Régime sans sel

Pour assurer à long terme l’accès de tous à l’eau potable, les autorités vont construire une vingtaine de barrages. Mais ne négligent pas la carte du dessalement de l’eau de mer.

Publié le 9 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

« On sait ce qu’il faut faire pour satisfaire les besoins en eau potable de l’ensemble des Tunisiens. Nous planifions aujourd’hui nos opérations jusqu’en 2030 », explique Fethi Zeriaa, directeur de l’exploitation à la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede), laquelle fêtera son quarantième anniversaire en 2008. Le taux d’alimentation en eau potable de la population rurale (3,5 millions d’habitants) devrait atteindre près de 95 % l’an prochain, contre 10 % en 1968. La population urbaine (6,5 millions de personnes) est déjà desservie à 100 % depuis 1982. Ces pourcentages sont les plus forts d’Afrique. La Sonede dispose aujourd’hui d’un réseau de 43 400 km (qui s’accroît chaque année de 1 200 km) et produit 440 millions de m3 (contre 260 millions en 1987).
Pourquoi, dans ces conditions, planifier jusqu’en 2030 ? Parce que l’équation de l’eau n’est pas facile à résoudre dans un pays semi-aride comme la Tunisie, analyse Mourad Ben Mansour, chef de la division des études tarifaires et économiques. Il y a d’abord la faiblesse du potentiel hydraulique*. 450 m3 par habitant et par an, c’est dix fois moins qu’en France et quinze fois moins qu’en Grèce. Puis le caractère irrégulier des précipitations et l’éloignement des ressources des grands centres de consommation : 86 % de celles-ci se trouvent dans le Nord, loin du littoral, où se concentre l’essentiel de l’activité. Enfin, la salinité excessive d’une part importante des ressources. Seulement 54 % d’entre elles ont un taux inférieur à 1,5 g de sel par litre, norme requise pour que l’eau soit potable.
Parallèlement, la consommation augmente régulièrement (de 2,5 % par an, en moyenne) en raison de l’amélioration du niveau de vie et de l’accroissement démographique (13 millions d’habitants en 2030, contre 10 millions en 2006). Si rien n’est fait, les Tunisiens ne disposeront plus, dans vingt-trois ans, que de 320 m3 par an en moyenne, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe à 1 000 m3 la limite en dessous de laquelle un pays est pauvre en eau.

Quelles sont les solutions ? La mobilisation des ressources a atteint 89 % en 2006, grâce à de considérables investissements dans les infrastructures de captage. La Tunisie compte aujourd’hui 29 barrages classiques, 221 barrages et 741 lacs de montagne (également dits collinaires), 5 200 forages profonds et 130 000 forages de surface. Sa capacité totale est aujourd’hui de 4,1 milliards de m3, contre 2,6 milliards en 1990. Pour atteindre l’objectif de 4,4 milliards de m3 en 2011, il faudra construire une vingtaine de barrages supplémentaires. Le taux de mobilisation s’élèverait alors à 95 %. Mais aller plus loin coûterait tellement cher que l’idée est née de recourir aux ressources non conventionnelles provenant du dessalement des eaux saumâtres et/ou de l’eau de mer, mais aussi de la réutilisation des eaux épurées pour l’irrigation et l’arrosage.
Selon Mohamed Zaara, directeur du dessalement et de l’environnement, la part de l’eau dessalée dans la consommation pourrait atteindre 20 % en 2030, cinq fois plus qu’aujourd’hui. À condition que la Tunisie franchisse un nouveau cap technologique. Elle a déjà expérimenté le dessalement des eaux saumâtres dont le degré de salinité est supérieur à 3 g/l. Quatre stations sont déjà en service : à Kerkennah, depuis 1984 (3 300 m3/jour) ; à Gabès (de 25 500 m3/j en 1995 à 34 000 m3/j en 2006) ; à Zarzis, depuis 1999 (15 000 m3/j) ; et à Djerba, depuis 2000 (20 000 m3/j). En tout, ces quatre stations produisent donc 18 millions de m3/an.
La prochaine étape consistera à dessaler l’eau de mer, dont le degré de salinité est dix fois plus élevé (40 g/litre). Un appel d’offres international pour la construction d’une première usine d’une capacité de 50 000 m3/jour a été lancé (coût : 60 millions de dinars). L’analyse des réponses est en cours et la short-list des entreprises préqualifiées sera rendue publique à la mi-novembre. Installée dans le nord de l’île de Djerba, à proximité des grands centres de consommation (résidentiels ou touristiques), cette usine devrait produire de l’eau potable à partir de 2010 et sécuriser les besoins locaux jusqu’en 2025.
Quatre autres projets d’une capacité identique figurent dans les cartons de la Sonede. La première usine sera située à Zaarat et alimentera deux gouvernorats du Sud (Médenine et Gabès). L’appel d’offres sera lancé en 2008 et la mise en service est prévue en 2011-2012. Les trois autres usines seront implantées à Sfax, la capitale économique du Sud, et devraient être opérationnelles respectivement en 2015, 2020 et 2025.
Avec le développement parallèle du dessalement des eaux saumâtres – dix nouvelles stations d’ici à 2009 (36 200 m3/jour), huit autres à partir de 2010 (32 500 m3/jour) -, « nous devrions atteindre 500 000 m3/jour en 2025, cinq fois plus qu’aujourd’hui », résume Mohamed Zaara. Alimentée aujourd’hui par l’énergie électrique (provenant essentiellement du gaz naturel), les futures usines pourraient l’être, demain, par l’énergie nucléaire. Des études sont en cours, à horizon 2020

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Quel coût ? Les estimations oscillent entre 0,5 et 0,8 dollar le m3 pour l’eau de mer dessalée, ce qui reste dans la fourchette des coûts de production actuels : entre 0,15 et 1,5 dinar (0,12 à 1,2 dollar), selon les endroits. « C’est le coût de transport qui pèse le plus lourdement sur le prix de revient. Dès que la distance de distribution dépasse 100 km, il faut réfléchir à d’autres solutions », explique Zaara. Après avoir augmenté ses tarifs de 5 % en 2005, la Sonede a simplifié sa grille en appliquant un prix progressif. Les hôtels et les gros consommateurs privés (villas, piscines) paient six fois plus que les petits. Une façon d’encourager un « usage rationnel et efficient » de l’eau. Les Tunisiens raccordés au réseau Sonede consomment, en moyenne, 75 l par jour. Soit trois fois plus que la moyenne africaine, mais cinq fois moins que le niveau européen.

*Le potentiel hydraulique renouvelable annuel est de 4,6 milliards de m3, dont 57 % pour les eaux de surface (pluies) et 43 % pour les eaux souterraines.

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