Chikh Bouamrane

Président du Haut Conseil islamique algérien

Publié le 10 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Ancien ministre algérien de la Communication et de la Culture, Chikh Bouamrane est président du Haut Conseil islamique (HCI) depuis le 31 mai 2001. Titulaire d’un doctorat de philosophie obtenu à la Sorbonne, à Paris, il a publié une dizaine d’ouvrages et de traductions consacrés à la liberté humaine, à la pensée islamique ou à l’émir Abd el-Kader.

Jeune Afrique/l’intelligent : Quelle est la position du Haut Conseil islamique sur l’avant-projet de réforme du code de la famille ?
Chikh Bouamrane : Elle tourne autour de trois points : le tutorat, la polygamie et le divorce. Pour nous, la question du tuteur est un faux problème. En islam, le tuteur, ou wali, n’a pas de pouvoir contraignant. Il donne son avis, mais ne peut s’opposer à un mariage. Dans ces conditions, pourquoi le supprimer ?

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J.A.I. : Une union peut-elle vraiment être célébrée sans son accord ?
C.B. : Bien sûr. Personne ne peut obliger un jeune homme ou une jeune femme à se marier contre son gré.

J.A.I. : Vous êtes donc pour le maintien du tutorat ?
C.B. : Oui, puisqu’il ne dérange personne. Le tuteur est une autorité morale qui représente l’honneur de la famille. Il n’est quand même pas interdit de conseiller ses enfants ! S’ils ne suivent pas vos conseils, ils en sont les seuls responsables. Un verset coranique stipule qu’aucune âme n’est responsable des actions d’une autre. On ne sait pas assez que l’islam est intransigeant sur la liberté individuelle. Il n’y a pas de responsabilité collective.

J.A.I. : Qu’en est-il de la polygamie ?
C.B. : Le Coran l’a restreinte à l’extrême : « Si vous craignez d’être injustes envers vos épouses, contentez-vous d’une seule. Mais vous ne pourrez pas être juste. » Un hadith [commentaire] le confirme : un homme ne peut avoir deux curs. La polygamie n’est d’ailleurs pas seulement coranique, elle est aussi biblique. Souvenez-vous du roi Souleymane [Salomon], dont il est écrit qu’il avait « un certain nombre de femmes », ou encore d’Ibrahim [Abraham], qui a épousé Sara et Agar. Mais l’islam n’autorise pas la polygamie de façon arbitraire. Notre interprétation suggère la bigamie, mais dans deux cas seulement : si la première femme est atteinte d’une maladie qui ne lui permet pas d’assumer ses charges de maîtresse de maison, ou si elle ne peut avoir d’enfants. Vous savez qu’en islam la philosophie de la famille, c’est d’assurer la continuité de l’espèce… S’il y a accord entre les parties, il n’y a pas de problèmes, mais interdire la polygamie, c’est sortir de l’islam, comme l’ont fait la Turquie et la Tunisie.

J.A.I. : Le divorce ?
C.B. : Cela relève du droit positif. Il faut obliger le mari à loger la femme dont il est séparé, ainsi que ses enfants. Il doit aussi leur verser une pension suffisante pour vivre, dont le montant doit être fixé par des juristes et des économistes. Un RMI, en quelque sorte. Ce sont des principes généraux. Quant aux femmes divorcées sans enfants, c’est à l’État de les prendre en charge. Le ministère de la Solidarité peut s’en occuper,
leur trouver un emploi et un logement. Et si elles veulent se remarier, c’est leur droit.

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J.A.I. : Finalement, vous n’êtes ni pour ni contre la réforme !
C.B. : Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Nous sommes pour le juste milieu, contre les extrémistes : ceux qui veulent abroger le texte et ceux qui veulent le maintenir tel quel. En clair, nous sommes pour le maintien du tuteur, pour la restriction de la polygamie et pour le logement de la femme divorcée et de ses enfants. Ce sont des positions de bon sens.

J.A.I. : Le projet est-il contraire à la charia ?
C.B. : Gardons-nous des amalgames. Ce qui est contraire aux principes de la charia, c’est la question du tuteur, qui est traitée dans les textes sacrés. Pour le reste, les lois sont faites pour évoluer. Un hadith n’affirme-t-il pas qu’au cours de chaque siècle Dieu dote la communauté islamique d’un rénovateur qui réinterprète la religion en fonction des circonstances de temps et de lieu ?

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J.A.I. : A-t-il des chances de passer au Parlement ?
C.B. : Je ne suis pas prophète, et les députés sont imprévisibles. Les partis aussi, d’ailleurs. En l’occurence, je suis favorable au compromis, qui ne signifie pas compromission, mais choix d’une solution équitable qui satisfasse toutes les parties.

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