Genève, côté coulisses
Trois cents délégués
Les deux délégations sont arrivées à Genève le 1er décembre, en début d’après-midi. Les Palestiniens, près de deux cents, précédés par Abed Rabbo, ont fait le voyage en deux
groupes : les premiers (Cisjordaniens) ont embarqué à Amman, les seconds (Gazaouis) ont pris l’avion au Caire. Les Israéliens, une centaine, sont partis, quant à eux, de Tel-Aviv. « Nous avions affrété un avion charter, raconte Claude Sitbon, l’un des promoteurs de l’Accord. Il y avait parmi nous d’anciens ministres, des députés, des écrivains, des
éditeurs, des chanteurs, des hommes d’affaires, des représentants de la société civile…
On se félicitait les uns les autres. Il y avait un tel enthousiasme que la plupart d’entre nous ont fait le voyage debout. » Les membres de la délégation ont-ils été conspués à leur arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv ? « Il y avait quelques personnes brandissant un panneau où était écrit un slogan hostile, pas plus », témoigne Claude Sitbon. En réponse à une question similaire, Qaddoura Farès, ministre palestinien sans
portefeuille, a déclaré que « les manifestations hostiles à l’Initiative ont réuni tout
au plus quelques centaines de personnes en Cisjordanie et à Gaza. D’ordinaire, le Hamas draine beaucoup plus de monde. Il faut donc relativiser l’opposition du peuple palestinien à l’Accord de Genève. »
En hommage à Bourguiba
Parmi les sept cents personnalités présentes dans la salle, il y avait trois Maghrébins : André Azoulay, conseiller du roi du Maroc, Mohamed el-Messari, ancien ministre marocain de
l’Information du gouvernement Youssoufi, invité par les autorités suisses, et Habib Bourguiba Junior, le fils de l’ex-président tunisien, décédé en avril 2000 et dont les Tunisiens ont fêté cette année le centenaire de la naissance. « Bibi Junior » figurait parmi les invités personnels de Yasser Abed Rabbo. Geste pour le moins significatif : le Palestinien, qui a vécu à Tunis entre 1982, date du départ de l’OLP de Beyrouth, et 1994,
date de son retour dans les Territoires, a bien connu Habib Bourguiba. Ce dernier, qui avait plaidé, dès 1947, pour l’acceptation du partage de la Palestine établi par les Nations unies, a longtemps été accusé de trahison par une majorité de l’élite politique et intellectuelle arabe. Son discours de 1965, à Ariha (Jéricho), en Cisjordanie, où il a essayé de remettre sur le tapis la même proposition, lui avait à nouveau valu une salve de critiques et d’accusations. Nul doute qu’en invitant son ami Habib Bourguiba Junior à
Genève, Abed Rabbo, qui fait aujourd’hui face à la même opposition parmi les siens pour pratiquement la même raison, entendait rendre hommage au père de l’indépendance tunisienne.
« Nuances » suisses
Officiellement, la Suisse n’est qu’un « facilitateur ». Berne ne se considère pas comme un « médiateur ». Ni comme un « pays hôte ». Il « assume des charges symboliques à
l’égard du document », selon l’expression d’un responsable du département fédéral des Affaires étrangères. En d’autres termes, la Suisse est la « gardienne » du texte, à la demande de ses promoteurs, mais pas son « dépositaire », comme elle l’est, par exemple, pour les Conventions de Genève. Les autorités suisses sont attachées à ces nuances, qui préservent leur neutralité de principe. Cela n’a pas empêché la ministre socialiste des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey de soutenir publiquement l’Initiative de Genève,
même si cela lui a valu des critiques de la part de certains parlementaires de droite, qui l’accusent d’écorner le « dogme » de la neutralité suisse. Ce qui, à l’approche des élections fédérales à Berne, est loin d’être un cadeau.
Où sont passés les Arabes ?
Une absence de taille au festin médiatique genevois : celle du prédicateur musulman Tariq Ramadan, qui n’a pas jugé utile de soutenir l’Initiative de Genève. On peut d’ailleurs s’étonner, en passant, de l’absence à cette kermesse d’autres militants altermondialistes
connus pour leur position propalestinienne, comme José Bové, pour ne citer que le plus célèbre d’entre eux. Autres absences de marque : celles des écrivains Tahar Ben Jelloun et
Amine Maalouf, pacifistes notoires et chantres du dialogue israélo-arabe. Aurait-on oublié de les inviter ? Leur présence aurait peut-être suppléé l’absence, fort remarquée celle-là, des hauts responsables politiques arabes.
Gauche caviar
En attendant de pouvoir s’entretenir avec les principaux intéressés qui étaient venus de si loin pour se rencontrer, parce qu’ils ne pouvaient se réunir chez eux , nos confrères se sont rabattus sur les icônes du microcosme politique et médiatique parisien :
Bernard-Henri Lévy, venu en jet privé, Alain Finkielkraut, Marek Halter, Hubert Védrine, Jack Lang, Bernard Kouchner, Patrick Bruel… Ces derniers, qui déambulaient dans les allées de l’hôtel Intercontinental et de l’Espace Sécheron, étaient, il est vrai, beaucoup
plus disponibles.
Combien ça coûte ?
Le département fédéral des Affaires étrangères a engagé environ 300 000 francs suisses
200 000 euros) pour assurer les frais occasionnés par les pourparlers entamés depuis la fin 2001 (billets d’avion, tâches de secrétariat, etc.). Pour la cérémonie du 1er décembre, il a déboursé encore près de 700 000 FS (environ 460 000 euros). Mais il ne financera pas l’impression et la distribution du document. Des privés et d’autres États devraient aussi mettre la main à la poche, précise-t-on à Berne. En précisant qu’à l’avenir les aides suisses à l’Initiative devraient transiter par le Centre Henry-Dunant pour le dialogue humanitaire, basé à Genève. Les membres des deux délégations ont regagné leur pays à l’issue de la cérémonie. Les organisateurs ne pouvaient supporter les frais d’hébergement des quelque trois cents délégués israéliens et palestiniens. « Nous avons dépensé des sommes énormes pour imprimer et distribuer en Israël 1,9 million d’exemplaires
de l’Accord, nous a expliqué un membre de la délégation israélienne. Nous avons eu des difficultés pour réunir l’argent nécessaire à l’affrètement d’un avion charter pour assurer le transport d’une centaine de personnes entre Tel-Aviv et Genève. L’opération est
très coûteuse, et nous ne pouvons compter que sur des appuis privés. »
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