Tout le monde sur le pont

Pour la première fois, toutes les forces politiques du pays, ainsi que la société civile et la population, se mobilisent pour les législatives du 14 octobre. Sans que personne ne sache quelle en sera vraiment l’issue. Un gage de nouveau départ.

Publié le 9 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

Chasser les vieux démons, ne pas revivre le scrutin présidentiel d’avril 2005 qui avait une fois de plus précipité le pays dans la tourmente. Voilà la volonté affichée par l’ensemble de la classe politique à la veille des élections législatives du 14 octobre. Chacun a pu – et voulu – participer à ce rendez-vous auquel 2,9 millions d’électeurs sont conviés. Pas d’appel au boycottage lancé par l’opposition, un président Faure Gnassingbé qui se dit « prêt à gouverner avec tout le monde » Le Togo entend se donner les moyens de rompre avec un passé parfois vécu dans le sang et les larmes. Une perspective qui suscite de nombreuses vocations. Quelque 412 listes ont été retenues par la Cour constitutionnelle dans les 31 circonscriptions électorales. Et si 32 partis politiques sont représentés, on dénombre une multitude de candidats indépendants issus de la société civile. La mobilisation est réelle et la campagne électorale se veut sereine.

« Les opérations de recensement ont connu quelques ratés au début, en juillet. Mais ces dysfonctionnements techniques ont été vite corrigés », assure le ministre de la Coopération, Gilbert Bawara, faisant notamment allusion au reformatage délicat des kits électoraux en provenance de la République démocratique du Congo (RDC). « L’engouement de la population est aujourd’hui palpable. Quant aux forces politiques, les règles du jeu ont été définies par l’Accord politique global du 20 août 2006 dans le respect de chacun et en tenant compte des standards internationaux afin d’organiser des élections crédibles et pacifiques », conclut-il. Si rien n’est encore gagné, les dernières semaines ont permis d’apprécier le chemin parcouru. Il y a seulement trois mois, le chef de file de l’opposition, Gilchrist Olympio, dénonçait « de graves irrégularités, défaillances et anomalies ».
Aujourd’hui, le président de l’Union des forces de changement (UFC) estime que le processus « se déroule bien ». « Nous mobiliserons des populations déterminées à refuser de cautionner des forfaitures », renchérissait l’un de ses lieutenants, Patrick Lawson, laissant planer le doute sur la participation de sa formation. Finalement, l’UFC est présente dans les 31 circonscriptions en plaçant, le plus souvent, en tête de liste des dirigeants emblématiques. Une première pour une formation qui a boudé toutes les législatives (février 1994, mars 1999 et octobre 2002) pour se consacrer uniquement aux joutes présidentielles (en juin 1998 avec Gilchrist Olympio, en juin 2003 et en avril 2005 avec Bob Akitani).
Entre-temps, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) a offert de multiples garanties de transparence en expurgeant des listes d’électeurs les inscriptions jugées suspectes. La réinitialisation du logiciel informatique utilisé en RD Congo a été effectuée par des experts européens venus spécialement à Lomé, d’où ils superviseront la compilation et le traitement des résultats. Les bailleurs de fonds ont mis sur la table 12 milliards de F CFA (environ 18,3 millions d’euros) pour financer ces élections dont le coût total est estimé à 17 milliards de F CFA. Dans les quartiers, on ne compte plus les associations organisant des réunions de sensibilisation citoyennes. Plus de 3 500 observateurs nationaux et internationaux sont annoncés pour le jour J. Afin d’éviter toutes formes de violences, les militaires devront rester dans les casernes. Environ 6 000 gendarmes et policiers seront en revanche déployés sur l’ensemble du territoire. Quant au début de polémique sur l’authentification du bulletin unique réclamée par l’UFC, la Céni doit publier un protocole afin de codifier le déroulement du scrutin. Autant de garanties qui expliquent, en partie, la participation de tous. Mais, plus fondamentalement, le 14 octobre devrait consacrer une recomposition politique déjà perceptible. Avec une incertitude de taille : le nouveau mode de scrutin de liste à la proportionnelle permettra-t-il à un seul parti d’obtenir la majorité absolue des 81 sièges à pourvoir ? Rien n’est moins sûr.

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Après trente-huit années de pouvoir quasi hégémonique, le bilan du Rassemblement du peuple togolais (RPT) n’a pas de quoi soulever l’enthousiasme. Aujourd’hui, ce parti vieillissant entreprend une périlleuse mutation avec en toile de fond une bataille entre réformateurs et nostalgiques. Bien que perçu comme « l’héritier » du régime Eyadéma, le chef de l’État, a, semble-t-il, opté pour l’ouverture. La nomination en septembre 2006 du leader du Comité d’action pour le renouveau (CAR, opposition), Yawovi Agboyibo, comme Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale a ouvert la voie à une cohabitation apaisée. Non sans laisser de traces au sein du RPT, qui doit réviser son discours et apprendre à partager le pouvoir.
Les investitures aux législatives précédées de primaires ont donné lieu à de vifs échanges entre caciques en perte de vitesse et jeunes militants déterminés à se faire entendre. Certains poids lourds en ont fait les frais. Dont l’ancien président de l’Assemblée nationale, Fambaré Ouattara Natchaba, qui ne pourra défendre son siège. Le frère du chef de l’État et ministre de la Défense, Kpatcha Gnassingbé, fait, lui, l’objet de toutes sortes de rumeurs. Celui qui est considéré comme un « faucon » est candidat dans son fief du Nord, la préfecture de la Kozah, et d’aucuns pensent que les dissensions pourraient influer sur le scrutin. « Kpatcha a le soutien d’une bonne partie des officiers, mais son présumé pouvoir de nuisance est limité et il n’a pas les moyens de bloquer le processus. D’ailleurs, en a-t-il vraiment l’intention ? s’interroge un observateur. Même au sein de l’armée, les mentalités évoluent. » « L’action du président et les réformes engagées prouvent que le RPT a changé. Il n’y a qu’un pouvoir et qu’un parti », insiste son secrétaire général, Solitoki Esso. Malgré ces secousses, le RPT peut néanmoins compter sur son enracinement, sa large couverture géographique, le soutien de certaines élites, l’influence de quelques barons locaux, l’appui de l’appareil administratif et les réflexes claniques pour demeurer l’incontournable force politique du pays.

En face, l’UFC est bien décidée à jouer les premiers rôles, mais il est impossible, à ce jour, d’évaluer avec précision sa popularité. Difficile en effet de se référer aux résultats des élections présidentielles précédentes tant elles restent sujettes à caution vu les circonstances pour le moins controversées dans lesquelles elles se sont déroulées. « Le 14 octobre va enfin clarifier la donne et permettre de savoir qui est qui », assure Patrick Lawson. « Nous visons la majorité absolue. À défaut, nous sommes prêts à nouer des alliances sur un programme commun avec tous ceux qui, par leur parcours, sont proches de nous », explique son camarade Jean-Pierre Fabre, secrétaire général de l’UFC.
Cet appel du pied adressé aux « partis du centre » n’a, à ce jour, reçu aucune réponse. Le CAR de Yawovi Agboyibo, la Convention démocratique des peuples africains (CDPA) de Léopold Gnininvi et la Convergence patriotique panafricaine (CPP) d’Edem Kodjo ont appris à travailler avec le RPT, autrefois honni. La gestion commune des affaires depuis un an a révélé une convergence d’intérêts entre le RPT et ces autres membres du gouvernement. Et puisque les antagonismes entre ces différentes formations reposaient presque exclusivement sur la personnalité du général Eyadéma, ils sont en train de s’estomper. Aujourd’hui, les stratégies de conquête du pouvoir évoluent en profondeur. L’ancien parti unique va désormais devoir apprendre la modestie et accepter les inconnues du suffrage universel. Quant à l’UFC, elle ne peut plus se permettre de tenir une posture de repli ou d’affrontement. Entre ces deux refondations en cours, les électeurs trancheront. Les accords d’appareils décideront ensuite de la majorité parlementaire.

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