4 ans de plus !

George W. Bush a été réélu à la tête de l’hyperpuissance américaine, le 3 novembre. Ses alliés à l’étranger s’apprêtent à toucher les dividendes de leur soutien à sa croisade antiterroriste. Les autres ont sans doute du souci à se faire. Tour d’horizon de

Publié le 8 novembre 2004 Lecture : 10 minutes.

Les mécréants et tous ceux qu’animent les forces du malin auront beau verser toutes les larmes de l’enfer, Dieu a décidé de rempiler à la Maison Blanche pour quatre ans. Et la mission qu’Il a confiée à son messager George Walker Bush n’a pas varié d’un iota. En doutaient-ils encore que la première conférence de presse donnée le 4 novembre par le président réélu est venue balayer leur scepticisme sournois : on ne change pas de croisade au milieu du gué. « La guerre contre la terreur continue et ne s’achèvera qu’une fois l’ennemi défait », a martelé le commandant en chef des légions, avant de rappeler que « ceux qui hébergent les terroristes sont aussi coupables qu’eux ». Mi-martial mi-badin, mais habité d’une foi toujours aussi inébranlable, Bush a écarté d’un revers de la main les incroyants, qui pensent qu’« essayer de libérer le monde est une perte de temps ». « Je viendrai en aide à qui partage nos buts », a-t-il conclu. Autant dire que ceux qui ne les partagent pas ont du souci à se faire…
Dans ce monde plus que jamais unipolaire, l’incontestable victoire électorale de cet homme de tripes, d’instinct et de foi, pétri d’un credo moral aussi sommaire que ses certitudes paraissent inoxydables, a partagé en deux camps les dirigeants de la planète. Certes, bon gré ou mal gré, tous ne sont au fond que des satellites de la superpuissante Amérique. Mais il y a parmi eux des volontaires et des réticents, des courtisans et des récriminateurs, des fils prodigues et des fils maudits. Bref, des gagnants et des perdants du 3 novembre. Tour d’horizon…

Le club des gagnants
En Europe, où les opinions publiques et la plupart des grands médias avaient « voté » pour John Kerry, la défaite du candidat démocrate a ouvertement réjoui trois hommes. Le Britannique Tony Blair, bien sûr, dont le parti – au sein duquel il est très contesté – devra faire face en mai 2005 à des élections législatives. La présence d’un contingent de quelque neuf mille hommes en Irak étant largement impopulaire, le résultat du 3 novembre est pour le Premier ministre un ballon d’oxygène. Il acquiert en outre un statut de médiateur entre certaines capitales européennes « à problèmes » et Washington : Madrid et Berlin l’auraient déjà sollicité en ce sens. Autre gagnant : l’Italien Silvio Berlusconi. Il Cavaliere a envoyé trois mille soldats en Irak et n’a jamais caché son admiration pour Bush, même si, là non plus, l’opinion ne suit pas. C’est en compagnie de Vladimir Poutine que Berlusconi a, dans la nuit du 2 au 3 novembre, sablé le champagne, à Moscou, pour célébrer la bonne nouvelle. Le président russe, qui a qualifié son ami George d’« homme politique ferme » et de « partenaire solide et cohérent », reçoit à nouveau un quasi-chèque en blanc pour éradiquer la résistance tchétchène – au nom de la lutte commune contre les forces du Mal.
Heureux aussi, les dirigeants de la « jeune Europe », qui, à l’instar du Polonais Aleksander Kwasniewski, ont choisi de jouer la carte de l’Alliance transatlantique contre celle de l’Union européenne. Pour les identifier, il suffit de décliner la liste des pays qui ont expédié un contingent en Irak afin de donner à l’invasion américaine l’apparence d’une coalition : Albanie, Estonie, Géorgie, Lituanie, Macédoine, Pologne, Bulgarie, Roumanie, Slovaquie, Ukraine, Portugal, Norvège, Danemark, Moldavie, Hongrie, Arménie…

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Au Proche-Orient, le principal gagnant s’appelle évidemment Ariel Sharon. Jamais une administration américaine ne s’est montrée aussi favorable aux thèses israéliennes – y compris les plus antipalestiniennes – que celle de George W. Bush. Qu’il s’agisse d’isoler Yasser Arafat, de légitimer les colonies ou d’opposer un veto systématique à la moindre résolution critique au Conseil de sécurité, l’alignement a été total. Et il le restera, d’autant que le Congrès à majorité républicaine y veillera scrupuleusement. De quoi relativiser fortement les spéculations – qui ressemblent fort à un bluff – du ministère israélien des Affaires étrangères sur un second mandat moins favorable que le premier aux thèses de l’État hébreu. Autre vainqueur : le Premier ministre irakien Iyad Allaoui, à qui George Bush a réitéré le 4 novembre son soutien total. C’est avec lui que Washington entend organiser les élections au mois de janvier prochain. Avec lui aussi que l’armée américaine se prépare à liquider préalablement l’abcès de la résistance à Fallouja. Comme Thieu jadis à Saigon, Allaoui est à Bagdad plus que jamais l’homme des Américains. Soulagés enfin : les rois et les émirs du Golfe. Fondée sur le pétrole, l’argent et des liens d’amitié parfois troubles, la relation si spéciale qu’ils entretiennent avec le tandem Bush-Cheney va se poursuivre.

En Asie, le Premier ministre japonais Junichiro Koizumi et le président sud-coréen Roh Moo-hyun, qui, tous deux, avaient ouvertement soutenu Bush pendant la campagne, n’ont qu’à se louer de leur flair. Heureux aussi, le président pakistanais Pervez Musharraf : au nom de la lutte antiterroriste, il pourra conserver l’uniforme de général qu’il avait promis d’abandonner à la fin de cette année. Bush fermera les yeux, d’autant qu’il aura besoin de lui pour stabiliser l’Afghanistan désormais dirigé par un affidé élu de Washington : Hamid Karzaï. Pour l’administration américaine, ce qui se passe à Kaboul doit absolument ressembler à une success story, à un anti-Irak, quitte à forcer le trait… et à reconstituer le tandem Pakistan-talibans sous la houlette de la CIA. Comme au bon vieux temps de la guerre contre les Soviétiques.
Reste la Chine, superpuissance de demain, elle aussi satisfaite de la réélection du candidat Bush. Le président Hu Jintao et les hiérarques de Pékin préfèrent toujours le connu à l’inconnu, d’autant que les penchants humanitaires et démocratiques de John Kerry ne leur disaient rien qui vaille. Mais la Chine est avant tout un géant autonome, soucieux de ses intérêts, qui exigera très vite une clarification de la politique américaine à l’égard de Taiwan.

En Océanie, continent marginal en termes de géopolitique, mais en voie de devenir un immense lac américain, le Premier ministre australien Tim Howards, dirigeant du seul pays qui compte réellement, exulte. Difficile il est vrai de trouver plus « bushophile » que lui. Ses troupes sont en Irak, et il peut toujours espérer que Washington lui délègue encore un peu plus le rôle de puissance relais dans la région, avec un oeil sur la poudrière indonésienne.

En Afrique, ni l’Algérien Bouteflika ni le Tunisien Ben Ali ni le Mauritanien Ould Taya ne se plaignent de la réélection de Bush. Et pour cause : sur fond de lutte antiterroriste et d’intérêts économiques, leurs liens avec l’administration républicaine sont solides. Mais nul n’est plus satisfait que le Libyen Mouammar Kadhafi, qu’un retour des démocrates au pouvoir aurait profondément indisposé. C’est avec Bush et Blair que le colonel a négocié son retour sur la scène internationale et la fin de l’embargo, et c’est à eux qu’il a fait toutes les concessions possibles pour être à nouveau présentable. Pour le Bédouin de Syrte, un pétrolier texan vaut mille fois mieux qu’un intellectuel du Massachusetts.
Au sud du Sahara, le tropisme de l’or noir joue aussi son rôle : l’Angolais Dos Santos et l’Équatoguinéen Obiang Nguema savent qu’avec Bush le dollar passera toujours avant les droits de l’homme. Autres gagnants au loto du 3 novembre : le Sénégalais Abdoulaye Wade, le Rwandais Paul Kagamé et, sans doute, l’Ivoirien Laurent Gbagbo, tous trois proches de l’idéologie qui anime les néoconservateurs américains.

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En Amérique latine (et centrale), deux chefs d’État au moins ont souhaité la victoire de Bush. Le premier se nomme Vicente Fox, ce qui n’étonnera personne : le président mexicain est en effet un conservateur avéré, hôte flatté du ranch de Crawford où on le vit arborer fièrement le chapeau texan. Le second est un improbable ami : Luiz Inácio Da Silva, dit Lula, le président du Brésil. L’ancien syndicaliste est très à l’aise avec Bush, et il n’a eu qu’à se féliciter d’une politique extérieure américaine qui lui a en quelque sorte délégué le rôle de puissance sous-traitante en Amérique latine. Avec l’accord et parfois pour le compte de Washington, Brasilia est intervenu dans les crises vénézuélienne, bolivienne et surtout haïtienne : de quoi se sentir en confiance.

La cohorte des perdants
En Europe, qui symbolise le mieux la déception des partisans de John Kerry que Jacques Chirac ? On peut certes toujours argumenter : dire, par exemple, que la relation entre Paris et Washington ne peut guère, au point elle en est, que s’améliorer ; ajouter que Chirac n’aura pas à répondre « non » à Kerry, qui lui aurait sans doute demandé d’envoyer des troupes en Irak ; dire enfin que le président français pourra à la fois faire des concessions sans être critiqué, tout en prenant le leadership de tous ceux qui souhaitent une alternative à l’hyperpuissance américaine. Mais l’essentiel est ailleurs : pour l’hôte de l’Élysée, les années à venir seront sans doute marquées par la rancune, les petits coups vicieux et les attaques sournoises tant il est vrai qu’on lui tient rigueur, outre-Atlantique, de ses positions « hostiles » sur le dossier irakien. Jusqu’en 2007, à tout le moins, année de l’élection présidentielle française. Pour cette échéance, Bush et les « néocons » ont déjà choisi leur candidat : Nicolas Sarkozy.
Autre symbole d’une « vieille Europe » que la campagne électorale du candidat Bush a dépeinte aux couleurs de la couardise et de l’infidélité, l’Espagnol José Luis Rodriguez Zapatero va devoir « ramer » pour revenir en grâce, lui dont le péché fondateur fut de rapatrier ses troupes d’Irak. Le chancelier allemand Gerhard Schröder aura sans doute moins à souffrir : il a déjà beaucoup fait pour se faire pardonner.

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Au Proche-Orient, l’inquiétude des Palestiniens est à l’exacte mesure de la satisfaction éprouvée par Ariel Sharon au matin du 3 novembre. Même si Bush a, le lendemain, évoqué à nouveau la perspective d’un État palestinien, il y a de fortes chances pour que les conditions de son hypothétique édification soient, pour l’essentiel, dictées par Israël. Certes, la disparition de Yasser Arafat pourrait a priori ouvrir un boulevard devant une administration américaine imaginative, éprise de paix et un peu moins partiale que celle de Bush I – mais il ne faut pas rêver. Dans la région, le président syrien Bachar al-Assad figure assurément au rang des perdants, pour ses politiques libanaise et irakienne, mais aussi pour l’asile accordé par Damas à des organisations considérées comme « terroristes » par l’État hébreu. Les pressions seront très vives sur lui, tout comme elles le seront sur les dirigeants iraniens, plus particulièrement les plus révolutionnaires d’entre eux – le « Guide » Ali Khamenei en tête. Pour Washington, qui a placé l’Iran sur l’axe du Mal, l’enjeu est de taille : ce pays doit être dénucléarisé d’urgence, et tout sera fait pour arracher une résolution du Conseil de sécurité en ce sens. La suite, en cas de refus de Téhéran, appartient au Dieu de Bush et de Sharon, dont on sait qu’il peut être guerrier.

En Asie, on imagine que le Premier ministre indien Manmohan Singh, un homme de gauche, n’a guère dû se réjouir d’un résultat électoral qui conforte son frère ennemi pakistanais Musharraf. Mais c’est évidemment vers la Corée du Nord que se portent tous les regards. Trublion nucléaire à qui la CIA prête déjà une dizaine de bombes – ce qui, pour une fois, paraît exact -, le dictateur Kim Jong-il exige, pour désarmer, une négociation directe et bilatérale avec les États-Unis, ce que ces derniers refusent afin de ne pas légitimer son régime. Le bras de fer va donc se poursuivre, tout comme persistera la tentation, vis-à-vis de Taipeh comme de Téhéran, de « finir le job ». Toute solution devra cependant prendre en compte le jeu et la position extrêmement ambigus de la Chine.

En Afrique, seuls le Soudanais Omar al-Béchir, menacé d’une intervention au Darfour, et le Zimbabwéen Robert Mugabe, honni à Londres et à Washington, sont d’incontestables losers. Même s’il n’a jamais caché son hostilité à l’intervention américaine en Irak, le Sud-Africain Thabo Mbeki a cependant l’avantage d’être incontournable. Avec un peu de bonne volonté de sa part, l’administration Bush lui décernerait même volontiers le rôle de « puissance relais » en Afrique – comme le Brésil en Amérique du Sud ou l’Australie en Asie du Sud-Est.

En Amérique latine (et centrale), deux caudillos sont, à des degrés divers, à classer au rang des perdants de l’élection. Hugo Chávez, le Vénézuélien : Bush ne le supporte pas, mais, légitimé à trois reprises par les urnes ces derniers mois (un référendum et deux élections), il est difficilement détrônable. Et le Cubain Fidel Castro, surtout. À 78 ans, l’interminable agonie politique d’un Líder máximo pathétique et momifié va donc se poursuivre, sur fond de désastre économique. On peut compter sur l’administration républicaine pour débrancher un à un les derniers tuyaux qui le relient à la vie : Bush aimerait tant que la « libération » de Cuba advienne sous son règne !

Ce tour du monde des perdants ne serait pas complet si l’on n’évoquait le cas de deux hauts fonctionnaires internationaux que Washington souhaite voir prendre au plus tôt leur retraite.
L’Égyptien Mohamed al-Baradei, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, tout d’abord. Coupable d’avoir dénoncé les faux documents de l’« uraniumgate » et d’avoir invalidé les « preuves » américaines concernant les armes irakiennes de destruction massive, il souhaite briguer en 2005 un troisième mandat. Une perspective que l’administration Bush est absolument résolue à empêcher.
Le Ghanéen Kofi Annan, ensuite. Il y a un peu plus d’un mois, le trop prudent secrétaire général de l’ONU s’est lâché au cours d’un entretien avec un journaliste. La guerre américaine contre l’Irak n’était pas, a-t-il confié, en conformité avec la Charte des Nations unies. Elle était donc illégale. Même sacrilège, même punition. Pour peu que l’envie lui en prenne, Annan n’a désormais aucune chance de poursuivre sa tâche au-delà de l’échéance de son actuel mandat, fin 2006. Les voies de Dieu et de son messager sur terre sont décidément très prévisibles…

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