Pathé Dione : « Pas question de planter notre drapeau partout »

Pour Pathé Dione, le très sage PDG du groupe Sunu Assurances, trop de petites sociétés du secteur ne sont pas assez bien gérées. Avant de se lancer dans de nouvelles conquêtes, mieux vaut d’abord consolider les acquis !

Pathé Dione a créé Colina Côte d’Ivoire, à la fin des années 1970. © Vincent Fournier/JA

Pathé Dione a créé Colina Côte d’Ivoire, à la fin des années 1970. © Vincent Fournier/JA

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Publié le 17 février 2014 Lecture : 6 minutes.

Pour rencontrer Pathé Dione, il faut se rendre en banlieue parisienne. C’est dans un modeste bâtiment de Saint-Maur-des-Fossés, à l’est de la capitale française, que le Franco-Sénégalais a développé Sunu Assurances, né du rachat au français Axa des filiales d’assurance vie, de Dakar à Douala, entre 1999 et 2004.

Entouré de son fils Karim et de Joël Amoussou, le directeur général délégué du groupe, Pathé Dione est depuis plus de trente ans un observateur privilégié du développement du secteur de l’assurance dans le sud du Sahara. À la fin des années 1970, il crée Colina Côte d’Ivoire, qui deviendra une dizaine d’années plus tard le groupe Colina. Au milieu des années 1980, il dirige les activités africaines de l’Union des assurances de Paris (UAP), au sein de laquelle il travaille avec Jean Kacou Diagou, aujourd’hui président de la Nouvelle Société interafricaine d’assurance (NSIA).

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Depuis quinze ans, Sunu trace son chemin : le chiffre d’affaires du groupe (qui emploie plus de 1 100 salariés dans 11 pays) est passé de 16 milliards de F CFA (environ 24 millions d’euros) en 1999 à 90 milliards en 2012, avec des bénéfices qui ont oscillé entre 2 et 4 milliards de F CFA ces dernières années. Mais, contrairement à certains concurrents, Pathé Dione n’a pas l’intention d’aller trop vite…

Propos recueillis par Frédéric Maury

Jeune Afrique : Au cours des trente dernières années, quelle évolution de l’assurance au sud du Sahara vous a le plus marqué ?

Pathé Dione : En Afrique francophone, l’adoption d’une législation commune entre les 14 pays de la zone Cima [Conférence interafricaine des marchés d’assurances]. À l’époque des indépendances, aucun pays n’avait encore élaboré de législation propre à l’assurance. En 1995, nous avons réalisé qu’il était nécessaire de créer des normes communes. Basée à Libreville, au Gabon, la Cima contrôle, donne ou retire son agrément. C’est d’ailleurs l’un des rares domaines où les États africains ont renoncé à leur souveraineté.

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Pourquoi le développement de ce secteur est-il si lent en Afrique ?

Pour des raisons essentiellement culturelles. Dans beaucoup de pays, il existe déjà une solidarité, une sorte de tontine. Par ailleurs, les gens ont mis du temps à accepter l’idée de percevoir de l’argent après la mort de l’un de leurs proches. Enfin, la loi qui oblige à contracter une assurance multirisque habitation ou automobile n’est pas toujours appliquée. La couverture continue néanmoins de s’améliorer progressivement grâce à une campagne de communication soutenue et à une meilleure compréhension de certaines problématiques telles que celle liée à la retraite.

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Dans certains pays,il existe déjà une solidarité, une sorte de tontine

Il y a aussi le problème de l’informel…

Il est difficile d’accorder une assurance à une personne qui a une activité non déclarée. Mais le potentiel est immense. Dans certains pays, l’informel pèse deux tiers de l’activité économique. Au sein de la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines [Fanaf], nous envisageons sérieusement de proposer des services adaptés.

Quels sont aujourd’hui les produits les plus porteurs pour le secteur ?

Pour l’activité « dommages », l’assurance automobile et habitation ainsi que la protection des biens devraient bien se développer. Quant à la partie « vie », nous espérons que l’épargne sera largement diffusée. Nous travaillons également avec les banques sur les assurances décès emprunteurs et sur des produits adossés aux cartes bancaires.

De plus, nous réalisons parfois un tirage au sort avec des personnes qui cotisent. Le gagnant touche immédiatement un capital sans avoir à attendre vingt ou trente ans. Évidemment, les autres participants conservent leur épargne. Appelé « capital tiré », ce produit a été testé en Côte d’Ivoire et au Gabon, et connaît un grand succès. Enfin, l’assurance maladie a de beaux jours devant elle, notamment dans le cadre de contrats proposés par les entreprises à leurs salariés.

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Que pensez-vous de la microassurance ?

Nous venons de créer Kajas, une institution de microfinance au Sénégal. Nous voulons d’abord tester cette activité. Si les résultats se révèlent satisfaisants, nous vendrons des produits qui accompagneront les prêts ou d’autres produits liés à la santé à des personnes dont l’accès aux soins est habituellement restreint.

Qu’en est-il de l’assurance via le téléphone mobile ?

Nous l’expérimentons avec Orange en Côte d’Ivoire et avec Tigo au Sénégal. Ce canal permet d’atteindre une population reculée. Une fois les contrats signés, les assureurs ont souvent du mal à collecter les versements. Une partie de la population n’a pas de compte bancaire et passe par des intermédiaires pas toujours fiables. Le paiement par mobile sécuriserait les transactions.

Y a-t-il trop d’acteurs pour ce petit marché ? L’augmentation du capital requis dans la zone Cima ne semble pas avoir changé la donne…

Il est vrai qu’il existe trop de petites sociétés, pas toujours bien gérées. L’augmentation de capital de 500 millions à 1 milliard de F CFA n’est pas parvenue à inciter les petites sociétés à fusionner comme prévu. Le passage à 2 milliards de F CFA est discuté. Néanmoins, cela reste beaucoup moins élevé que dans d’autres pays, comme au Ghana ou au Nigeria.

En deux ans, Saham, l’un de vos principaux concurrents, a récolté plusieurs centaines de millions d’euros pour accélérer son développement. C’est loin d’être votre cas. Pourquoi ?

Saham a levé cet argent pour acheter Colina et faire des acquisitions dans de nouveaux pays. À ses débuts, notre groupe a certes repris les filiales d’Axa, mais depuis nous préférons créer des filiales, comme ces dernières années en Guinée et au Mali. Et nous venons d’obtenir un agrément pour une activité vie au Burkina. C’est moins onéreux, et notre endettement reste faible : 8 millions d’euros pour 25 millions d’euros de capitaux propres.

Pourquoi ne pas racheter des concurrents ?

Nous réalisons parfois des acquisitions, mais il s’agit uniquement de sociétés que nous connaissons très bien. Au Sénégal, nous venons d’acquérir la Compagnie générale d’assurances (CGA), qui nous était très familière : nous assurions déjà son assistance technique. C’est néanmoins un exercice très difficile. Dans cette zone, il peut parfois y avoir de mauvaises surprises. Nous préférons maîtriser notre propre développement.

Il se peut très bien que ce soit Sunu qui ait les moyens et la volonté d’acquérir une société d’assurances au Maghreb

Sunu n’ouvrira donc pas son capital ?

Il pourrait le faire, mais les conditions seront déterminantes. Lorsqu’un capital-investisseur vient nous voir, nous nous interrogeons toujours sur la manière dont il compte ensuite céder sa participation.

Envisagez-vous de signer un partenariat capitalistique avec un grand groupe ?

Pour l’instant, les groupes maghrébins veulent surtout acheter. Ils ne souhaitent pas un partenariat avec nous. Et il se peut très bien que ce soit Sunu qui ait les moyens et la volonté d’acquérir une société d’assurances au Maghreb. Tout ce qui se fait au sud du Sahara n’a pas vocation à être systématiquement racheté par un groupe étranger.

Quelles sont vos priorités ?

Maintenant que nous avons une belle couverture francophone, nous voulons nous étendre en zone anglophone : au Nigeria, au Kenya, en Tanzanie, en créant des filiales.

Pensez-vous que les marchés anglophones sont les plus dynamiques ?

Les pays anglo-saxons sont plus porteurs. Dans un pays comme le Zimbabwe, par exemple, l’assurance se développe très vite.

Vous serez présents dans cette zone en 2014 ?

Non. Notre préoccupation est de consolider nos acquis. Il n’est pas question de planter notre drapeau partout. Si nous allons au Nigeria, nous devons nous y préparer très sérieusement avec des équipes qui connaissent bien le marché. D’ici à cinq ans, nous nous implanterons dans un pays anglophone. Enfin, nous attendons aussi la libéralisation du marché de la RD Congo.

Avez-vous d’autres objectifs ?

Continuer à équilibrer nos activités et à mieux répartir notre investissement entre les différents pays. Un pays ne doit pas représenter plus de 15 % de notre activité. La crise postélectorale qui a touché il y a trois ans le marché ivoirien, lequel représentait alors plus de la moitié de nos revenus, a bien failli nous faire couler. D’ailleurs, la Côte d’Ivoire représente toujours la moitié de notre chiffre d’affaires.

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