Mission accomplie

Le 15 novembre, les électeurs désigneront le successeur de Sam Nujoma à la tête du pays. Après quatorze ans au pouvoir, l’ancien cheminot quitte le devant de la scène salué par ses compatriotes.

Publié le 8 novembre 2004 Lecture : 6 minutes.

La campagne pour les élections présidentielle et législatives qui se tiendront les 15 et 16 novembre en Namibie ne passionne ni les foules ni la presse. À peine l’opposition a-t-elle critiqué la portion congrue de temps de parole qui lui est réservée sur les antennes nationales de télévision et de radio, menaçant non de boycotter les urnes, mais de déposer moult recours en annulation. Une démarche sans effet sur le scrutin présidentiel, tant la voie semble pavée devant Hifikepunye Pohamba, le poulain du chef de l’État sortant. L’actuel ministre des Terres a obtenu haut la main, en mai dernier, l’investiture de la South West African People’s Organization (Swapo). Sauf un improbable cataclysme de dernière minute, c’est lui qui reprendra le flambeau que tient depuis quatorze ans le président Sam Nujoma.
D’ailleurs, ce dernier ne disparaîtra pas complètement de la vie publique puisqu’il dirigera encore le parti jusqu’au terme de son mandat, fixé en 2007. Pas plus qu’il ne changera ses bonnes vieilles habitudes. Sam Nujoma est comme son ancien homologue, feu le président sénégalais Léopold Sédar Senghor : tous les matins, dès potron-minet, il fait une demi-heure de gymnastique, de « culture physique », comme l’on disait autrefois, devant sa fenêtre ouverte. S’ensuit un bon petit déjeuner, pas trop copieux mais sain et équilibré. Cette hygiène de vie du « père de la nation » se révèle une bonne façon de garder la forme lorsque pèsent sur ses épaules le poids des ans, additionné à celui d’un pays entier à faire prospérer. Le président Senghor s’est retiré des affaires à l’âge de 74 ans. Sam Nujoma a 75 ans et il a décidé, lui aussi, de céder son fauteuil à plus jeune que lui. Pas de beaucoup, Pohamba a quand même 68 ans.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, qu’on n’enterre pas tout de suite le vieux coureur de fond. Le visage rond et jovial du chef de l’État, son regard rieur que relèvent d’énormes lunettes à verres en loupe cachent un homme à jamais déterminé. Ses cheveux et sa barbe ont blanchi dans le combat politique, même s’il l’a mené davantage sur le front diplomatique que les armes à la main. Mais le résultat est là. Samuel Shafiishuna Nujoma, né le 12 mai 1929 dans un village de pasteurs du nord du pays, éduqué seulement par les missionnaires anglicans, a été le premier président élu de son pays.
Il a fait ses premières armes en s’engageant dans la lutte syndicale pour les droits des travailleurs au Cap, en Afrique du Sud, où il était steward pour la compagnie des chemins de fer. À cette époque, la Namibie s’appelle Sud-Ouest africain et, après avoir été colonie allemande, est tombée sous administration sud-africaine par le voeu de la Société des Nations, l’ancêtre des Nations unies. En 1955, Nujoma fait connaissance avec son compatriote Toïvo ya Toïvo, un homme que l’on peut comparer à Nelson Mandela : comme celui-ci, il affiche un très long séjour à la prison de Robben Island. Avec un troisième larron, Andreas Shipanga, ils créent l’Organisation du peuple de l’Ovamboland (OPO), ossature de la Swapo.
Le pouvoir sud-africain blanc n’aime pas les fortes têtes, surtout lorsqu’elles sont noires. En 1957, Nujoma perd son travail pour cause d’« agitation syndicale » et est renvoyé dans son pays. Mauvaise méthode pour se débarrasser d’un trublion. À Windhoek, il organise la résistance de la population noire aux projets de ségrégation du pouvoir. Cet épisode se conclut par la répression sanglante, en décembre 1959, d’une manifestation et le départ en exil du meneur Nujoma, d’abord au Botswana, puis au Ghana et, via le Liberia, aux États-Unis. Là, reçu par le Comité des Nations unies sur le Sud-Ouest africain, il adresse à l’assemblée une supplique en faveur de la fin de la domination sud-africaine.
Peine perdue, mais l’idée a été entendue. De retour en Tanzanie, Nujoma installe ce qui est devenu la Swapo à Dar es-Salaam. Les contacts noués notamment au Ghana avec Kwame Nkrumah portent leurs fruits et le parti, maintenant considéré comme la représentation officielle des aspirations profondes du peuple namibien, obtient une aide de la toute jeune Organisation de l’unité africaine (OUA). La lutte armée contre Pretoria s’engage en 1966. Elle fera officiellement 12 000 victimes.
De répression en résistance, d’exils en retours clandestins, Sam Nujoma mène un combat de longue haleine. Au fil des ans, il sera en contact avec tous les grands leaders qui construisent, peu à peu et parfois au prix fort, ce qui sera bientôt un continent entièrement indépendant. Il n’aura jamais la flamboyance intellectuelle d’un Jomo Kenyatta ou d’un Julius Nyerere, mais il sait ce qu’il veut. À force de conviction, de persuasion, mais aussi d’erreurs et d’hésitations, il permettra à son pays, à l’aube des années 1990, d’obtenir, enfin, sa place de cent soixantième État membre des Nations unies.
Élu par l’Assemblée constituante pour un premier mandat, Nujoma est perçu par ses compatriotes comme un modéré, un homme tranquille et bon, autant préoccupé par les problèmes politiques que par le sort des femmes et des enfants dans une société traditionnellement machiste. Il se montre particulièrement soucieux de préserver la stabilité du pays, qu’il sait être un élément déterminant, en cette fin du xxe siècle, pour rassurer les bailleurs de fonds, dont le concours est nécessaire à ses projets de développement durable.
Premier objectif, l’autosuffisance alimentaire. Il mouille sa chemise, sillonne le pays pour encourager les fermiers à défricher, à utiliser des engrais et des semences performants pour obtenir de meilleurs rendements, même s’ils doivent les payer plus cher. En deux ans, la Namibie augmente sa production de maïs de 50 % et celle de millet de 75 %. Des projets d’irrigation voient le jour. Les budgets santé et éducation font un bond de 30 % et deviennent parmi les plus élevés d’Afrique.
En 1994, il est réélu sans difficulté pour un second mandat. La Constitution prévoit que ce sera le dernier. Mais Nujoma a pris goût aux affaires et au pouvoir. En deux temps trois mouvements, il obtient une révision de la Loi fondamentale pour pouvoir en briguer un troisième. En 1999, il remporte l’élection haut la main en dépit du mécontentement populaire né de la persistance du chômage et des difficultés économiques. Des inquiétudes se forment dans cette jeune démocratie, le spectre de la présidence à vie se profile.
Les craintes de la classe politique ne sont pas sans fondement. Les luttes intestines au sein de la Swapo, le discours sans nuance du chef de l’État qui n’hésite pas à insulter les fermiers blancs ou les homosexuels, sa tendance à l’autocratie qui se traduit, par exemple, par sa décision personnelle de fournir un soutien militaire coûteux à la République démocratique du Congo voisine, rien n’est fait pour rassurer. S’il soutient par la parole son homologue et ami Robert Mugabe, notamment dans sa politique de réforme agraire, il se garde bien de mettre ses pieds dans les traces du bouillant Zimbabwéen. En Namibie, où 3 800 fermiers blancs possèdent la majeure partie des terres arables, la redistribution des terres se fait plutôt pacifiquement et de façon plus sensée, bien que plus lentement, qu’au Zimbabwe, grâce à une politique de recherche du compromis, avec compensations à la clé.
Domine par-dessus tout l’idée force qui a accompagné Sam Nujoma pendant tout son règne : la stabilité du pays avant tout. Moyennant quoi, il aura gagné sinon l’amour, du moins le respect de ses deux millions de compatriotes. Y compris ceux qui doutent toujours de ses véritables intentions à l’heure où il quitte la tête de l’État.

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