Série noire à la camerounaise

La police livre à la justice un multiplicateur de billets après l’avoir délivré des griffes de ses ravisseurs. Une histoire à dormir debout.

Publié le 9 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

L’histoire réunit à peu près tous les ingrédients d’un polar. Genève, lundi 24 septembre 2007. Une jeune Camerounaise domiciliée en France se présente à un poste de gendarmerie. Elle raconte aux agents que son ex-compagnon, lui aussi Camerounais et résidant en France, a été enlevé. La police genevoise diligente immédiatement des investigations, non sans s’être mis en rapport avec son homologue française. La jeune femme explique que la victime, en déplacement à Genève, a été kidnappée par des malfrats qui réclament une rançon de 100 000 euros. La police décide alors de piéger les ravisseurs avec la complicité de la jeune femme.

Mardi 25 septembre, la plaignante reçoit un coup de fil des preneurs d’otage, qui sont serbes. Ils lui donnent rendez-vous devant l’hôtel Kempinski, un établissement luxueux situé quai du Mont-Blanc. Le lendemain, elle se rend au lieu dit. La police a discrètement mis en place un dispositif mobilisant pas moins de cinquante agents des cantons de Genève et de Vaud. Les malfrats, qui ne se doutent de rien, se présentent comme prévu au rendez-vous. Ils sont trois. L’un d’eux reste dans la voiture, un 4×4 Kia, qu’il gare devant l’hôtel. Les deux autres retrouvent la jeune femme à l’intérieur du Kempinski. Comme le lui ont conseillé les policiers, elle leur déclare d’emblée qu’elle n’a nullement l’intention de leur donner les 100 000 euros promis. « Si tu ne paies pas tout de suite, tu devras nous verser le double », menace l’un des ravisseurs, qui ajoute : « Sinon tu ne reverras jamais ton ami. » Mais la jeune femme ne cède pas. Réalisant qu’ils n’auront pas l’argent, les malfrats rebroussent chemin et sont cueillis par la police au moment où ils sortent de l’hôtel. L’homme resté dans le 4×4 tente de prendre la fuite, mais la course-poursuite avec la police ne dure pas bien longtemps. Il est rattrapé un kilomètre plus loin.
« Lors de leur arrestation, nous avons trouvé sur eux un couteau à cran d’arrêt, un pistolet de calibre 7,65 chargé, ainsi qu’un spray au poivre », nous a indiqué Patrick Pulh, porte-parole de la police genevoise. Conduits au commissariat, les trois hommes passent rapidement aux aveux. Les enquêteurs de la brigade criminelle identifient un bâtiment situé dans un village du canton de Vaud où sera retrouvée la victime, enfermée dans une cave, nue et enchaînée. Séquestré pendant plusieurs jours, passé à tabac, l’homme se trouve dans un tel état qu’il est hospitalisé d’urgence.
Mais qui est donc cet homme ? Et pour quelle raison a-t-il été enlevé et séquestré ? Ici s’ouvre la deuxième séquence de ce polar plein de surprises. Selon les ravisseurs, qui sont poursuivis par la justice pour séquestration et enlèvement, il s’agit d’un escroc qui leur aurait soutiré 500 000 francs suisses (300 000 euros). D’après Patrick Pulh, « l’origine de l’enlèvement trouverait effectivement son explication dans une escroquerie à la multiplication de billets ». Il s’agit en fait d’un système d’escroquerie appelé feymania mis au point par des escrocs camerounais, les feymen. Leur spécialité, c’est l’arnaque. Ils se sont fait connaître dans les années 1990, au moment où Donatien Koagne, le pape de cette tribu d’arnaqueurs, a écumé l’Afrique en opérant des « coups fumants » sur des chefs d’État, des ministres, des diplomates et des milliardaires. Aujourd’hui, ils ont étendu leurs tentacules en Europe, en Amérique et en Asie.
Comme l’explique la politologue Dominique Malaquais, chercheuse au CNRS, qui a consacré une étude au phénomène, « il s’agit d’une économie complexe et culturellement riche de l’arnaque. Le feyman convainc le pigeon qu’il dispose d’un système ultrasecret pour transformer des morceaux de papiers en espèces sonnantes et trébuchantes ».
Dans le cas qui nous intéresse, la victime, surnommée Kilo dans le milieu des feymen parisiens, a effectivement été impliquée dans une opération de feymania dont il n’était qu’un des acteurs. Selon nos informations, le « travail » sur les pigeons serbes commence en mars dernier. Kilo est chargé d’appâter les « clients », de les « mettre en condition ». Mais le véritable opérateur, le « technicien », dans le jargon feyman, est un certain Maurice N. L’arnaque est un succès. Mais le partage se passe mal. S’estimant lésé, Kilo commet l’erreur de reprendre contact avec les pigeons, qui le kidnappent. Entre-temps, Maurice N, qui était sur un autre coup à Dubaï, est tombé dans les mailles de la police émiratie.

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Lorsqu’ils apprennent que Kilo a été enlevé, les feymen parisiens s’organisent pour le libérer. Sous la houlette d’un des caïds du milieu, Mesmin dit « Monsieur le Maire », ils décident d’envoyer la fameuse ex-copine prendre contact avec la police suisse. Grâce à ce coup audacieux, ils ont pu obtenir la libération de Kilo. Mais ce dernier se trouve désormais entre les mains de la justice suisse, qui l’a inculpé pour escroquerie. Et tout son réseau pourrait tomber avec lui, d’autant que les services de police européens se sont mobilisés pour mettre un terme à ce phénomène sur le Vieux Continent. Il y a quelques semaines encore, en Grande-Bretagne, un réseau d’une demi-douzaine de feymen a été démantelé. Parmi les personnes écrouées se trouve « l’homme fort de Londres », surnommé Dieu Cyclone.
Mais la force de la feymania réside dans sa capacité de renouvellement et d’adaptation. « L’art du feyman, explique Dominique Malaquais, c’est l’art du caméléon. Les techniques sont en perpétuelle mutation. Aujourd’hui, l’évolution, c’est une normalisation qui se manifeste par la connivence de certains acteurs de cet univers mafieux avec des opérateurs économiques et certaines sphères de la vie politique camerounaise. » Beaucoup ont en effet investi dans différentes affaires pour blanchir leur argent et certains d’entre eux siègent parfois sur les bancs de l’Assemblée nationale

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