Paysage de campagne

De Niamey à Zinder en passant par Agadez, le pays vit au rythme des prochaines élections. Le premier tour de la présidentielle est fivé au 16 novembre et les législatives sont prévues le 4 décembre.

Publié le 8 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Dans un Niamey pourtant accablé par le soleil et le jeûne du ramadan (95 % des Nigériens sont musulmans), la campagne électorale a débuté tambour battant le 21 octobre. La veille, tard dans la soirée, les supporteurs des six candidats en lice ont arpenté les boulevards, désormais bitumés, de la capitale. Comme partout ailleurs, on colle des affiches et on pare la ville des couleurs des principaux partis. Les couleurs les plus répandues ? Le jaune et le vert du Mouvement nigérien pour la société de développement (MNSD-Nassara). L’ancien parti unique est en effet la formation politique la plus populaire et rassemble près du tiers de l’électorat. En deuxième position, on retrouve le rose du Parti nigérien pour le développement et le socialisme (PNSD-Tarraya) de l’ancien Premier ministre et ex-président de l’Assemblée nationale, Mahamadou Issoufou. Troisième couleur dominante, le vert de la Convention démocratique et sociale de Mahamane Ousmane, ancien président de la République, renversé en janvier 1996 par les militaires. Fanions et oriflammes des différentes formations se côtoient dans tous les quartiers et, après quinze jours de campagne, nul incident entre militants adverses n’a été signalé. « Il est vrai que le pays a vécu de longues périodes d’instabilité, note un diplomate fin connaisseur du Niger. Bien sûr, il a connu un « régicide », avec l’assassinat du président Ibrahim Maïnassara Baré, le 8 avril 1999, par un membre de sa garde personnelle. Mais la population est habituée aux consultations électorales. En une décennie, il y a eu trois présidentielles, autant de législatives et de référendums constitutionnels. Aucune campagne n’a suscité de graves dérapages. » Pourtant, les scrutins sont, cette fois-ci, porteurs de menaces. Même si ce n’est pas la fin de la cohabitation pacifique entre militants des différents partis qui risque de poser problème dans les quartiers populaires de Niamey, Zinder ou Maradi. Le problème se situe, une nouvelle fois, dans le nord du pays. Un début de rébellion sévit dans l’Aïr et des résidus du mouvement islamiste algérien GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) sont signalés de temps à autre. L’assurance qu’affichent les officiels (voir interview page 56) n’arrive pas à masquer la réalité de ce risque. La preuve ? Moumouni Boureima, chef d’état-major, promu récemment général de brigade par le président Mamadou Tandja, a entamé une mission dans les régions septentrionales du pays dès le 18 octobre. Objectif : parer à toute attaque durant la campagne électorale, qu’il s’agisse de rebelles touaregs ou du GSPC, en mal de « coups » spectaculaires. Il est vrai que les six candidats à la présidentielle ont envisagé d’organiser des meetings dans la région d’Agadez pour y pêcher des voix.
La campagne a débuté dans une ambiance relativement sereine, même si, dès le 21 octobre, les directeurs de staff de quatre candidats ont cosigné une déclaration publique pour dénoncer l’utilisation des moyens de l’État par le président sortant et l’accès inégal aux médias publics, notamment la télévision. Mais cette passe d’armes n’a pas provoqué de remous particuliers. Les quatre signataires n’ayant pas saisi la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) pour exposer leurs griefs, le président de cette institution, le magistrat Hamidou Salifou Kane, ne peut donc intervenir. « La loi ne prévoit pas d’autosaisine, précise-t-il. Si la plainte ne nous est pas adressée, nous ne pouvons intervenir. »
Au-delà de ces escarmouches habituelles, la campagne électorale déborde largement le terrain politique, pour devenir une fête à part entière, y compris pendant le ramadan. « C’est une période propice pour faire des affaires, une véritable aubaine pour les tailleurs », assure un commerçant de Niamey. Des kilomètres de tissu sont distribués par les états-majors de campagne à leurs militants. Ces derniers se fabriquent des vêtements – chemises, pantalons et pagnes – à l’effigie de leur champion, qu’ils portent à l’occasion des meetings populaires. Dans les Arènes de Tillabery, Mahamadou Tandja a rassemblé, le 21 octobre, plus de cinq mille personnes. Toute l’assistance était vêtue de tissus imprimés à la gloire de son candidat. Les manifestations populaires n’ont pas commencé pour tout le monde, et Mahamadou Issoufou préfère les salons cossus de l’hôtel Gaweye pour « vendre » son programme à la société civile, syndicats et organisations des droits de l’homme en tête. Une campagne électorale est également source de profit pour les transporteurs qui louent leurs véhicules à tous les candidats, sans états d’âme politique. Et s’il n’y a pas d’augmentation sensible des tirages de la presse indépendante, cela ne signifie pas pour autant un désintérêt de l’opinion publique pour ces élections qui restent assez ouvertes. Calculs et fantasmes alimentent les scénarios les plus invraisemblables.
Si l’on devait grossir le trait, la vie politique se résume à la compétition entre trois grands courants politiques, même s’il s’agit plus d’ambitions individuelles que de confrontations d’idées. Tout le monde, ou presque, est convaincu qu’il y aura un deuxième tour. Et chacun affirme connaître le tiercé gagnant. Mais dans le désordre. Au vu de l’envergure du MNSD et de la popularité, notamment dans le monde rural, du président sortant Mamadou Tandja, nul ne doute de sa présence au second tour, mais personne ne croit le « Vieux » capable de l’emporter dès le premier tour. Tout dépend donc de son score et de celui de ses deux principaux rivaux : l’opposant Mahamadou Issoufou ou l’allié d’hier, Mahamane Ousmane. Si le premier est qualifié pour le second tour, le scénario de 1999 devrait se rééditer, et l’alternance être renvoyée à une prochaine fois. En revanche, si l’allié surclasse l’opposant, l’alternance pourrait bien avoir lieu, car Mahamane Ousmane disposerait alors de sérieuses chances de retrouver le palais présidentiel d’où il a été chassé, par les militaires, en janvier 1996. Pourquoi une telle certitude ? L’opposant Mahamadou Issoufou est allé trop loin dans la critique du pouvoir pour appeler ses militants à accorder leur suffrage au président sortant. Pis : la campagne du PNDS est en train de virer au TST : « Tout sauf Tandja ! » Pourquoi tant de haine ? En fait, l’inimitié vise plus le dauphin que le monarque lui-même. « Un deuxième mandat de Tandja, analyse Mahamadou Issoufou, est la garantie de la reconduction de Hama Amadou aux affaires. Ce serait une catastrophe pour le pays. » Cette méfiance à l’égard du Premier ministre nourrit d’ailleurs les espoirs de victoire d’Issoufou. « Je ne suis pas sûr que le scénario de 1999 serait encore valable aujourd’hui, poursuit-il. Après cinq ans d’alliance avec le MNSD, Mahamane Ousmane a pu constater que ses partenaires n’ont pas tenu leurs engagements. Un ticket Issoufou-Ousmane n’est donc pas à écarter », prophétise l’opposant. Mais ces ardeurs sont tempérées par les propos de Mahamane Ousmane lui-même : « Notre alliance avec le MNSD a pris fin avec le début de la campagne électorale, mais rien n’empêche qu’elle soit reconduite. Car cette législature a été marquée par une parfaite harmonie entre nous. » Qui croire, dans ce pays où tout le monde s’est allié avec tout le monde, où les grandes figures du champ politique ont été tour à tour amies ou ennemies. Les uns allant même jusqu’à embastiller les autres, ou mettant fin bruyamment à une idylle sans raison apparente.
Parmi les « petits candidats », la curiosité la plus attendue tourne autour du score d’Amadou Cheiffou, chef du Rassemblement social-démocrate, né d’une scission de la CDS de Mahamane Ousmane. Chassant sur les terres électorales de ce dernier, Cheiffou négociera fermement son soutien pour l’un des deux candidats présents au second tour. Seule certitude, il est inimaginable de le voir participer à une coalition aux côtés de son ancien patron, Mahamane Ousmane. Résultat, l’élection présidentielle nigérienne reste ouverte. Compliquée, mais ouverte.

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