Guinée : et si la transition de Mamadi Doumbouya s’appuyait sur les femmes ?
Les nouveaux hommes forts de Conakry poursuivent les tractations autour du futur gouvernement post-Alpha Condé. Ils seraient bien inspirés de placer les femmes en son centre et de favoriser la parité dans tous les secteurs.
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Malado Kaba
Ancienne ministre guinéenne de l’Économie et des Finances (2016-2018), PCA d’Orabank Guinée. Membre de la cohorte inaugurale de l’Initiative Amujae, programme phare du Centre présidentiel Ellen Johnson Sirleaf pour les femmes et le développement.
Publié le 4 octobre 2021 Lecture : 5 minutes.
Après l’éviction du président guinéen Alpha Condé lors d’un coup d’État, le 5 septembre denier, le commandant des forces spéciales guinéennes, le colonel Mamadi Doumbouya, a ouvert une période de consultations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement. Des réunions ont été organisées avec des dirigeants des sphères politique, religieuse et économique, et j’ai moi-même participé à la réunion avec le secteur financier. Nous espérons que ce processus de consultation se traduira par un engagement résolu en faveur d’élections libres et équitables, un calendrier pour la transition vers un nouveau gouvernement démocratique, et des idées de réformes politiques et institutionnelles qui pourraient permettre de bâtir une démocratie forte et durable en Guinée. Ce que notre peuple, et les dirigeants à l’origine du coup d’État, disent vouloir.
La parité, une chance
Si le colonel Doumbouya souhaite vraiment « ne pas répéter les erreurs du passé », il devra, conjointement aux autres responsables, saisir cette opportunité pour mettre en œuvre les réformes fondamentales qui intégreront et autonomiseront très clairement les femmes. Même en cette période incertaine, il est indispensable de ne pas les oublier : elles seront, en définitive, bénéfiques pour tous les Guinéens.
L’autonomisation des femmes présente des avantages sociaux et sécuritaires importants
Un nouveau gouvernement qui désirerait s’appuyer sur les valeurs démocratiques et la transparence ne pourrait pas atteindre un tel objectif sans la participation égale des femmes. Il a été largement démontré que l’autonomisation des femmes présente des avantages sociaux et sécuritaires importants. Récemment, de nouvelles recherches ont montré que les sociétés qui oppriment les femmes (inégalité des droits de propriété, pratique du mariage précoce pour les filles, préférence pour les fils et indulgence face à la violence faite aux femmes) sont plus exposées à la violence et l’instabilité.
L’autonomisation des femmes présente également des avantages économiques : selon une projection de la Banque mondiale, la réduction des inégalités entre les sexes en Guinée pourrait entraîner une croissance du PIB par habitant de plus de 10 % d’ici à 2035.
Selon ONU Femmes, le cadre juridique de la Guinée présente de grosses lacunes lorsqu’il s’agit de promouvoir, faire appliquer et contrôler le respect de l’égalité entre les sexes, notamment en matière d’emploi et d’avantages économiques. La Guinée a fait des progrès en 2019 en adoptant une loi sur la parité pour les listes électorales. En février 2021, 31 % des ministres du gouvernement étaient des femmes, contre seulement 22 % en moyenne dans le monde et dans la Cedeao. Nous devons veiller à ne pas régresser et nous devons placer les femmes au centre des nouvelles structures de gouvernance qui se forment.
Nouvelles technologies et postes de direction
La Guinée (et d’autres nations africaines d’ailleurs) dispose de trois moyens pour soutenir l’inclusion financière et l’autonomisation des femmes, et renforcer ainsi la stabilité sociale et économique du pays. En premier lieu, les secteurs public et privé peuvent être proactifs en développant et en mettant en œuvre des politiques sensibles à la dimension de genre afin de renforcer considérablement l’inclusion des femmes. Les banques pourraient faciliter l’ouverture par les femmes de comptes personnels et professionnels en réexaminant les conditions requises. En collaboration avec les agences gouvernementales, les institutions financières pourraient développer des programmes ciblés pour les femmes entrepreneures qui cherchent à officialiser leurs activités commerciales, qu’elles soient de petite taille ou informelles.
Ces politiques doivent également concerner les nouvelles technologies. Selon le rapport 2021 sur les inégalités entre hommes et femmes dans la téléphonie mobile, l’écart entre les sexes dans l’utilisation de l’internet mobile en Afrique subsaharienne est de 27 %, ce qui signifie que les femmes ne profitent pas des services bancaires et commerciaux mobiles de la même manière que les hommes. La parité hommes-femmes concernant les ventes en ligne d’ici à 2025 permettrait d’ajouter près de 15 milliards de dollars au marché africain d’ici à 2030.
Dans le Parlement dissous de la Guinée, seuls 16,7 % des sièges étaient occupés par des femmes
Deuxièmement, il est nécessaire que le nombre de femmes occupant des postes de direction augmente. Dans le Parlement dissous de la Guinée, seuls 16,7 % des sièges étaient occupés par des femmes. D’après ma propre expérience au sein du gouvernement et dans des conseils d’administration guinéens, les quelques femmes directrices de banques et de compagnies d’assurance sont souvent éclipsées. L’augmentation du nombre de femmes aux postes de direction permettrait aux entreprises de mieux comprendre une clientèle largement inexploitée.
Les femmes sont également sous-représentées dans le secteur de la finance, comme dans le reste du monde. ONU Femmes et l’initiative de développement de l’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques ont constaté que les portefeuilles des finances sont détenus par des femmes dans seulement 11 % des pays du globe et que moins d’un tiers de tous les chefs des bureaux d’audit nationaux sont des femmes. Comment espérer que les gouvernements et les organismes financiers élaborent des politiques qui tiennent compte des femmes lorsque les dirigeants en place connaissent si peu les défis uniques auxquels elles sont confrontées ?
Comprendre les obstacles
Troisièmement, nous devons augmenter notre capacité à collecter et à analyser les données sur les femmes. En décembre 2020, à peine un tiers des indicateurs qui permettraient de suivre les performances de la Guinée en matière de réalisation des Objectifs de développement durable d’un point de vue du genre étaient disponibles. Seuls 3,3 % d’entre eux se trouvaient dans des catégories de « haute performance ». Les données les plus récentes sur le pourcentage de femmes ayant accès à un compte bancaire en Afrique subsaharienne remontent à 2017. Trois ans et une pandémie persistante plus tard, l’écart entre les hommes et les femmes s’est probablement creusé…
Notre pays et notre économie dépendent de la participation économique, sociale et politique des femmes
Comme indiqué précédemment, la plupart des utilisateurs de téléphones mobiles en Afrique subsaharienne sont des hommes. Par conséquent, il est très difficile de comprendre la manière dont les femmes ont accès aux services mobiles en Afrique subsaharienne et comment elles les utilisent. Si nous pouvions nous efforcer d’améliorer l’accès des femmes à ces services et mieux comprendre comment elles les utilisent, les entreprises seraient en bien meilleure position pour les servir.
Les entreprises et les organisations non gouvernementales peuvent aider le gouvernement à trouver des données actualisées concernant les obstacles auxquels les femmes sont confrontées aujourd’hui en matière d’inclusion financière.
Nous devons mieux comprendre la manière dont les politiques actuelles affectent les femmes. Alors que le monde se numérise de plus en plus, nous avons plus que jamais besoin de produits et de services qui répondent à leurs besoins. La conduite du changement peut être extrêmement difficile. Mais j’exhorte les Guinéens à profiter de cette période de transition délicate pour jeter des bases solides en faveur d’une participation économique, sociale et politique des femmes en tant que citoyennes à part entière. Notre pays et notre économie en dépendent.
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