Guerre aux ennemis de la paix !

Publié le 5 décembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Pour la première fois depuis des années, il y a une lueur d’espoir que la paix soit possible entre Arabes et Israéliens et que puisse cesser l’effroyable violence qui les oppose. Quelles sont les raisons de ce faible, très faible optimisme ? L’indication la plus intéressante est que le secrétaire d’État Colin Powell a accepté de rencontrer les deux principaux responsables de l’Accord de Genève, lancé publiquement le 1er décembre, le Palestinien Yasser Abed Rabbo et l’Israélien Yossi Beilin. La rencontre avec Powell, qui était prévue pour le vendredi 5 décembre à Washington, ne pourra que renforcer le « camp de la paix » du côté israélien comme du côté palestinien.
Powell est un vieux routier de Washington. Il sait se montrer aussi fin politique que dur à cuire. Pour la plus grande partie de ces deux dernières années, il a eu l’humiliation de voir la responsabilité de la politique américaine au Moyen-Orient passer entre les mains des faucons, et notamment du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, son principal rival dans l’administration Bush. Powell a assumé la défaite avec dignité. Ses amis l’ont poussé à démissionner, mais il a décidé de servir loyalement le président. À présent, son heure est venue. En acceptant de recevoir Beilin et Abed Rabbo, Powell a recouvré une certaine autorité sur la politique américaine au Moyen-Orient. Il a passé outre à l’insolence d’Ehoud Olmert, le vice-Premier ministre israélien, qui a déclaré à la radio : « Je pense que Powell commet une erreur. Je pense qu’il n’aide pas le processus [de paix]. Je pense que c’est un faux pas de l’administration américaine. » Surtout, Powell a bravé la fureur du Premier ministre Ariel Sharon et de ses amis de Washington.
Il a pu se le permettre parce que le président George W. Bush, qui connaît de graves difficultés en Irak – avec des contrecoups politiques aux États-Unis -, semble avoir décidé de relancer le processus de paix au Proche-Orient. L’insistance du Premier ministre britannique Tony Blair et peut-être l’espoir de quelques avantages électoraux ont pu persuader Bush de donner un peu de consistance à sa « vision » de la solution des deux États.
Powell a peut-être noté aussi que la diaspora juive dans le monde s’inquiète de plus en plus de la brutalité dont Sharon fait preuve à l’égard des Palestiniens. Beaucoup de Juifs commencent à se dire qu’elle alimente un nouvel antisémitisme, qui menace le respect et même la sécurité des Juifs dans de nombreux pays.
Il est frappant, par exemple, que le secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz, soutien d’Israël et faucon de Washington très en vue, se soit récemment montré plutôt favorable à l’Accord de Genève. Cela donne à penser que quelques néoconservateurs au moins ont compris que le mouvement national palestinien ne pouvait être défait par la force et que s’obstiner condamnerait Israël à une violence et à un isolement perpétuels.

La médiation du général Souleiman
Autre signal important en faveur de la paix : les rencontres qui ont repris, la semaine dernière, au Caire, entre des représentants des diverses factions palestiniennes, avec la médiation du général Omar Souleiman, chef des services de renseignements égyptiens. Le simple fait que ces rencontres aient lieu signifie que les Palestiniens de toutes tendances – du Fatah majoritaire aux mouvements islamistes durs, tels que le Hamas et le Djihad islamique, en passant par des groupes de gauche comme le Front populaire et le Front démocratique – ont résolument écarté toute possibilité de conflit armé entre eux. Ils savent tous qu’une guerre civile palestinienne ferait le jeu de Sharon. Mais ces rencontres signifient aussi que le Fatah a admis la nécessité de faire une place aux mouvements islamistes parmi les dirigeants palestiniens. Le soutien populaire considérable dont bénéficie le Hamas donnera du poids et de la légitimité à l’équipe palestinienne qui se prépare à négocier avec Israël.
Le général Souleiman n’a pas ménagé ses efforts pour jeter des ponts entre les factions palestiniennes et pour arracher le cessez-le-feu unilatéral palestinien de juin dernier, la houdna. Le 9 décembre, le Meretz, parti israélien de gauche, doit fusionner avec le Shahar (l’Aube) de Beilin pour former un nouveau parti social-démocrate appelé Yi’oud (acronyme des trois mots hébreux « Israël-démocratie-travail »). Ils espèrent que le nouveau parti attirera les colombes du plus ou moins défunt Parti travailliste pour former un nouveau et vigoureux mouvement de gauche-centre gauche.
Le ministre palestinien des Affaires étrangères Nabil Shaath a déclaré à Beyrouth, la semaine dernière, que l’Initiative de Genève contribuerait à refonder la gauche israélienne, et lui permettrait de se regrouper autour d’un programme commun et peut-être d’accéder au pouvoir. L’électorat israélien est, on le sait, volatil. Il est de plus en plus déçu par la politique de Sharon, qui n’a apporté à Israël ni la paix ni la sécurité, mais uniquement de graves difficultés économiques.

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Retour à la piste syrienne
Quatrième indice d’un nouvel espoir de paix : l’appel lancé aux États-Unis par le président Bachar el-Assad pour qu’on reprenne la piste syrienne du processus de paix. Dans une interview au New York Times, la semaine dernière, il a invité les Américains à être, au Moyen-Orient, une force de stabilité plutôt que de tension et leur a rappelé qu’« il ne peut y avoir de paix dans la région sans la Syrie ». Manifestement, le président syrien a pris conscience qu’il y a un mouvement en faveur de la paix qui prend de l’ampleur, et il veut y jouer un rôle, et même un rôle important, à la fois entre les Israéliens et les Arabes, et en Irak.
Les ennemis de la paix, cependant, se mobilisent eux aussi. En continuant de pourchasser et de massacrer les activistes palestiniens – ainsi que des civils innocents -, Sharon fait tout ce qu’il peut pour provoquer les militants palestiniens à riposter. Il ne se montre intéressé ni par un cessez-le-feu mutuel, ni par une négociation avec la Syrie qui entraînerait la restitution des hauteurs du Golan. Sa politique est de gagner du temps, tout le temps possible, pour garder le Golan et autant de Cisjordanie qu’il le peut avec le mur ou la barrière qu’il construit sournoisement en grignotant du territoire palestinien.
Dans son obsession de saboter l’Initiative de Genève, Sharon en est arrivé à défendre la feuille de route du Quartet, qu’il avait précédemment tenté de vider de sa substance avec quatorze « réserves ». En se précipitant à Moscou, il a aussi tenté – en vain – de persuader le président Vladimir Poutine de renoncer à faire entériner la feuille de route par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Finalement, la résolution présentée par les Russes a été adoptée à l’unanimité.
De même que la droite israélienne a traité Beilin de traître et réclamé son inculpation et sa condamnation, de même certains Palestiniens ont reproché à Abed Rabbo d’avoir bradé le « droit au retour » des Palestiniens. C’est un problème douloureux et fortement controversé auquel la Palestine doit maintenant s’attaquer, si elle veut un avenir meilleur. La Palestine où voudraient retourner de nombreux réfugiés n’existe plus. En outre, l’Intifada a poussé l’opinion israélienne à s’opposer au retour en Israël même d’un petit nombre de réfugiés. Les Israéliens les plus à gauche et les plus favorables à la paix rejettent totalement l’éventualité d’un afflux de Palestiniens. Prenant en compte cette réalité, les négociateurs israéliens de Genève ont accepté d’accorder à leurs partenaires palestiniens à peu près tout ce qu’ils demandaient : un État indépendant sur 97,5 % des territoires palestiniens ; un échange de terre pour les 2,5 % restants ; une partie de Jérusalem comme capitale de la Palestine ; la souveraineté sur le Haram el-Cherif (mont du Temple). Mais, en échange, ils ont exigé un retour sévèrement limité de réfugiés palestiniens en Israël même, afin de maintenir le caractère juif et démocratique de l’État.
Les Palestiniens qui considèrent le « droit au retour » comme un droit moral et historique, essentiel à l’identité palestinienne, doivent admettre qu’une telle revendication entraînera l’échec de n’importe quel plan de paix et condamnera une nouvelle génération de Palestiniens à de longues années supplémentaires d’expropriation et de misère.

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