Banque mondiale : pourquoi il faut sauver le rapport Doing Business
Annoncé le 16 septembre dernier, l’arrêt définitif de l’enquête annuelle sur le climat des affaires est une erreur. Véritable référence pour l’analyse économique et entrepreneuriale dans 190 pays, c’est un instrument perfectible, mais indispensable.
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Uri Dadush
Senior Fellow au Policy Center for the New South, ex-directeur de l’Economist Intelligence Unit et de la Politique économique à la Banque mondiale.
Publié le 6 octobre 2021 Lecture : 4 minutes.
Dans la foulée d’une enquête indépendante menée par le cabinet d’avocats WilmerHale, qui pointait les pressions inopportunes exercées par la Chine et par d’autres pays lors de la préparation de son rapport annuel Doing Business, la Banque mondiale a décidé de suspendre, purement et simplement, cette publication. C’est une mauvaise décision. Ce rapport représente en effet un bien public d’une énorme valeur, puisqu’il passe en revue les réformes favorables à la libre entreprise à travers le monde. Au lieu de l’éliminer, il aurait plutôt fallu le dissocier des méthodes de gestion de l’institution.
Données objectives
Depuis son lancement au début des années 2000, ce document a établi une approche innovante et pertinente dans l’évaluation du climat des affaires dans 190 pays. Contrairement aux sondages, sur lesquels s’appuient nombre d’exercices similaires, la méthodologie de Doing Business repose presque exclusivement sur des données objectives compilées par des intermédiaires de confiance, le plus souvent des firmes juridiques locales réputées. Par exemple, le rapport ne demande pas aux usagers ce qu’ils pensent d’une société d’électricité, mais combien de jours en moyenne nécessite un nouveau raccordement au réseau.
Les « notes pays » font aussi l’objet de pressions sans qu’il soit question de les jeter à la poubelle
Le classement apporte en outre une vue exhaustive sur la facilité ou non d’entreprendre, en couvrant douze thèmes. On peut certes l’accuser, comme c’est le cas en France, de faire la promotion de valeurs néo-libérales. Le rapport n’en apporte pas moins des informations très utiles. Par exemple, les États-Unis, au premier rang pour leur environnement général propice à l’entreprise, se classaient deuxième en 2020 dans le domaine de la gestion de l’insolvabilité, dix-septième en matière d’application des contrats, et seulement vingt-cinquième en ce qui concerne la facilité de payer les impôts. La Russie se classe loin derrière, nous apprend le rapport – sauf pour l’application des contrats, où elle apparaît quatre rangs plus bas que les États-Unis.
Même si son score doit maintenant être questionné, la Chine se distingue parmi les pays où il est le plus facile de faire des affaires, plus que quasiment toutes les économies à revenus intermédiaires. Et ce, alors que son climat des affaires reste bien moins favorable à celui des États-Unis et des grands pays européens.
According to our annual Doing Business 2020. 115 countries made it easier to do business last year, and 294 reforms were launched! #DoingBiz https://t.co/qt6f7APANj pic.twitter.com/9BEjrrRDwh
— World Bank (@WorldBank) December 24, 2019
Zone grise
Comme pour tout exercice de ce type, à la fois complexe et d’envergure – et très peu atteignent le niveau de Doing Business –, la méthodologie et les sources pour évaluer tel ou tel aspect spécifique s’avèrent questionnables. Le choix des mesures et des poids accordés à différentes variables implique inévitablement une marge discrétionnaire de la part des experts de la Banque mondiale.
Mais bien d’autres rapports sont sujets à une mesure plus ou moins lourde de pression politique, à l’instar des « notes pays » ou articles « T4 » du FMI, sans qu’il soit question de les jeter à la poubelle. Faut-il le rappeler ? Tous les rapports à portée mondiale sont passés en revue et font l’objet d’un examen par les comités de direction des institutions qui les publient, parce qu’une zone grise prévaut toujours dans le jeu de leur élaboration, entre le travail des équipes de chercheurs et les intérêts des pays membres des institutions.
Quoi qu’il en soit, Doing Business est devenu une référence pour l’analyse économique et entrepreneuriale, une source de données pour les réflexions politiques, les présentations dans le secteur privé et les discours académiques. Plus important encore, les décideurs politiques suivent le rapport, et des dizaines de pays ont élaboré des réformes pour répondre aux faiblesses qui y sont pointées !
Le meilleur moyen de gérer un conflit d’intérêts consiste à l’aborder frontalement
Bien des pays ont rationnalisé les processus pour établir une nouvelle entreprise, au bénéfice des PME comme des investisseurs étrangers. Les chefs d’État et les ministres se félicitent régulièrement des avancées de leur pays dans le rapport, et chaque année, le classement est couvert par la presse internationale. Doing Business est une référence essentielle dans les secteurs du commerce et du développement. Il a notamment relevé la forte détérioration de la situation en Afrique du Sud, passée du 41e au 84e rang entre 2014 et 2020.
Créer un département indépendant
La volonté des puissances mondiales d’utiliser leur poids et leur capital politique pour essayer de modifier leur position dans le classement en dit long sur son importance, et pourquoi il doit continuer à exister. Le cabinet WilmerHale, n’a d’ailleurs pas recommandé son élimination, ni critiqué sa méthodologie. Il a pointé un conflit d’intérêts : lorsque des pays puissants n’aiment pas les messages du rapport, ou sont en désaccord avec leur position dans classement, ils peuvent exercer des pressions sur les responsables de la Banque. Et puisque ces pays figurent parmi les plus grands actionnaires de l’institution et sont des bailleurs importants pour les initiatives de la Banque mondiale, celles-ci peuvent être difficiles à surmonter.
WilmerHale a fait plusieurs recommandations visant à protéger le rapport Doing Business des manipulations, en rendant ses procédures et sa méthodologie transparentes. La Banque mondiale doit poursuivre le rapport, et même aller au-delà de ces recommandations. Le meilleur moyen de gérer un conflit d’intérêts consiste à l’aborder frontalement, avec les moyens dont on dispose.
La Banque mondiale possède ainsi d’un Département d’évaluation indépendante dont le rôle est de juger de l’échec ou du succès des projets menés en lien direct avec le conseil d’administration. Ses chefs sont choisis parmi les managers les plus expérimentés et les plus chevronnés, proches de leur fin de carrière – et donc dans l’impossibilité de briguer un autre poste par la suite. L’équipe du rapport Doing Business pourrait être établie sur le même modèle, en tant que département indépendant de la Banque mondiale, afin de fournir un service essentiel à la communauté internationale.
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