Pourquoi Baker a échoué

Quand un ex-secrétaire d’Etat demande l’annulation des créances que sa propre société se proposait de gérer.

Publié le 10 novembre 2004 Lecture : 2 minutes.

Ancien secrétaire d’État (1989-1992) de Bush senior, James A. Baker III a été chargé, le 5 décembre 2003, par le président américain George W. Bush d’obtenir l’annulation presque totale de la dette irakienne. Il a ainsi voyagé au Moyen-Orient, en Europe et en Asie, où il a été reçu par des rois, des chefs d’État, des Premiers ministres, des ministres des Finances. En vain. Onze mois plus tard, aucun résultat concret n’a été enregistré. Les États-Unis sont toujours seuls à vouloir effacer 90 % à 95 % de la dette commerciale (estimée à 120 milliards de dollars). La France, soutenue désormais par la majorité des autres créanciers, propose une réduction immédiate de 50 % et un réexamen de la question en 2008. Le FMI se dérobe en proposant une fourchette de 65 % à 95 %.
Comment expliquer cet échec ?
Des journaux américains et britanniques, notamment The Nation et The Guardian, estiment que l’envoyé personnel de Bush ne pouvait pas réussir parce qu’il défendait en même temps les intérêts d’un autre employeur, la firme d’investissement Carlyle, spécialisée dans la gestion de fortunes privées et de fonds étatiques (un portefeuille de 20 milliards de dollars).
Baker figure en bonne place dans l’équipe dirigeante de Carlyle : avec une carrière politique de plus de vingt-cinq ans (département du Commerce, du Trésor, des Affaires étrangères, secrétaire général de la Maison Blanche), son carnet d’adresses et ses relations au plus haut niveau en font un excellent « agent commercial ». Ce n’est pas interdit aux États-Unis. Ce qui l’est, au contraire, c’est le cumul des fonctions publiques et privées. C’est ce qu’on appelle un « conflit d’intérêts ».
Baker savait que Carlyle négociait, au moment de sa nomination, la conclusion d’un accord avec le gouvernement koweïtien portant précisément sur la dette irakienne. Carlyle proposait aux autorités koweïtiennes de gérer pour leur compte le recouvrement de leurs créances sur l’Irak (30 milliards de dollars) et de défendre leur dossier « dommages de guerre » auprès des décideurs de l’ONU (27 milliards de dollars réclamés à l’Irak).
Cet ensemble de créances devait être transféré selon l’offre de Carlyle à un fonds créé par un consortium formé par Carlyle en association avec Madeleine Albright (un autre ex-secrétaire d’État) et d’autres partenaires. Ce consortium se chargerait du lobbying en faveur du Koweït, présenté comme un « cas spécial » aux membres du Conseil de sécurité.
En contrepartie, le consortium recevait une commission de 5 %, ou plus si le montant du recouvrement était plus élevé que prévu. À la signature du contrat, le gouvernement koweïtien devait verser 3 milliards de dollars en cash aux associés de Baker : 1 milliard à gérer librement par le groupe Carlyle sur une période de douze à quinze ans, 1 milliard pour le consortium Carlyle-Albright et 1 milliard pour un fonds d’environnement dont le but serait de placer le Koweït « en position de leader de la sauvegarde de l’environnement dans la région ». Pour faire bonne figure, Carlyle envisageait d’investir un peu en Irak en rachetant, par exemple, des entreprises publiques dont la privatisation est souhaitée par Washington.
Voilà pour l’offre Carlyle, parvenue au ministre koweïtien des Affaires étrangères le 21 janvier 2004, le jour même où Baker était reçu par le Premier ministre koweïtien. Il ne pouvait convaincre les autorités du Koweït d’effacer leurs créances sur l’Irak au moment où sa propre entreprise tentait d’en obtenir la gestion.

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