Avec « Freda » de Gessica Généus, la relève du cinéma haïtien est assurée
La réalisatrice haïtienne brosse un portrait au féminin de son île et du quotidien de ses habitantes. Un premier long-métrage de fiction déjà salué au festival de Cannes.
Haïti, fin des années 2010, une dizaine d’années après le séisme qui a dévasté l’île et dont les traces sont encore visibles partout. La plus grande confusion règne au sommet d’un État dirigé par des politiciens incompétents et corrompus, même si l’assassinat du dernier président du pays, Jovenel Moïse, qui surviendra en juillet dernier, n’a pas encore eu lieu. Dans ce contexte délétère, où règne la violence sous toutes ses formes, le film Freda, de Gessica Généus, évoque la vie quotidienne de trois femmes d’une même famille, deux sœurs et leur mère, dans un quartier populaire de Port-aux-Princes.
Fringante étudiante en anthropologie, Freda est une jeune femme en colère. Contre le niveau médiocre des enseignements à l’université. Contre le patriarcat et en particulier une de ses émanations, son frère, chouchou de sa maman simplement parce qu’il est un homme, ce qui lui permet notamment d’envisager d’émigrer sans que l’on trouve à y redire à la maison. Contre cette mère, Jeannette, qui, bien que petite commerçante courageuse qui pourvoit aux besoins des siens, est sous la coupe d’un prédicateur très sûr de lui et ne songe qu’à marier ses filles au plus vite. Contre sa sœur, la ravissante et frivole Esther, préoccupée avant tout par le blanchissement de sa peau et la recherche d’un beau parti, quitte à délaisser celui qui était l’élu de son cœur.
Jamais pesant
Un tel film pourrait être désespérant, à l’image de la situation du pays où il se déroule. Il pourrait pâtir de son scénario, qui ne tient pas en haleine, mais prend plutôt la forme d’une simple chronique de la vie compliquée de ses héroïnes alors même que tous leurs désirs semblent hors d’atteinte. Il prend de plus le risque du film à thèse en privilégiant un regard exclusivement féminin, et même féministe, sur le sort de tous les personnages. Le tout sans transiger sur la langue, puisque les dialogues sont en créole.
Assurément, Raoul Peck ne sera plus bientôt le seul cinéaste haïtien à avoir pu se faire un nom à l’étranger
La réalisatrice, Gessica Généus, dont c’est pourtant le premier long-métrage de fiction, a su se jouer de tous ces obstacles ou les transformer en atouts pour nous offrir un film réjouissant, coloré, jamais pesant ou ennuyeux. Sans doute grâce à son expérience de documentariste, qui lui permet d’exceller dans les portraits et de capter l’énergie de ses interprètes. En résulte un beau film teinté d’humour qui permet de comprendre toute la complexité mais aussi la richesse du vécu des Haïtiens. Lesquels, comme Freda, ne se sentent pas nécessairement condamnés à s’imaginer sans avenir, même si, comme le dit la réalisatrice, à Haïti « l’incertitude interdit de se projeter ».
Assurément, Raoul Peck ne sera plus bientôt le seul cinéaste haïtien à avoir pu se faire un nom à l’étranger. L’accueil très chaleureux qu’a reçu le film lors du dernier Festival de Cannes le laisse augurer. Sans compter que Gessica Généus a déjà mis en route un autre projet de fiction. Et elle ne perd pas de temps : il lui a fallu à peine une année pour mener à terme l’aventure Freda.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Émigration clandestine : « Partir, c’est aussi un moyen de dire à sa famille qu’on...
- Francophonie : où parle-t-on le plus français en Afrique ?
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- Les « maris de nuit », entre sorcellerie et capitalisme
- À Vertières, les esclaves d’Haïti font capituler les troupes de Napoléon