L’absurdité sans frontières

Publié le 8 novembre 2004 Lecture : 2 minutes.

J’ai cru à une plaisanterie quand j’ai entendu sur tous les médias qu’un concert était organisé pour « Homéopathie sans frontières » afin de faire bénéficier les Africains de ces traitements qui leur manquent tellement.
Non, c’était bien vrai ! On allait supprimer les misères africaines en vendant peu cher, il est vrai dans les villes et dans les villages des médicaments qui n’ont jamais fait scientifiquement leurs preuves.
Je ne veux pas parler ici de principes, mais de réalités. Ne transposons pas en Afrique nos discussions de pays riches sur l’efficacité ou la non-efficacité de ces médicaments, sur leur remboursement ou leur non-remboursement. Leur principal avantage, disent les uns, c’est d’être efficaces dans certains cas, sans avoir d’effets secondaires. Pas
étonnant, répondent les autres, puisqu’ils n’ont pas d’effets du tout, en dehors d’un effet placebo toujours bon à prendre (J.A.I. n° 2268 du 27 juin au 3 juillet 2004). Mais vraiment le problème n’est pas là. Il est dans la méconnaissance, volontaire ou non, de deux réalités africaines.

La première réalité, fracassante, est la relation démesurée entre les besoins de l’Afrique et la solution homéopathique. Les problèmes à résoudre sont énormes: paludisme, sida, maladie du sommeil, lèpre, dysenterie, rougeoles mortelles, cardiopathies, etc. Ces affections dramatiques exigent qu’on apporte aux malades, souvent indigents, les soins
essentiels dont ils ont besoin, parfois en urgence. Ici, les médicaments homéopathiques ne peuvent rien. Sinon donner de faux espoirs ou retarder le recours à l’hôpital (lui-même parfois démuni : nous y reviendrons). La tentation des familles peut être aussi d’acheter des médicaments « pas chers » et de gaspiller ainsi le peu d’argent dont elles disposent dans la plupart des foyers.

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La seconde réalité concerne la phytothérapie, composante de certains médicaments homéopathiques. Dans ce domaine, nos bons apôtres ont beaucoup plus à apprendre de la médecine traditionnelle africaine que de leçons à donner. J’ai moi-même soigné des hypertensions, des diarrhées, des saignements avec des plantes traditionnelles. Si les
homéopathes humanitaires veulent être utiles, je leur suggère de financer en Afrique une structure de recherche sérieuse réunissant des tradipraticiens, des médecins, des pharmacologues, voire des industriels. On pourrait ainsi vérifier l’efficacité de certaines plantes, voire en faire des médicaments en reconnaissant aux tradipraticiens un droit de propriété lorsqu’ils sont à l’origine du produit.
Face à ces réalités évidentes, comment expliquer ce vacarme médiatique pour Homéopathie
sans frontières ?
Bêtise ? Ce n’est pas sûr. Car les différents acteurs font preuve de beaucoup d’intelligence en d’autres circonstances. Mais la méconnaissance des réalités a pu égarer les esprits.
Naïveté ? Celle de croire qu’on peut apporter à peu de frais un soulagement à d’immenses besoins. Ces bons sentiments contribuent aussi à masquer la réalité.
Peut-être a-t-on pensé aussi à l’existence d’un marché de dizaines de millions de personnes cherchant à tout prix, mais surtout à petit prix, à guérir leurs malades. D’autant qu’en France le marché s’est un peu refermé. Il n’est pas immoral de vouloir
investir cet autre marché. Mais on ne doit pas le faire en abusant de la confiance des patients dans un étourdissant concert médiatique.

Doyen honoraire de la faculté de médecine d’Abidjan, le professeur Bertrand a derrière lui trente ans de pratique médicale en Afrique, de la « brousse » (plusieurs années) jusqu’aux CHU.

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