. »
Le 13 septembre 1997, Ibrahim Bechari, l’ambassadeur libyen auprès de la Ligue arabe, trouve la mort au Caire dans un accident de voiture. En poste dans cette ville en 1993, cet ambassadeur, ancien numéro un des services spéciaux libyens et suspecté d’avoir enlevé Mansour, aurait-il été trop bavard ? Aujourd’hui encore, le mystère reste entier. Pourquoi Youssef Nejm, ambassadeur libyen en Égypte, dernière personne a avoir été vue avec Mansour le soir de sa disparition, a-t-il été arrêté puis relâché après quelques jours ? Pourquoi le patron des services spéciaux libyens Abdellah Snoussi et le commandant Messaratti ont-ils été aperçus au Caire en même temps que l’opposant sans avoir été jamais interrogés par la suite ?
Les enfants de Mansour Kikhia, Rashid et Jihane, aujourd’hui âgés d’une vingtaine d’années et installés avec leur mère à Paris, se posent à leur tour ces questions. « Seule la vérité nous apaisera, explique calmement Rashid. Lorsqu’une nouvelle génération politique aura pris la relève au Caire et à Tripoli, nous pourrons peut-être enfin résoudre l’énigme qui habite nos vies. »

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