Mention bien pour Erdogan

Croissance record, réduction de la dette publique, chute de l’inflation… Les résultats économiques du gouvernement sont « époustouflants », dixit l’OCDE.

Publié le 10 novembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Recep Tayyip Erdogan est en passe de gagner son pari. Deux ans après sa prise de fonctions, le Premier ministre turc affiche des résultats à faire pâlir d’envie n’importe quel pays, à l’exception de la Chine. Un redressement d’autant plus spectaculaire que le pays était au bord de la ruine en 2001, avec une dette dépassant 90 % du Produit intérieur brut (PIB), une inflation de 70 % par an et une récession de 7 %
Le Fonds monétaire international avait alors sommé Ankara d’arrêter l’hémorragie et consenti, à la demande de Washington, une « aide de la dernière chance » de 13 milliards de dollars sur deux ans. Mais l’institution conditionnait son appui à la mise en uvre de réformes drastiques pour réduire les dépenses publiques et maîtriser l’inflation. Kemal Dervis, ancien numéro deux de la Banque mondiale, est appelé à la rescousse pour mener à bien les changements et remettre le pays sur les rails. De quoi rassurer les investisseurs dans un premier temps. Mais ce n’est pas suffisant pour le peuple turc : écuré par les jeux politiques, la corruption, le népotisme et l’impunité, il porte au pouvoir, en novembre 2002, les islamistes modérés du Parti de la justice et du développement (AKP).
Après quelques tâtonnements, le gouvernement Erdogan comprend vite qu’il faut poursuivre avec une grande fermeté la politique de rigueur pour rompre avec deux décennies d’instabilité économique. Mais l’ancien maire d’Istanbul est attendu au tournant par l’armée, très influente au sein du Conseil de sécurité nationale, qui rassemble les principaux responsables politiques et militaires du pays. Dans les chancelleries et les états-majors de l’armée, on n’hésite pas alors à jeter la suspicion sur les « islamistes » de l’AKP. On laisse entendre que le Premier ministre cache ses véritables desseins et on accuse déjà sans aucune preuve le ministre de l’Économie Ali Babacan et ses hommes, surnommés « Ali Babacan et les quarante voleurs », de vouloir faire main basse sur les richesses du pays. Au point de laisser craindre une nouvelle intervention de l’armée au moindre dérapage.
Mais les détracteurs de l’AKP en ont été pour leurs frais. « Les performances économiques réalisées par la Turquie depuis 2001 sont époustouflantes », indique l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans sa dernière étude sur le pays, publiée en octobre. Le club des nations industrialisées prévoit pour la Turquie une croissance de 8 % à 10 % cette année, contre 6 % en 2003. La dette publique a été ramenée à 68 % du PIB en 2004, et l’inflation fortement réduite. « Elle devrait être de 10,5 % en 2004 et de 8,5 % l’an prochain », pronostique le ministre des Finances, Kemal Unakitan. Pour marquer ce retour à la stabilité, les autorités ont annoncé, à la fin d’octobre, qu’elles allaient retirer six zéros à la lire et lancer, à partir de janvier 2005, une nouvelle gamme de billets et de pièces de monnaie.
Les activités économiques reprennent également des couleurs. Avec 14 millions de visiteurs étrangers, le tourisme a généré 13,2 milliards de dollars de revenus en 2003. Pour les six premiers mois de l’année 2004, la tendance s’est accélérée avec une augmentation de 43,5 % du nombre d’entrées. Le secteur textile, qui constitue la deuxième activité phare, est très dynamique. Il représente aujourd’hui 38 % des exportations et emploie trois millions de personnes, dont une partie de manière informelle. « À Istanbul, les habitations du quartier résidentiel de Sisli ont fait place aux ateliers. Plus personne n’habite la célèbre rue Sair Nedi, rebaptisée rue du textile, car les machines à coudre y tournent 24 heures sur 24 », témoigne une ancienne habitante.
Le pays dispose d’un énorme potentiel avec une population jeune près d’un Turc sur deux a moins de 25 ans , bien formée, flexible, et des coûts de production relativement bas. Il occupe une place charnière entre l’Europe, les pays de l’Est, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Mais la Turquie est en réalité au milieu du gué : les formalités administratives pour les entreprises sont encore beaucoup trop nombreuses et la corruption est solidement ancrée dans les murs. En outre, l’économie souterraine représente entre 30 % et 50 % du PIB et environ un tiers de la main-d’uvre. Les critiques ne manquent pas d’épingler le gouvernement pour son incapacité à endiguer ce phénomène en prenant des mesures efficaces visant à encourager les entreprises « fantômes » à se faire enregistrer et à veiller à ce que les employés payent leurs impôts. Pour les analystes, les prélèvements obligatoires sur les sociétés supérieurs à ceux pratiqués dans les pays les plus riches encouragent la main-d’uvre à travailler au noir et poussent des milliers de sociétés vers le secteur informel. L’impôt sur les entreprises est de 33 %, auquel s’ajoutent d’autres taxes prélevées indépendamment des résultats affichés par les compagnies. Un employé rémunéré au salaire mensuel minimum en vigueur, soit 318 millions de lires (168 euros), coûte 540 millions de lires (285 euros) à son employeur. En fait, les gouvernements successifs se sont contentés, pour assurer les rentrées fiscales, de doubler le taux de taxation des entreprises au lieu d’essayer d’élargir l’assiette des contribuables. Cela ne favorise pas non plus les investissements étrangers, qui se sont élevés à moins de 1 milliard de dollars entre 1993 et 2003.
« Ankara doit créer des conditions pour les investissements et l’activité économique comparables à celles de l’Union européenne », estime Peter Pesbar, de la Fédération des chambres de commerce allemandes. L’ouverture des négociations si elle est décidée en décembre 2004 en vue de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne obligera les autorités à poursuivre les réformes. Erdogan devrait bénéficier de l’appui de la population, 70 % des Turcs souhaitant, selon les sondages, rejoindre l’Union.

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