Crystallmess, artiste électro à l’état hybride

Musique électro mutante, teintée d’ambient techno et d’afro-trans… La DJ Christelle Oyiri alias Crystallmess manie les platines pour décloisonner les genres et briser les préjugés. Elle sera au festival Les Chichas de la pensée, à Pantin, dimanche 10 octobre.

Crystallmess, la DJ aux multiples influences. © DR

Crystallmess, la DJ aux multiples influences. © DR

Publié le 9 octobre 2021 Lecture : 5 minutes.

« On va partir parce que le prochain set va être hip-hop, zouk, reggae… » Christelle Oyiri s’apprête à monter sur scène, en club, lorsqu’elle entend cette phrase. Un groupe de jeunes vient de constater que la prochaine à passer derrière les platines, c’est elle : Crystallmess. Ce nom de scène n’a rien à voir avec la drogue (crystal meth), elle regrette la référence qui ne lui était pas venue à l’esprit quand elle l’a choisi. « C’était juste un jeu de mot marrant parce que je m’appelle Christelle et que je suis ‘a mess’ [désordre, ndlr], je perds tout le temps mes affaires », sourit-elle.

Christelle est une femme noire, née en France, d’un père ivoirien et d’une mère caribéenne. Elle fait de la musique. De fait, on attend d’elle que ça sonne hip-hop, rap, zouk, R’n’B aussi. Pourtant, le vivier musical de l’artiste se trouve ailleurs, à Détroit, dans les années 1990.

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Premières soirées à 14 ans

L’artiste fait de l’électronique mutante, teintée d’ambient techno et d’afro-trans, le genre qui fait danser jusque tard dans la nuit. Elle a découvert ce monde fascinant de la fête, gamine, alors qu’elle écumait les soirées du club culte parisien le Triptyque (devenu le Social club). « Pas du tout majeure ! J’étais un bébé, j’avais quoi, 14, 15 ans ? » et sans que ses parents ne soient au courant, bien sûr.

Elle y dévorait la musique de DJ Mehdi, ressentait la vibe de la techno de Détroit, dansait aux mythiques soirées « Alors les filles, on fête Noël ? », sans même boire une goutte d’alcool. Par chance, à l’époque, les videurs « ne sont pas très regardants » sur les cartes d’identité et laissent la jeune bande entrer. Les DJs qu’elle adule lui donnent l’impression que le rêve d’être aux platines est accessible.

En tant que femme noire, qui n’est pas attirée par le R’n’B ni par le chant, je manque de représentations qui me diraient : c’est possible, fonce !

Enfin, presque. L’équation est un peu plus compliquée pour Christelle, selon son aveu : être une femme, être noire, être née de la deuxième génération d’immigrés sont trois potentiels obstacles au rêve. « Je ne viens pas d’une famille de musiciens… Prendre un chemin artistique me paraissait compliqué. Avocat ou médecin, ça ce sont des professions qui rassurent, elles peuvent mettre la famille à l’abri. Je n’étais pas forcément à l’aise avec ce désir de faire de la musique. Mais même toute petite, je suivais ma cousine qui travaillait pour la radio Générations, et on rêve de ressembler à ses aînés quand on est petit, non ? »

Si Générations est très hip-hop, Christelle est plutôt attirée par l’électro. Dans les années 1990, 2000, le genre musical explose à la télé : Daft Punk, Cassius, Justice montent en flèche. Beaucoup d’hommes, donc, et plutôt blancs.

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L’autre obstacle au rêve, c’est le manque de références qui lui ressemblent : « Je pense que c’est plus facile quand on a des avatars. En tant que femme noire, qui n’est pas attirée par le R’n’B ni par le chant, je manque de représentations qui me diraient : c’est possible, fonce ! »

Les options sont quadrillées comme dans cette phrase entendue en club : du rap, du zouk, du hip-hop, qui rentrent dans la case « musique noire ». Pourtant, l’électronique aussi fait partie de la black music, renchérit  Crystallmess : « La techno est née dans les années 1980 à Detroit de la classe moyenne et ouvrière noire. Le récit s’est perdu en cours de route parce que la majorité des consommateurs de cette musique-là ne sont pas noirs, la paternité du genre s’en est trouvée faussée. Mais l’électro est une ‘musique noire’ ! »

Je peux trouver quelque chose d’hybride, de signifiant pour moi qui suis issue d’un mélange de cultures

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Jeune adulte, elle opte d’abord pour une carrière dans l’écriture et la critique musicale, brève. Avant cette découverte qui change ses plans, aux États-Unis, justement.

« De 2010 à 2013, je suis pas mal à New York et je me retrouve à une soirée GHE20G0TH1K [qui se dit ghetto gothic]. Pour la première fois, j’y vois des femmes DJs qui ne sont pas connectées à des hommes plus connus, elles ont une esthétique décalée et elles viennent du Bronx. Je me dis que c’est possible de mixer ses influences, d’être un enfant de la diaspora qui mêle l’héritage de ses parents à son présent, qu’il existe un pont entre les deux. Je ne suis pas obligée d’être dans la caricature de celle qui passe des vinyles de musique congolaise, je peux trouver quelque chose d’hybride, de signifiant pour moi qui suis issue d’un mélange de cultures. »

L’électro en guise de prêche

Petit à petit, à force de playlists Myspace et de sessions de rodage technique sur les ondes de Rinse, installée alors « au fond d’une cave », elle gagne confiance en son art et épouse la trajectoire qui la fait rêver : la musique électronique. La transition n’est pas évidente, sa famille ne comprend pas tout ce qu’elle fait. « Mais je leur envoie des vidéos, je leur montre la réception des gens et ça les réconforte, ils voient que je produis quelque chose. »

Sa mère est séduite par sa musique, et son père devient plus sensible à ses actions artistiques, pense-t-elle. D’ailleurs, elle s’apprête à réaliser une performance au festival Les chichas de la pensée, à Pantin le dimanche 10 octobre à 19h30. Il n’y aura pas d’électro, ce sera un prêche, influencé par… du rap, cette fois !

Bien sûr, qu’elle s’y connaît en rap, même s’il n’est pas au cœur de son projet ! « J’ai grandi en cité, avertit-elle, comment passer à côté ? En plus, la France est une patrie rap », ajoute-t-elle. Elle en écoute, elle adore ça, il lui arrive même de s’en servir artistiquement.

La performance sera réalisée avec une chanteuse lyrique et consistera en un hommage à une école de spiritualité afro-américaine développée en 1964 : les Five Percenters. Le mouvement parle de la divinité de l’être noir. « Il peut être vu comme quelque chose de caricatural, reconnaît-elle en préambule, mais il est réconciliant, pour moi. Je vis avec le fait d’être ‘une addition de toutes mes oppressions’ : mais ce n’est pas un constat qui permet d’avancer. L’enseignement des Five Percenters m’aide à trouver un moyen d’aller au-delà de ça, de trouver ma voie par-dessus l’héritage ».

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