Couverture maladie en Afrique : les assurances privées ont leur rôle à jouer

Parallèlement à la mise en place de systèmes publics de couverture maladie, le rôle des compagnies privées est appelé à s’accroître. Paradoxe ? Pas vraiment.

Au centre de protection maternelle et infantile (PMI) à Dakar (Sénégal). © Sylvain Cherkaoui/JA

Au centre de protection maternelle et infantile (PMI) à Dakar (Sénégal). © Sylvain Cherkaoui/JA

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Publié le 19 février 2014 Lecture : 5 minutes.

« Nous n’avons même pas été consultés, en dépit de notre expérience et des grandes difficultés auxquelles se sont déjà heurtées les institutions de prévoyance sociale dans le passé. » L’instauration de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) – une promesse de campagne du président Macky Sall – n’a pas fait que des heureux, comme par exemple Sidi Faye, le patron de l’un des premiers assureurs du pays, NSIA Sénégal. Selon lui, une réforme aussi décisive n’aurait jamais dû être entérinée sans concertation préalable avec les assureurs privés. Pis : parce qu’elle vise une couverture globale et ne cible pas en priorité les plus démunis, elle favorise l’apparition d’une nouvelle concurrence, celle des mutuelles.

L’assurance maladie, un secteur stratégique ? Oui, mais pas forcément lucratif

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L’absence de concertation avec les assureurs privés est d’autant plus regrettable qu’ils sont souvent les seuls capables d’offrir des services d’assurance maladie. Généralement, le manque de couverture publique leur permet de proposer leurs services aux ménages les plus aisés. Résultat : ils ont développé un véritable savoir-faire. « C’est un métier très complexe.

Garantie

À la différence des autres branches de l’assurance, il ne s’agit pas uniquement d’évaluer et de dédommager des sinistres, mais de garantir une prise en charge, d’interagir avec les professionnels de la santé et de gérer des dossiers au quotidien », explique Mehdi Tazi, directeur général de l’assureur marocain CNIA Saada et secrétaire général de sa maison mère, Saham Finances.

Pour cette compagnie panafricaine, l’assurance santé est une activité en plein essor depuis plusieurs années. « Le nombre d’entreprises qui souscrivent à ces offres pour leurs salariés ne cesse d’augmenter, souligne Sidi Faye. C’est un avantage pour nous car nous prenons moins de risques financiers. Les soins d’un employé malade sont couverts par les cotisations des autres. »

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Pathé Dione : « Pas question de planter notre drapeau partout »

Pour Pathé Dione, le très sage PDG du groupe Sunu Assurances, trop de petites sociétés du secteur ne sont pas assez bien gérées. Avant de se lancer dans de nouvelles conquêtes, mieux vaut d’abord consolider les acquis !

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Jeune Afrique : Au cours des trente dernières années, quelle évolution de l’assurance au sud du Sahara vous a le plus marqué ?

Pathé Dione : En Afrique francophone, l’adoption d’une législation commune entre les 14 pays de la zone Cima [Conférence interafricaine des marchés d’assurances]. C’est d’ailleurs l’un des rares domaines où les États africains ont renoncé à leur souveraineté.

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Quant à l’assurance maladie pour les particuliers, elle reste très rarement proposée par les assureurs privés. « Ceux qui souscrivent sont principalement des personnes âgées, car elles sont plus susceptibles d’être en mauvaise santé », justifie Mehdi Tazi. Du coup, l’assurance individuelle est un produit souvent déficitaire. « Nous sommes obligés de mettre en place des clauses d’ajustement : si le client cotise 1 000 euros et que ses frais s’élèvent à 1 200 euros, il doit rembourser la différence », complète Pathé Dione, le PDG du groupe Sunu.

Nouveaux dispositifs

L’assurance maladie, un secteur stratégique ? Oui, mais pas forcément lucratif. « On ne peut pas dire que cette activité soit l’une des plus rentables, confirme Sidi Faye, mais en raison de sa complexité en matière de gestion elle est une manière de prouver la qualité de nos services. » Les grands assureurs ont ainsi développé un système de tiers payant qui permet d’avancer les frais de santé, tout en surveillant les prescriptions. Pour ce faire, NSIA emploie du personnel médical chargé de vérifier la cohérence des ordonnances pour limiter les abus dans un domaine où la fraude est répandue.

En outre, les assureurs explorent de plus en plus de nouvelles voies pour commercialiser cette offre, notamment via des applications pour mobiles. Une manière d’atteindre les populations les plus reculées grâce aux réseaux des opérateurs télécoms.

Ces partenariats permettent également de sécuriser les paiements. Au Kenya, le 22 janvier, Britam – le leader du marché de l’assurance dans le pays – a officialisé son association avec Safaricom, le premier opérateur de télécommunications du pays, Changamka, un fournisseur de technologies, et PSI, une ONG qui oeuvre à l’amélioration de la santé des populations à faibles revenus, pour offrir un service d’assurance maladie à quelque 35 millions de Kényans. Moyennant une cotisation de 102 euros par an, ce programme offre à ses clients une couverture maximale de 2 465 euros.

Proposer ses propres cliniques

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Chez Saham, toute l’organisation interne évolue pour assurer le développement des assurances santé (qui représentent 20 % de ses primes non-vie). Basé à Casablanca, le groupe s’est allié en janvier au français Cegedim, spécialiste des logiciels et des services consacrés à l’assurance des personnes, pour offrir une assistance à ses 22 filiales africaines.

Saham a également l’intention de prospérer sur le marché des cliniques. L’ambition du groupe est de pouvoir proposer, comme le font certains groupes portugais ou espagnols, une offre de soins dans ses propres cliniques.

Couverture sociale

Paradoxalement, c’est grâce à l’émergence du système public de couverture sociale que les assurances santé pourraient vraiment décoller. « Dans ce domaine, privé et public ont des intérêts convergents, confirme Thierry Roussay, directeur international de Cegedim Assurances. Pour le public, c’est un levier puissant de lutte contre les inégalités et la pauvreté. En ce sens, le régulateur doit définir le niveau de soins minimal pris en charge par l’État. Pour le privé, c’est la promesse d’une nouvelle clientèle attirée par l’offre de couverture complémentaire. »

« Il est hors de question que les assureurs jouent le rôle de la sécurité sociale », explique Pathé Dione

Un chantier que plusieurs pays – Algérie, Maroc, Tunisie, Mali, Gabon – ont déjà mené et que d’autres, comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Burkina, développent actuellement. « Il est hors de question que les assureurs jouent le rôle de la sécurité sociale, et il nous est impossible d’offrir à des populations aux faibles revenus des garanties en termes d’hospitalisation et de chirurgie », explique Pathé Dione.

Reste aux assureurs privés à trouver leur place dans ces nouveaux dispositifs. « Le potentiel est là quel que soit le modèle, souligne Mehdi Tazi. Au Maroc, le privé représente environ 300 millions d’euros de primes, soit moins de 1 % du marché. En Europe, la part du privé est dix fois supérieure. Le potentiel est immense. » Au sud du Sahara, où les systèmes se mettent en place, les assureurs peuvent jouer un rôle plus grand, au-delà de la gestion des complémentaires. Ils pourraient se voir déléguer en partie la gestion du système de base, dont l’indispensable lutte contre les fraudes.

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