Sida : dans le désert aussi

Jusqu’à présent, les populations nomades et isolées n’avaient pas fait l’objet de politique de prévention du VIH adaptée. Une époque révolue.

Publié le 8 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Veille de foire à Hondoubomokoina, à une dizaine de kilomètres de Tombouctou, dans le nord du pays. Sur une dune bordant le Niger et ouvrant sur le désert, dans la – relative – fraîcheur de la nuit tombée depuis deux heures, des Touaregs s’affairent à mettre en marche un groupe électrogène. Il a pour mission d’alimenter une télévision et un magnétoscope installés sur un baril vide de 20 litres d’essence. Devant, piroguiers, Touaregs et tous les habitants du village, enfants compris, ont pris place, qui sur le sable, qui sur des nattes. La séance peut commencer. Sur l’écran défilent pendant trente minutes les images on ne peut plus réalistes de L’Épidémie de l’ombre, un film documentaire sur les infections sexuellement transmissibles (IST) et le sida. Aucune manifestation clinique de ces maladies n’est épargnée aux spectateurs. À la fin de la projection, un homme prend la parole et explique, en langue locale, les modes de transmission et de prévention du VIH. Puis il donne rendez-vous à tout le monde le lendemain, lors de la foire.
Cette initiative d’information sur le sida a été prise par l’association « Groupe Pivot/Santé Population » (GP/SP), qui lutte contre l’épidémie auprès des populations dites « à hauts risques ». Consacré lieu de rencontre de la pirogue et du chameau, Tombouctou est un carrefour : piroguiers du Niger allant de foire en foire, vendeuses ambulantes, Touaregs, autant de groupes isolés et, de fait, à l’écart des grandes campagnes nationales de lutte contre le sida.
Au Mali, où la prévalence n’est « que » de 1, 9 %, un taux faible comparé à celui de certains pays de la région, l’épidémie est jugée comme étant en début de généralisation. Et dans ces situations, la dispersion du virus est grandement facilitée par les populations nomades. D’où la nécessité de leur consacrer un programme spécifique. Ces initiatives destinées à des communautés, qui existaient mais souffraient d’un cruel manque de financements, sont désormais possibles grâce au programme « Sécuriser le futur » du laboratoire américain Bristol-Myers Squibb. L’association Groupe Pivot/Santé Population a choisi de privilégier l’éducation par les pairs. Comme l’explique le docteur Aïssa Touré, coordinatrice des associations financées par Sécuriser le futur dans le cadre du GP/SP, « au sein des populations régies par des castes, un discours sur la sexualité ne peut émaner de n’importe qui, et a fortiori pas d’un étranger ».
Jour de foire à Hondoubomokoina. Entre bêlements de chèvres et pétarades de mobylettes s’élève la voix d’un homme, puissante et affirmée, amplifiée par un mégaphone. Les Touaregs venus pour ce marché hebdomadaire se regroupent autour de l’orateur. L’homme, un pair éducateur de l’association GP/SP, parle du sida. Le discours est répété dans les trois langues utilisées par les populations locales, et les termes employés ne laissent aucune place à l’approximation. Il parle de sexe, de plaisir, de fécondation, de sang, de grossesse et de préservatif. S’excuse d’êter aussi crûment disert, mais rappelle les enjeux vitaux de son propos. À de nombreuses reprises, il parle de capotes. En sort même. Là, certaines femmes s’éloignent du cercle, les enfants rient, seuls les hommes adultes, stoïques, ne perdent pas un mot du pair éducateur. Puis, peu à peu, le cercle se reforme, et tous assistent, attentifs, à la démonstration de la pose de préservatif. Chose impensable il y a même deux ans, les pairs éducateurs n’hésitent plus à dérouler la capote sur un pénis en bois.
Aujourd’hui, le message passe, en tout cas bien mieux que jamais jusqu’ici. Les vendeuses ambulantes, prostituées occasionnelles, affirment n’avoir aucun rapport sexuel non protégé. « Et même s’ils refusent au début, expliquent-elles, ils finissent par accepter puisqu’ils ont un besoin impérieux à assouvir et qu’aucune d’entre nous n’accepte de faire l’amour sans préservatif. » Ces jeunes femmes de18 à 40 ans, elles aussi éducatrices auprès d’autres de leur âge, sont séronégatives, et comptent bien le rester.
Avant de laisser le public attentif vaquer à ses occupations commerçantes, les membres de l’association procèdent à un petit jeu. Il s’agit de répondre à des questions sur la transmission et les moyens de prévention. Outre les tee-shirts avec lesquels ils repartiront s’ils répondent correctement, ceux qui prennent le micro pour relever le défi acceptent surtout de s’afficher en pleine lumière.
Dans leurs messages, tous avancent en premier lieu l’abstinence, eu égard à la religion. Mais, précisent-ils, « nous vendons toujours beaucoup de capotes au terme de nos causeries ». Le prix ? 50 F CFA les trois ou quatre préservatifs. Une somme dont les pairs éducateurs conservent la moitié, moyen supplémentaire de les motiver à exercer leur mission d’éducateurs. Mais ils ne se contentent pas de distribuer des préservatifs. Lors des rencontres hebdomadaires auxquelles tout le monde, sans restriction, est accepté, ils répondent à toutes les questions. Aliou, un Touareg de 25 ans résidant à Tombouctou, est certain d’apporter des informations. « Quand j’ai été recruté en tant que pair éducateur, j’avais des notions, mais j’ai beaucoup appris au cours de la formation. » Désormais, Aliou transmet ses connaissances aux autres, surtout aux jeunes. « Avec les adultes plus âgés que moi, c’est beaucoup plus dur », explique-t-il. Lui aussi parle d’abstinence, mais n’y croit pas vraiment. « L’abstinence, c’est trop dur », explique-t-il en riant et en adressant un clin d’oeil entendu à une des jeunes vendeuses ambulantes présentes.
Visiblement, la communication sur le sida gagne en efficacité. L’époque où il était impossible d’en parler n’est pourtant pas si lointaine. Mais l’enjeu de la prévention est d’autant plus important que les traitements ne sont pas encore disponibles à large échelle (ils devraient l’être bientôt et gratuitement). Et cette amélioration de la perception du message préventif est en grande partie due à ce type de projets communautaires. Ailleurs, d’autres exemples attestent cette réussite. Ainsi de Gonse, un village burkinabè à une quinzaine de kilomètres de Ouagadougou, sur la route du Niger. S’ils sont sédentaires, les habitants n’en sont pas moins éloignés des structures de soins et de conseils. L’association Ceprofet a pris les choses en main. Les jours de marché, elle organise également des séances d’information, animées de danses, jeux de rôles, causeries mais aussi et surtout de démonstrations de pose de préservatifs. Là encore, le message, délivré en moré (la langue des Mossis) avec des exemples parlant à la population, passe bien. Même le chef du village âgé de « plus de 90 ans » est présent, écoute, et acquiesce. Il s’enflamme même. « Il faut faire barrage à cette maladie, martèle-t-il, s’en protéger et la rejeter. » La longue absence d’un tel discours était certainement liée à un manque d’information.

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