Apprivoiser le désert

La mise en service prochaine de deux nouveaux tronçons routiers transformera la vie des habitants de cette partie du Sahara.

Publié le 5 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Fini les boussoles, les caravanes de chameaux et les dangereux voyages en Jeep à travers le désert le plus légendaire, mais aussi le plus inhospitalier de la planète. Il sera bientôt possible de se rendre de l’extrême nord du continent au coeur de l’Afrique subsaharienne en empruntant une route goudronnée à deux voies.
Si tout se déroule comme prévu, les usagers de cette Transsaharienne pourront embarquer sur un bateau en Espagne pour franchir le détroit de Gibraltar, puis traverser le Maroc et le Sahara occidental avant de parcourir 500 kilomètres dans le désert mauritanien. Ils pourront ensuite se diriger vers le Sud en suivant la côte atlantique jusqu’au Sénégal, ou en traversant la savane du Mali et du Niger jusqu’au Nigeria, où ils termineront leur voyage à Lagos, l’une des villes les plus peuplées du continent.
Des tronçons de cette route existent déjà au Maroc, dans la partie nord du Sahara occidental, ainsi qu’entre le sud de la Mauritanie et le Sénégal. La partie la plus difficile à réaliser traversera les dunes dorées du désert mauritanien, entre le port de Nouadhibou et la capitale Nouakchott. « C’est le début d’un combat contre le désert, explique Ahmed al-Fiki, un ingénieur mauritanien travaillant sur le projet Nouadhibou-Nouakchott. Le désert est un ennemi mortel de l’homme. »
L’homme et la nature se livrent ici une véritable bataille. Les bâches en nylon qui ont été tendues pour empêcher les dunes de recouvrir la route doivent sans cesse être réparées. Une grande partie des arbres plantés cette année pour servir de remparts contre le sable n’ont pas résisté. En raison de la forte amplitude thermique, la chaussée se rétrécit et se dilate quotidiennement. Résultat : il a fallu mettre en place un empierrement spécial, constitué de sable et de coquillages, pour empêcher la chaussée de se fendre. Lors des violentes tempêtes de sable qui assombrissent régulièrement le ciel, les barils de pétrole vides s’envolent dans le désert, endommageant sur leur passage le matériel de construction. Il arrive également qu’un ouvrier trébuche sur le corps d’un homme à moitié enfoui dans le sable, probablement mort de déshydratation.
Le gouvernement mauritanien espère que cette route attirera les touristes vers les villes anciennes et les beautés naturelles du pays. Il compte également sur le nouvel axe de communication pour faire baisser le prix des biens en provenance d’Afrique du Nord et d’Europe, ainsi que pour permettre à ses poissons et à son minerai de fer – les deux principaux postes d’exportation du pays – d’être acheminés plus facilement vers l’Europe. Si la route parvient à sortir du sable, des pays enclavés tels que le Mali et le Niger pourront également en tirer des avantages pour leur commerce et leur tourisme. Cette route, qui permettra aux Européens de se rendre plus facilement en Afrique, facilitera également la venue en Europe d’émigrants africains sans ressource – une perspective qui inquiète nombre de gouvernements européens. La Mauritanie est déjà un point de transit pour les Africains de l’Ouest, qui traversent le désert à pied ou en camion avant de tenter de franchir le détroit de Gibraltar dans des embarcations surchargées. Au péril de leur vie. Cette nouvelle voie de transport devrait augmenter le flot de ces voyageurs. « Certains immigrés s’arrêteront en Mauritanie, mais d’autres utiliseront la route pour aller plus loin », explique un diplomate occidental en poste en Mauritanie.
Le tronçon Nouadhibou-Nouakchott, dont le coût s’élève à 71,9 millions de dollars, est financé principalement par le Fonds arabe pour le développement économique et social, basé au Koweït, et par le gouvernement mauritanien. Il devrait être terminé à la fin de l’année. « Si Dieu le veut », ajoute le Mauritanien Cheick Ould Sid’Ahmed, directeur des travaux publics.
Un autre axe, plus modeste, reliant le sud de la Mauritanie au Mali est également en cours de construction. Il coûtera environ 21 millions de dollars, affirme Sid’Ahmed, et devrait être achevé en mars. À elles deux, ces routes relieront le nord et l’ouest de l’Afrique.
Les travaux sont loin d’être terminés. Dans certaines parties de la Mauritanie, les ouvriers ont uniquement tracé un passage dans le désert. Ailleurs, ils ont placé les premières couches de sable et de coquillage qui serviront d’empierrement. Par endroits, la chaussée est recouverte de bitume et les lignes de signalisation sont peintes en jaune vif. Les véhicules peuvent dès lors circuler. Pour l’instant, la route n’a pas de nom. Sid’Ahmed suggère de l’appeler « la route du Défi ».
La construction de cet axe routier a d’ores et déjà changé la vie au Sahara. Fiki a acheté un terrain le long de la route pour y construire une station-service. D’autres personnes, affirme-t-il, se sont également renseignées pour acquérir des parcelles de terrain. Mohamed En et ses voisins nomades ont amené leurs chameaux et leurs chèvres du village voisin et ont accroché un panneau bleu annonçant l’ouverture d’une auberge. C’est la présence de l’eau qui les a attirés. Un puits a en effet été creusé cette année par Arab Contractors, la société égyptienne assurant la construction de ce tronçon de route. Les nomades n’ont désormais plus besoin de parcourir 50 kilomètres dans le désert pour trouver de l’eau potable.
La possibilité de gagner de l’argent encourage aussi ces populations à rester. En a construit un petit magasin dont les étagères sont remplies de bouteilles d’eau minérale, de jus de fruits et de pièces détachées automobiles. Un de ses voisins vend de l’essence dans des jerricans. Un jeune homme, d’apparence oisive, propose à un touriste pendu à son appareil de le photographier pour une somme modique.
L’auberge n’est pour l’instant qu’une grande tente infestée de mouches et de criquets. Au menu pour le déjeuner : un grand plat de riz et de viande de chèvre, accompagné de lait de chameau. Fiki ne s’inquiète pas des dommages que la route pourrait occasionner au Sahara et de ses conséquences pour les gens qui vivent à ses portes depuis des siècles. « Le désert recouvre les deux tiers de ce pays, fait-il remarquer. Il n’est donc pas près de disparaître. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires