Après Arafat, qui ?

Si la succession du raïs est réglée sur le papier, le chaos qui règne dans les Territoires l’entoure de la plus grande incertitude dans les faits.

Publié le 9 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Transféré, le 3 novembre, dans une unité de soins intensifs de l’hôpital militaire de Percy, à Clamart, dans la banlieue parisienne, Yasser Arafat, 75 ans, était, au moment où nous mettions sous presse, dans un « état critique », « un coma profond », « entre la vie et la mort », selon les termes (très choisis) de ses médecins et ses proches. Le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, a même cru pouvoir annoncer sa mort dès le 4 novembre. « Que Dieu bénisse son âme », a lancé, de son côté, le même jour, le président américain George W. Bush, à un journaliste qui lui demandait sa réaction au décès du leader palestinien.
Pour les Israéliens, en tout cas, l’après-Arafat a déjà commencé. Afin de prévenir d’éventuels affrontements avec les Palestiniens après l’annonce de son décès – ils craignent surtout des heurts à propos du lieu de son inhumation : les Palestiniens voudraient l’enterrer, selon son souhait, à Jérusalem, alors que les Israéliens s’y opposent catégoriquement -, ils ont placé leur armée en état d’alerte, aussi bien en Cisjordanie et à Gaza qu’à la frontière libanaise.
Les Palestiniens n’ont pas attendu, eux non plus, l’annonce de la mort de leur président pour prendre leur destin en main. Le Comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) s’est ainsi réuni d’urgence, le 4 novembre, à Ramallah, sous la présidence de Mahmoud Abbas (alias Abou Mazen), son secrétaire général. Pour faire face à d’éventuels débordements en cas de décès de leur chef suprême, les services de sécurité sont sur le qui-vive. Les représentants des principales forces politiques (dont le Fatah et les mouvements islamistes Hamas et Djihad islamique) se sont réunis à plusieurs reprises dans le but de constituer une coalition plurielle capable de gérer la période de transition.
Sur le papier, la succession d’Arafat est réglée. La Constitution prévoit en effet qu’en cas de vacance du pouvoir le président du Conseil législatif – qui tient lieu de Parlement – remplacerait Arafat à la tête de l’Autorité palestinienne (AP) pendant soixante jours, le temps que soit organisée une élection présidentielle. Dans la réalité, la succession du Khetyar (le « Vieux ») ne sera pas si simple. L’actuel chef du Parlement, Rawhi Fattouh, est une personnalité respectée, mais sans poids politique (ni moral). Il ne saurait donc gérer une période de transition qui risque d’être mouvementée ni organiser des élections libres et transparentes dont les résultats seraient acceptés par toutes les parties.
De même, vu la situation chaotique qui règne actuellement dans les Territoires, avec son lot d’incursions israéliennes, de flambées de violence et de dérapages sécuritaires, on voit mal comment une élection présidentielle pourrait être organisée dans des délais aussi courts, même si, assure-t-on à Ramallah, les deux tiers des électeurs sont déjà inscrits sur les listes électorales.
Et quand bien même cette élection serait organisée, conformément à la Loi fondamentale, les Palestiniens auraient sans doute du mal à choisir, parmi les éventuels candidats – beaucoup se bousculent déjà au portillon -, une personnalité capable de les conduire, sans dégâts, vers l’après-Arafat. Car, comme tous les chefs d’État arabes, Arafat s’est employé, au cours de son long règne à la tête du Fatah, de l’OLP et de l’AP, à empêcher l’émergence d’un leadership autre que le sien. Par narcissisme, disent certains, car il ne pouvait imaginer un autre leadership que le sien. Ou par crainte, disent d’autres, qu’un éventuel héritier ne tente de le renverser.
Résultat : tout en étant le responsable politique palestinien le plus critiqué par ses compatriotes – qui lui reprochent son impuissance politique, sa gestion opaque et la corruption de son entourage -, Arafat demeure le leader incontesté des Palestiniens. C’est ce qui ressort d’un sondage d’opinion réalisé par l’institut palestinien The Jerusalem Media and Communication Center (JMCC), entre le 6 et le 9 juin dernier. Selon cette enquête, 23,6 % des Palestiniens considèrent qu’Arafat reste la personnalité palestinienne la plus digne de confiance. Très loin derrière lui, viennent Marwane Barghouti (6,3 %), membre du Conseil législatif palestinien (CLP), condamné à la prison à vie par Israël pour son rôle dans la seconde Intifada, et Mahmoud Zahar, actuel leader du mouvement islamiste palestinien (3 %).
La popularité d’Arafat s’explique surtout par l’effritement du leadership palestinien : décès de Fayçal Husseini, absence de Farouk Qaddoumi, en exil à Tunis, retrait de Hanane Achraoui, emprisonnement de Barghouti, marginalisation du camp de la paix représenté par Mahmoud Abbas, Sari Nusseibeh et autres Yasser Abed Rabbo, assassinat par Israël de Cheikh Ahmed Yassine et d’Abdelaziz Rantissi, ainsi que de dizaines d’autres dirigeants du Fatah, du Hamas et du Djihad. Cette hémorragie a créé un grand vide au sein du commandement palestinien dont Arafat n’a pas manqué de profiter pour s’imposer comme l’unique et dernier recours.
Pour le moment, ce sont le Premier ministre Ahmed Qoreï (Abou Ala), et Mahmoud Abbas, son prédécesseur, qui tiennent les rennes du pouvoir. Le tandem semble bénéficier du soutien des autres dirigeants de l’OLP et de l’AP. Car même s’ils ne sont pas très populaires – ils appartiennent au groupe des « Tunisiens », ceux rentrés en Palestine en 1994, après une douzaine d’années d’exil à Tunis, par opposition aux leaders de l’« intérieur », représentés par Barghouti et Mohamed Dahlan, ancien chef de la sécurité préventive à Gaza, aguerris par la première Intifada -, les deux hommes peuvent se prévaloir de leur statut de dirigeants historiques du Fatah et de l’OLP, les deux principales sources de légitimité chez les Palestiniens.
Leurs atouts : ils sont modérés, ont le soutien des Américains, des Israéliens et des modérés palestiniens, et, surtout, s’entendent bien. Par conséquent, ils sont les seuls capables de gérer la transition et, peut-être, pour l’un d’entre eux, Mahmoud Abbas en l’occurrence, d’assurer la succession du raïs.
Pour le moment, et malgré une certaine angoisse qu’ils ne parviennent pas à masquer totalement – le pourraient-ils d’ailleurs ? -, les Palestiniens sont parvenus à préserver l’essentiel, c’est-à-dire leur unité. À moins que, face au vide institutionnel que ne manquerait pas de créer la « disparition » annoncée du raïs, des « petits chefs » cherchent à imposer leur loi dans telle ou telle enclave, encouragés, en sous-main, par des parties étrangères (Iran, Syrie, Israël…).
Cette éventualité demeure cependant peu probable. Car, privés de leur patriarche, les Palestiniens chercheront plutôt à éviter toute action susceptible de les diviser. La « disparition » d’Arafat, considéré par Tel-Aviv comme l’obstacle majeur à la paix, et la déclaration du président américain, lors de sa première conférence de presse après sa réélection, sur la nécessité de « travailler en vue de la création d’un État palestinien libre qui vive en paix avec Israël » pourraient même inciter Israéliens et Palestiniens à renouer le dialogue.

(Nous reviendrons longuement dans notre prochain numéro sur la vie et la carrière de Yasser Arafat.)

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