Industrialisation : quand la Zlecaf « tchipe » le système des brevets
Le patron de la Zone de libre-échange continentale africaine vient de jeter un pavé dans la mare du système de propriété intellectuelle. Brandissant les enseignements tirés de la pandémie, il accuse le principe des brevets d’entraver le développement du continent.
Quand le conjoncturel télescope le structurel, comment séparer le bon grain idéologique de l’ivraie populiste ? En Afrique du Sud, en marge d’une conférence sur la reprise économique post-pandémie, le patron de la toute jeune Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) – mise en place le 1er janvier dernier – vient de fustiger le système « dépassé » des droits de propriété intellectuelle qui empêcherait le continent de faire un bond en matière d’industrialisation.
Covid-19 et libre-échange
Pas besoin d’être doctorant en économie pour comprendre que la rémunération des idées et inventions via les brevets, même à durée déterminée, est censée susciter l’innovation. Y renoncer ne serait-ce que partiellement ne reviendrait-il pas à céder à une idéologie économique porteuse de déréglementation collective et d’« uberisation » des parcours individuels ?
À l’heure où des lames de fond politiques condamnent les expériences ultralibérales imposées à l’Afrique ou prônent une décroissance parfois teintée de protectionnisme, une zone de libre-échange porte dans ses gênes une dose naturelle de dérégulation. Et le secrétaire général de la zone, Wamkele Mene, sait que le Covid-19 est passé par là…
Environ 4 % des Africains sont entièrement vaccinés contre le virus, contre 60 % des populations des pays « développés ». Et une part importante de l’opinion internationale, Joe Biden et Emmanuel Macron en tête, soutient la demande de levée des brevets portant sur les vaccins anti-Covid afin de permettre aux pays à faibles revenus de fabriquer localement des génériques moins chers.
Devrait-il exister une éventuelle exception appliquée au « continent noir » ?
Devrait-il n’y avoir, sur les questions de licences obligatoires et de transfert de technologies, qu’une nécessaire exception pharmaceutique liée à l’urgence d’une situation sanitaire, au grand dam des laboratoires obéissant à des impératifs de rentabilité ? Devrait-il exister une éventuelle exception appliquée au « continent noir », Wamkele Mene indiquant que « le régime des droits de propriété intellectuelle est dépassé, en particulier pour l’Afrique » ?
Il est sain de discuter ces questions en permanence, sur le principe et sur les termes, les activistes ayant obtenu, par exemple, la non-brevetabilité des plantes et des animaux nés par croisement. Tout ne se brevète pas…
La déclaration du secrétaire général sera-t-elle un coup d’épée dans l’eau ? Certes, présentée comme le plus grand marché unique du monde par le nombre de pays membres, la zone a beau jeu de donner de la voix, sur un continent où les populations critiquent largement les actions des organisations supranationales politiques ou économiques. Mais si 40 pays ont ratifié l’accord de libre-échange, seuls le Ghana, l’Égypte et le Kenya ont formellement révisé leur législation douanière. Les années à venir diront si le coup de gueule de Wamkele Mene sur les brevets ne relève que d’une chimère économique.
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