Rupture de trêve

Le président Bouteflika avait réclamé trois années de paix sociale pour remettre l’économie sur les rails. À en juger par le nombre des conflits en cours, c’est mal parti !

Publié le 8 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Abdelatif Benachenhou, le ministre algérien des Finances, a clairement annoncé la couleur, le 25 octobre : « Il n’y aura pas d’augmentations de salaire en 2005. » Cinq jours auparavant, le Conseil du gouvernement s’était, dans un communiqué, montré non moins catégorique : « Les grèves illimitées sont illégales, les meneurs sont passibles des tribunaux, et les grévistes risquent le licenciement. » Ces deux messages n’ont, en réalité, qu’un seul but : endiguer les mouvements de contestation qui se multiplient aux quatre coins du pays, alors que le débat sur le projet de loi de finances 2005 se poursuit à l’Assemblée nationale. Cette agitation sociale place les autorités en posture délicate. D’un côté, les caisses de l’État sont pleines : les réserves de change atteindront 40 milliards de dollars fin 2004. De l’autre, le gouvernement refuse de procéder aux augmentations salariales réclamées par plusieurs syndicats. Comment convaincre le citoyen moyen de se serrer toujours davantage la ceinture, alors que, depuis vingt ans, le pays n’a jamais connu une telle embellie financière ? Exercice à hauts risques.
Premier à passer à l’offensive : le secteur de la santé. Le 18 octobre, les hôpitaux sont totalement paralysés. Seuls les urgences et un service minimal sont assurés. Les grévistes revendiquent la mise en place d’un plan de carrière et, plus encore, une revalorisation de leurs salaires. Au passage, ils accusent le ministre de n’avoir pas tenu ses engagements, notamment en ce qui concerne le versement d’une indemnité hospitalière et d’une prime de performance. Ce dernier riposte en dénonçant un « détournement de grève » et la « pénalisation systématique du malade », qui, selon lui, en résulte.
« Nous ne sommes pas des gamins ! » s’indigne le Dr Mohamed Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP). De fait, avec un bac + 12 et dix-huit ans de carrière au compteur, Yousfi n’est pas précisément un débutant. En dépit d’offres alléchantes, il a toujours refusé de rejoindre le privé, où les salaires sont de trois à quatre fois supérieurs. Il gagne actuellement 54 000 DA (environ 540 euros). « Je parviens tout juste à nourrir ma famille et à acheter quelques vêtements. Acquérir des livres, voyager ou participer à des congrès ? Je n’y pense même pas », assure-t-il. Encore est-il loin d’être parmi les plus mal lotis. Dans certains hôpitaux, les agents sont payés 7 000 DA (70 euros). Soit sensiblement moins que le Smig, le salaire minimum garanti, fixé à 10 000 DA (100 euros).
Las des promesses non tenues, les personnels de santé ont donc décidé de frapper un grand coup et de se mettre en grève illimitée. Mais le gouvernement, qui a retenu la leçon du mouvement de protestation qui, l’an dernier, paralysa les collèges et les lycées et faillit déboucher sur une année blanche, ne manifeste aucune intention de « se laisser entraîner dans des revendications salariales démagogiques qui mettent en danger les finances publiques ». Sa réaction est brutale. Samedi 23 octobre, les syndicalistes sont convoqués à 20 heures par le tribunal d’El-Harrach, dans la banlieue d’Alger. Le procès est mené au pas de charge, et le verdict tombe, deux heures plus tard : arrêt de la grève et reprise immédiate du travail dans les hôpitaux. « L’ordre donné par le tribunal constitue pour le gouvernement une douteuse victoire », commente le Dr Besbas, un responsable syndical. Sa conséquence la plus évidente est en effet d’avoir rassemblé une dizaine d’organisations syndicales sur un mot d’ordre commun : le gouvernement viole la Constitution en remettant en question le droit de grève. « Les menaces et les intimidations n’ont jamais permis de régler les problèmes socioprofessionnels des travailleurs », peste Redouane Ousmane, le principal responsable du CLA, le syndicat automne des lycéens d’Alger.
Quoi qu’il en soit, la fermeté n’a pour l’instant pas permis de faire baisser la fièvre sociale. Dimanche 24 octobre, soit quatre jours après les mises en garde du gouvernement, les dockers, une corporation qui regroupe environ quinze mille salariés, ont débrayé pendant une demi-journée pour protester contre le projet de privatisation des ports. Un avertissement à prendre sans doute au sérieux au moment où les autorités s’apprêtent à donner un coup d’accélérateur aux réformes économiques, notamment dans le secteur des banques, du foncier et des hydrocarbures.
Autre foyer de tension : les chemins de fer. Durement affectée par les actes de sabotage perpétrés par les terroristes au cours de la dernière décennie et sérieusement concurrencée par les transporteurs privés, la SNTF a vu son chiffre d’affaires s’effondrer. Conséquence : les responsables syndicaux agitent le spectre d’un débrayage si rien n’est entrepris pour enrayer la catastrophe.
La multiplication des conflits est telle qu’il n’est pas interdit de se demander si le pacte économique et social souhaité par Abdelaziz Bouteflika n’est pas d’ores et déjà compromis. Pendant la campagne pour l’élection présidentielle, au mois d’avril, le chef de l’État avait en effet demandé aux salariés trois années de paix sociale afin de remettre l’économie sur les rails. La situation risque même de se compliquer avec la mise en oeuvre de la loi de finances 2005. Dès le mois de janvier, en effet, les prix des médicaments, du gaz, de l’électricité et de l’eau minérale vont augmenter… « Cette loi va saigner le citoyen », s’insurge un syndicaliste.
Comment le gouvernement va-t-il s’y prendre pour calmer le jeu ? Négocier, encore une fois, avec l’UGTA, le plus important syndicat du pays, et avec lui seul ? Risqué, comme en témoigne le semi-échec de la dernière rencontre entre les deux parties, à la mi-octobre. Engager officiellement le dialogue avec les syndicats autonomes ? Peu probable. Desserrer les cordons de la bourse et offrir un bonus à tous les salariés ? Cela paraît exclu. Le ministre des Finances n’a-t-il pas indiqué que « l’avenir se prépare en économisant le peu d’argent que rapportent les hydrocarbures » ?

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