Ecobank : hold-up à Lomé
Depuis le 22 janvier, les administrateurs sud-africains du groupe demandent ouvertement la tête du directeur général, Thierry Tanoh, et veulent renverser le conseil d’administration. L’assemblée générale extraordinaire du 3 mars sera décisive.
Mercredi 22 janvier, Lomé. Pour la dixième fois depuis juillet 2013 et le début de ce qu’il convient d’appeler « la crise » à Ecobank Transnational Incorporated (ETI, le holding du groupe), le conseil d’administration du groupe bancaire panafricain est réuni. Paulo Gomes, administrateur depuis plus de sept ans, annonce sa démission, officialisée le lendemain matin par un communiqué à l’attention des Bourses d’Accra et de Lagos ainsi que de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM, à Abidjan), où Ecobank est coté depuis fin 2006. Pas de surprise : candidat à l’élection présidentielle prévue le 16 mars dans son pays, le Bissau-Guinéen ne cache pas depuis plusieurs mois son intention de se retirer.
Pendant des années, le management n’a rendu de compte à presque personne
Trouble jeu
Ce 22 janvier, si la réunion dure jusqu’à la nuit tombée, c’est pour une tout autre raison. Des administrateurs demandent ouvertement le départ de Thierry Tanoh, directeur général de la banque : Daniel Matjila, qui représente le fonds de pension sud-africain Public Investment Corporation (PIC, premier actionnaire d’Ecobank), et Sipho Mseleku, un homme d’affaires, lui aussi sud-africain. Depuis quelques mois, leur jeu est trouble. Mais ce jour-là, leur objectif est clair : obtenir le départ de Thierry Tanoh avant la fin du conseil. L’offensive échoue, et ils quittent le siège d’Ecobank sans avoir abattu leur dernière carte : le nom d’un possible remplaçant.
Douze jours plus tard, nouvelle réunion à Lomé. Cette fois, les deux Sud-Africains mettent sur le tapis une nouvelle proposition : la démission de l’ensemble du conseil. Quelques heures plus tard, ils envoient un ordre du jour très clair pour une assemblée générale extraordinaire convoquée en urgence pour le 3 mars.
Selon leur plan, le conseil passerait de quatorze à huit membres. « Il y a une tentative de changer l’intégralité du conseil », confirme un proche du groupe. Indignés par l’évolution des choses, deux administrateurs, Babatunde Ademola Ajibade et Isyaku Umar, ont présenté leur démission le 6 février.
La configuration proposée scellerait en effet la prise de contrôle du conseil d’administration par les Sud-Africains. « Ils ont fait partir le président [Kolapo Lawson], ils veulent faire sauter le conseil d’administration. Le suivant, c’est le directeur général », tranche un proche de Thierry Tanoh – qui a pris les rênes du groupe à la fin de 2012.
Depuis juillet, la guerre de tranchées déclenchée par la volonté du nouveau patron d’Ecobank de se séparer de Laurence do Rego, à l’époque directrice Finance et Risques, n’a jamais réellement cessé. « C’est un conflit entre anciens et nouveaux, décrypte un très haut responsable du groupe. Le nouveau directeur général est perçu par l’ancien [Arnold Ekpe] comme voulant auditer sa gestion… »
Kolapo Lawson, le président du conseil d’administration poussé à la démission en octobre dernier, ne cache pas que l’ex-patron emblématique du groupe panafricain lui aurait promis une guerre nucléaire. D’ailleurs, Sipho Mseleku a avoué être lié à Ekpe. Les deux hommes projetaient de créer un fonds de plusieurs centaines de millions de dollars, dans lequel PIC aurait investi.
Quant aux accusations portées par Laurence do Rego contre Kolapo Lawson et Thierry Tanoh (tentative de manipulation de comptes et de cession d’actifs à bas prix, entre autres), elles sont perçues par nombre d’observateurs comme téléguidées par Ekpe. Joints par Jeune Afrique, les avocats de l’ex-administratrice exécutive d’Ecobank nient cependant toute manipulation.
Une chose est certaine : avec une réunion du conseil d’administration tous les quinze jours en moyenne depuis le début de la crise, au lieu de tous les deux mois en temps normal, Thierry Tanoh a été maintenu constamment sous pression. À ses proches, ce dernier avoue d’ailleurs une forme d’épuisement face à cette situation qui l’empêche en grande partie de se consacrer à la gestion du groupe.
« Heureusement que c’est un groupe solide avec de bons fondamentaux », souligne un investisseur africain qui connaît bien l’institution. Les résultats sont excellents et le monde de la finance reste confiant. Le potentiel de croissance est connu : le Nigeria représente 44 % des actifs mais seulement 27 % des profits, l’expansion en Afrique de l’Est n’a toujours pas porté ses fruits et les activités y restent déficitaires… Une meilleure maîtrise des coûts permettrait aussi de dégager davantage de bénéfices.
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Mais depuis longtemps, le problème principal d’Ecobank, c’est la gouvernance. La Securities & Exchange Commission (SEC), régulateur du marché financier nigérian, estimerait que de tous les administrateurs du groupe, un seul est réellement indépendant. Pendant des années, le management a été tout-puissant, ne rendant compte à presque personne.
Dans une note diffusée le 31 janvier, l’agence de notation Fitch a aussi souligné la situation paradoxale d’un groupe panafricain comme Ecobank, présent dans 34 pays et soumis à la supervision de 21 régulateurs. Dans la crise actuelle, seul le nigérian s’est penché sur le dossier. Chez les autres, silence radio.
Actionnariat dilué
Le problème d’Ecobank, « c’est aussi celui d’un groupe dont l’actionnariat est dilué », décrypte un banquier. Un groupe qui suscite la convoitise de grands investisseurs. Les intentions du géant bancaire sud-africain Nedbank, qui entend d’ici à la fin de l’année s’offrir 20 % du capital d’Ecobank, notamment en convertissant le prêt de 285 millions de dollars (alors environ 213 millions d’euros) qu’il lui avait accordé en décembre 2011, inquiètent. Celles d’Atlas Mara, ce véhicule d’investissement doté de 325 millions de dollars (lire ci-contre), ne rassurent pas non plus.
Ecobank : les affaires continuent
Le conflit au plus haut niveau semble n’avoir que peu d’effets sur les résultats. Et malgré une légère baisse du cours du titre, les analystes restent optimistes.
Dans quelques semaines, Ecobank Transnational Incorporated (ETI) devrait annoncer pour son exercice 2013 des résultats record. Sur la période, le bénéfice net du groupe panafricain est en hausse de 65 % par rapport aux neuf premiers mois de 2012, à 250 millions de dollars (185 millions d’euros). Le produit net bancaire, lui, progresse de 24 % pour avoisiner 1,5 milliard de dollars.
Reste une inconnue, qui pourrait faire basculer le scénario échafaudé par les Sud-Africains : le comportement de la Société financière internationale (IFC). La filiale du groupe Banque mondiale spécialisée dans le secteur privé détient, en comptant les fonds qu’elle gère, 14,2 % du capital du groupe, ce qui fait d’elle son deuxième actionnaire institutionnel. En incluant les prêts, son exposition totale serait de l’ordre de 500 millions de dollars, selon des chiffres divulgués il y a quelques mois par un responsable d’IFC au groupe de presse sud-africain Business Day.
Pour un autre des dirigeants de l’institution, « il y a aussi un symbole : celui de l’avenir d’un des seuls groupes vraiment panafricains ». Au sein du conseil d’administration, Assaad Jabre, qui représente la filiale de la Banque mondiale, s’oppose d’ailleurs ouvertement aux tentatives de putsch venues d’Afrique du Sud. IFC a beaucoup à perdre. Thierry Tanoh a travaillé pendant dix-sept ans pour l’institution, qui a salué son arrivée à la tête d’Ecobank comme un « signe de la reconnaissance des réalisations d’IFC en Afrique »…
Déballage
À ce jour, trois rapports d’audit sur la gouvernance au sein d’Ecobank ont été livrés : l’un réalisé par le cabinet KPMG à la demande de la SEC nigériane, les deux autres par l’International Institute for Management Development (IMD) de Lausanne et Ernst & Young. « La question de les rendre publics se pose mais tout n’est pas très positif pour la banque, loin de là », souligne quelqu’un qui a pu les consulter.
Un grand déballage mettrait PIC dans une position délicate, alors que le fonds de pension a déjà été mis en cause en Afrique du Sud pour des problèmes de gouvernance. Mais IFC serait également touché : comment expliquer qu’une telle institution, actionnaire d’Ecobank depuis 2009, ne soit pas parvenue à imposer des bonnes pratiques au sein du groupe ? Au moment où nous mettions sous presse, la recomposition du conseil d’administration n’avait toujours pas été décidée. Mais l’hypothèse d’un départ forcé de Thierry Tanoh reste dans tous les esprits.
Atlas Mara en embuscade
La question taraude le microcosme financier du continent depuis quelques semaines : Atlas Mara veut-il entrer au capital d’Ecobank ? Créé par le banquier américain Bob Diamond et le millionnaire anglo-ougandais Ashish Thakkar, ce fonds a levé en décembre dernier, sans difficulté, 325 millions de dollars (236 millions d’euros) avec un objectif très clair : racheter une banque africaine.
Tous les regards se sont tournés vers Lomé, siège du groupe panafricain. D’autant qu’Arnold Ekpe, ancien directeur général d’Ecobank, a été nommé président d’Atlas Mara… La cible de ces investisseurs « sera un établissement présent dans plusieurs pays mais pas forcément un groupe panafricain », a assuré une source proche du dossier au Financial Times fin 2013. « Une diversion », pense-t-on cependant au sein d’Ecobank. Avec ses 325 millions de dollars, Atlas Mara peut, par effet de levier, prendre une participation importante (entre 15 % et 20 %) dans le groupe, dont la capitalisation boursière est d’environ 2 milliards de dollars.
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