Quatre ans (1461 jours)

Publié le 8 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Exerçant leurs droits constitutionnel et démocratique, la majorité des Américains nous a donc condamnés, le 2 novembre 2004, à quatre ans de Bush.
Plus précisément, à quatre ans de plus de George W. Bush.
L’homme qu’ils ont réélu pour un second mandat (de quatre ans) croit qu’il a été choisi par (son) Dieu pour sauver l’Amérique de la dépravation, pour diriger la guerre contre le terrorisme – et pour… libérer les Arabo-Musulmans des chaînes dans lesquelles leurs dictateurs les ont enserrés.
Il le dit, en tout cas.
Notons tout d’abord que le même George W. Bush et son parti contrôleront, en plus de l’exécutif, le pouvoir législatif (Chambre des représentants et Sénat) et, par les nominations auxquelles le président réélu pourra procéder, la Cour suprême de justice.
L’Amérique nous a donné George W. Bush comme chef du monde, mais elle s’est aussi donnée à lui.

Il ne faut pas croire pour autant que George W. Bush a bénéficié d’un raz-de-marée électoral. Ont voté pour lui 59 millions d’Américains, c’est-à-dire seulement un gros tiers des électeurs inscrits, alors qu’un petit tiers (55,5 millions) a voté pour son concurrent, John Kerry, et que le dernier tiers… s’est abstenu.
La majorité des peuples du monde sont d’autant plus consternés qu’ils avaient espéré la victoire de John Kerry, mais la plupart des dirigeants de la planète, en particulier ceux d’Afrique et du monde arabo-musulman, ainsi que ceux d’Europe de l’Est – les uns et les autres comptent parmi eux beaucoup de tyrans -, sont ravis ou, à tout le moins, soulagés (voir pages 10-16, l’enquête de François Soudan).
Quant à Oussama Ben Laden, il restera l’homme qui, par ce qu’il a osé perpétrer le 11 septembre 2001, a donné son « sacre » à George W. Bush et dont l’apparition sur les écrans de télévision quatre jours avant le vote du 2 novembre 2004 a contribué peu ou prou à le faire réélire.

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Mais l’homme sans lequel George W. Bush n’aurait sans doute pas été réélu est américain. Il a pour nom Karl Rove, et nous vous l’avons déjà présenté : un manipulateur de très grand talent, un stratège électoral sans égal.
Seul contre tous les autres conseillers de Bush, il lui a enjoint de creuser le même sillon : se faire adopter par la droite chrétienne conservatrice et la masse des travailleurs qui forment l’ossature du pays et constituent « l’Amérique profonde ». C’est cette Amérique-là qui s’est reconnue en George W. Bush, s’est identifiée à lui et l’a élu.
À côté de lui, ne le quittant pas d’une semelle, le président réélu aura l’homme qui tient le volant de la Maison Blanche et gouverne l’Amérique depuis 2001 : l’ultraconservateur et très cynique vice-président Dick Cheney, âme damnée de la famille Bush.
Karl Rove-George W. Bush-Dick Cheney et la toujours présente Condoleezza Rice – trois hommes blancs et une femme noire – sont le noyau central, le coeur du pouvoir américain pour les quatre prochaines années. Et, par ricochet, les maîtres du monde.

À quoi devons-nous nous attendre ? À ce que nous avons connu et subi depuis 2001, en pire. C’est, en tout cas, mon avis, car pas une seconde je ne crois en un George W. Bush bonifié par sa victoire, assagi par le fait qu’il n’a plus d’échéance électorale.
Esprit simple, conservateur jusqu’au bout des ongles, intégriste dans l’âme, entouré de plus conservateur et intégriste que lui, il se dévouera à la mission que son Dieu, croit-il, lui a confiée : une « guerre contre le terrorisme » aussi aveugle que lui, un soutien inconditionnel à Ariel Sharon, et encore plus de guerre en Irak.
Ceux qui, comme l’Iran ou la Syrie, ou bien encore Cuba, s’obstineront à ne pas être « avec nous » seront traités par « le bâton » ; à l’inverse, recevront des carottes « ceux qui se rangent sous notre bannière », qu’ils se nomment Karzaï, Musharraf, Kadhafi, Allaoui, Chalabi.
Cela pour le quotidien, le « day to day », comme ils disent.

Mais il y a, en plus, selon mes informations, un « grand dessein », pas encore à l’état de plan, mais qui ne va pas tarder à le devenir. Ce sera, je pense, le « cahier des charges » du second mandat de George W. Bush.
Son auteur est le ténébreux Dick Cheney, cité plus haut. Il théorise en silence : De même que, pour nos aînés, l’ennemi n’était pas l’Union soviétique, mais le communisme, pour nous, en 2004, l’ennemi n’est pas l’islamisme, ni (seulement) Ben Laden, c’est l’islam. Pour le vaincre, il faut le diviser, comme Nixon puis Reagan ont divisé le communisme, en dissociant la Chine de l’URSS.
Les musulmans et les Arabes se répartissent entre sunnites et chiites, et il y a aussi les Kurdes. Il nous faut jouer les chiites et les Kurdes, dont nous ferons des clients ou des alliés, contre les sunnites.
Les chiites constituent la majorité de la population en Irak, et nous allons les faire accéder au pouvoir, pour la première fois depuis des siècles ; en Iran, c’est toute la population qui est chiite. Il nous suffira de la libérer de ses dirigeants actuels pour la mettre de notre côté.
Nous aurons alors avec nous un bloc chiite de près de cent millions d’hommes et de femmes – assis sur le quart des réserves mondiales de pétrole – et qui ne sont pas sans influence sur les minorités chiites opprimées d’Afghanistan, du Pakistan, de Syrie, du Liban et des autres pays du Moyen-Orient.
Lorsque nous aurons réussi à faire des chiites et des Kurdes nos alliés et nos clients, nous aurons enfoncé un coin dans cet islam hostile, nous l’aurons « cassé ».
Il sera alors plus aisé de le vaincre et de le réduire.
Démesuré et machiavélique, le « grand dessein » décrit ci-dessus a été conçu par Dick Cheney et mis en chantier au cours du premier mandat de George W. Bush.
La victoire électorale « historique » que les deux hommes viennent de remporter leur donne 1 461 jours de plus. Ils vont pouvoir le réaliser pleinement si les dirigeants des pays arabes et musulmans restent aussi passifs qu’ils l’ont été jusqu’ici, si leurs peuples se laissent diviser.

« Combien de milliers ou de dizaines de milliers de morts ? » Si vous en êtes encore à vous poser cette question, c’est que vous n’avez pas compris que Bush et Cheney sont en parfaite harmonie avec Ben Laden : il combat « les infidèles » et ne fait pas de quartier ; ils sont en « guerre mondiale contre le terrorisme », la conduisent sans pitié et ne se préoccupent ni du nombre des victimes, ni du droit des individus et des nations.

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2004-2008 : quatre années, mille quatre cent soixante et un jours qui promettent d’être chahutés et dont les ordonnateurs principaux, jusqu’à leur mort physique ou politique, ont des noms qui nous sont devenus familiers : Ben Laden, Zarqaoui, Bush, Cheney, Sharon, Berlusconi, Poutine…
Pauvres de nous.

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