Au coeur de l’épidémie

Pour la quatrième fois en deux ans, le nord du Congo-Brazzaville est touché par le virus meurtrier. Près de trente personnes sont déjà mortes.

Publié le 5 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Le 29 novembre, une petite fille de 5 ans entrait à « l’hôpital », terme pudiquement employé pour désigner le bâtiment réquisitionné afin d’isoler les malades de la fièvre Ebola. Elle y a rejoint sa mère et son petit frère de 16 mois déjà gravement atteints. Deux autres, dans un état critique, attendent la mort. Une fois qu’on est touché par le virus Ebola, l’issue est souvent fatale. Avec 90 % de mortalité, c’est l’un des virus les plus tueurs de la planète. Et des plus contagieux.
À Mbomo et à Mbanza, au nord-ouest du Congo-Brazzaville, on prie pour que l’épidémie s’arrête. Le 4 décembre, cinquante jours après la première alerte, 28 villageois ont été victimes du virus. C’est la quatrième fois depuis 2001 qu’il réapparaît dans cette région située à la frontière entre le Gabon et la République du Congo. En décembre 2001, il avait tué 22 personnes. Trois mois plus tard, 79. Mais, c’est lors de la dernière épidémie, en mai 2003, qu’il avait été le plus violent : 128 morts.
« Voilà deux ans qu’on n’a pas éteint le foyer dans cette région, reconnaît Youcef Aït-Chellouche, responsable des urgences et de l’action humanitaire au bureau Afrique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est un endroit où la forêt est dense. Il faut quatre jours pour s’y rendre depuis Brazzaville. » Pas facile, dans ces conditions, de mettre rapidement la main sur les personnes qui ont été en contact avec la maladie. Briser la chaîne de transmission est la condition nécessaire et suffisante pour endiguer l’épidémie. Ebola se transmet très facilement par les fluides (comme le sang, les excréments ou le sperme), mais n’est pas contagieux pendant l’incubation.
À Mbomo, le nombre de « contacts » s’élève à 100, et, mis à part les 28 déjà décédés, 20 d’entre eux sont considérés comme « suspects ». Ils ne rentrent à « l’hôpital » que s’ils développent des symptômes. « On ne met plus ces personnes en quarantaine aujourd’hui, parce qu’ils s’enfuient. C’est encore plus dangereux, explique Aït-Chellouche. On préfère les laisser chez elles et leur dire de se présenter au moindre signe de diarrhée ou de fièvre. » Idem pour l’unité d’isolement. « La première fois, on avait dressé des grands panneaux de plastique opaques autour du bâtiment, explique Paul Foreman, du bureau congolais de Médecins sans frontières (MSF). La population ne pouvait pas voir ce qui se passait à l’intérieur et nous accusait de tuer les malades. Maintenant, on met seulement des bandes de scotch rouge de signalisation pour interdire l’accès tout en laissant le bâtiment ouvert. »
« Les croyances des peuples de la forêt se télescopent avec les mesures de sécurité que nous leur demandons de prendre », explique Aït-Chellouche, avant de reconnaître que, pour couronner le tout, il y a encore beaucoup d’incertitudes sur le virus Ebola. Ce dont on est sûr, c’est qu’il fait des ravages parmi les grands singes, génétiquement proches de l’homme, et serait transmis par l’ingestion de viande de gorille, célèbre dans certaines tribus pour augmenter la virilité des hommes.
Si quelques récalcitrants continuent de croire aux vertus du primate, la plupart ont aujourd’hui trop peur de cette maladie contagieuse, qui entraîne une mort horrible, pour ne pas faire confiance aux médecins. Heureusement, car l’éradication totale de la maladie ne pourra se faire qu’avec la participation de la population au travail de prévention du corps médical. Encore faut-il, rappelle Paul Foreman, que les moyens matériels soient mis à la disposition des professionnels de la santé qui exercent toute l’année dans les régions où le virus circule. En deux ans, 6 infirmières congolaises sont mortes. « Pas par méconnaissance des symptômes, mais parce qu’elles n’avaient pas les moyens de se protéger. On leur envoie des boîtes de cinquante gants en plastique, là où elles auraient besoin du double pour une prévention minimale », s’insurge le représentant de MSF.
À Mbomo, les malades sont presque tous morts. Reste à savoir si les vingt « suspects » sont porteurs de la maladie, auquel cas il faudra encore remonter la chaîne. Mais une fois que l’épidémie aura été officiellement considérée comme endiguée, les médecins urgentistes et les autorités quitteront la région et laisseront les infirmières locales travailler, seules et sans moyens, contre toutes les autres maladies qui affectent la population. « Heureusement pour le Congo et le reste du monde, les villages où les épidémies se déclenchent sont éloignés des grosses concentrations de population. Malheureusement pour eux, on ne s’y intéresse que quand Ebola fait une apparition. Ils retournent ensuite dans l’ombre et l’indifférence totale… » regrette Paul Foreman. Et les habitants continuent à mourir du paludisme ou de la tuberculose. Des maladies beaucoup moins médiatiques.

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