« Tonton Manu », dernier road trip avec le géant Dibango
Caméra au poing, Patrick Puzenat et Thierry Dechilly ont suivi le musicien camerounais sur près de 100 000 km pour réaliser ce documentaire hors normes. Un film hommage qu’il avait pu voir avant de disparaître, en mars 2020.
Tous ceux qui ont rencontré Manu Dibango dans n’importe quelle circonstance – pour notre part, ce fut chez lui il y a une vingtaine d’années pour un entretien à propos de ses lectures – peuvent vous l’assurer : le célèbre saxophoniste camerounais était toujours positif et optimiste. Son air éternellement rigolard et sympathique lors de ses apparitions publiques n’était en rien une posture. Cet homme dont la stature en imposait et qui ne disait jamais de mal de personne était vraiment comme ça, et depuis toujours. En témoigne encore, si nécessaire, le documentaire « Tonton Manu » qui lui est consacré six mois après sa mort et dont les auteurs sont deux producteurs et réalisateurs séduits par le personnage, les Français Patrick Puzenat et Thierry Dechilly.
Cinq ans autour du monde
Partis à l’origine, en 2013, pour réaliser un biopic qui serait aussi un film-hommage alors que Manu Dibango, en pleine forme, s’apprêtait à fêter ses 80 ans, ils l’ont finalement suivi pendant cinq ans autour du monde. De Paris à Douala et de Kinshasa à Rio de Janeiro ou New-York, et même jusqu’au petit village de Saint-Calais dans la Sarthe, où le jeune Manu a passé une partie de son enfance et où on a honoré il y a quelques années l’« ancien élève » devenu célébrité mondiale, ils ont parcouru caméra au poing 98 713 km très exactement sur ses talons ou dans les coulisses de ses concerts. Ce qui permet de considérer ce long-métrage comme une sorte de road-movie musical, juste entrecoupé d’interviews de personnalités évoquant tel ou tel épisode de la vie du saxophoniste, de Yannick Noah au rappeur Black M, ainsi que de nombreux flashbacks qui nous font découvrir l’ensemble de son parcours.
C’est dès la petite enfance que le petit Camerounais tombe littéralement dans la musique, à Douala : « Ma famille était protestante. J’ai découvert la musique à l’église, où mon oncle jouait de l’orgue et ma mère dirigeait la chorale. » Rien d’étonnant, donc, si c’est comme interprète de soul music que Manu Dibango émerge dès les années 1960, bien avant son plus grand succès, Soul Makossa, en 1973.
Il reste fidèle à ses origines, ne renonçant pas à son passeport camerounais bien que résidant le plus souvent dans l’Hexagone. Et s’il joue et compose des morceaux aux influences diverses, ceux-ci doivent en grande partie leur spécificité à leur sonorité africaine. Pourquoi, alors, avoir adopté le saxophone ? « Enfant, déjà, j’adorais regarder cet instrument, plein de boutons. Mais comme c’était moins cher, j’ai commencé par la mandoline. Jusqu’à ce qu’un copain me prête un jour le saxophone qu’il possédait … et que je ne lui ai jamais rendu. »
Je suis simplement un amateur de jazz, je joue à ma façon
Le plus souvent considéré comme un musicien de jazz, Manu Dibango se montre effectivement excellent dans ce registre. Depuis toujours : ne fut-il pas le premier Africain invité, dès le début des années 1970, à jouer à l’Apollo, temple new-yorkais du jazz, qu’il revisitera 40 ans plus tard pour les besoins du film ? Il suffit de l’entendre et de le voir improviser lors des innombrables concerts, récents ou plus anciens, auxquels le film nous convie à assister pour être certain qu’il fait partie des grands du genre.
Mais s’il ne réfute pas sa réputation de pionnier de la world music, il ne se considère pas comme un véritable jazzman. « Je suis simplement un amateur de jazz, se contentait-il d’affirmer. Et je joue à ma façon. » Autrement dit, ce qui est incontestable, dans un style original qui n’appartient qu’à lui.
« La musique, elle, reste »
Manu Dibango ne s’est pourtant jamais contenté de procurer du plaisir à ceux qui l’écoutent. Le documentaire rend ainsi hommage à un homme qui pense que musique et politique font bon ménage. Qui aime rappeler que le premier grand succès musical africain des années 1960 fut Indépendance Cha Cha. Après l’indépendance de son pays natal, c’est à lui qu’incombera la tâche de créer et de diriger l’orchestre de la radio-télévision camerounaise. Ces dernières années encore, il affirmait que le principal problème de l’Afrique n’était pas économique mais culturel. Et il ne s’était pas fait prier lors des Jeux olympiques de Rio, en 2016, pour jouer le rôle d’ambassadeur de la Francophonie.
Victime des suites du coronavirus, Manu Dibango est mort le 24 mars 2020. Le montage du film venait d’être terminé, il a donc pu voir ce beau portrait qui lui est consacré peu avant de disparaître. Il s’est entendu dire à l’écran, humble et fataliste : « Tu arrives à poil, tu pars à poil. » Mais il ajoutait : « La musique, elle, reste ». Il nous laisse plus de 40 albums qui le prouvent.
Tonton Manu, de Patrick Puzenat et Thierry Dechilly, sortie en France le 20 octobre
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