La concurrence est en marche

Bien qu’ils soient encore étroits, les marchés africains intéressent un nombre croissant de revendeurs. Un nouveau paysage économique se dessine, que l’avènement des voitures à bas prix pourrait bientôt bouleverser.

Publié le 9 octobre 2007 Lecture : 6 minutes.

La nouvelle vient de tomber. En cette rentrée 2007, dans son bureau de la banlieue parisienne, Christian Dagher, directeur général de Soeximex, s’en réjouit : Mitsubishi vient de lui donner le feu vert pour le lancement de La Nigérienne de l’automobile, partenaire de la Soeximex au Niger. Pour ce groupe français de négoce international dont l’un des métiers est la distribution automobile, voilà un développement fort bienvenu. Son partenaire au Cap-Vert vient lui aussi de démarrer ses activités et d’autres devraient le faire bientôt en Sierra Leone et en Guinée-Bissau. Présent depuis plusieurs années via des partenaires locaux en Guinée, au Mali ou encore au Sénégal, détenteur de concessions Mitsubishi et Citroën, Soeximex est l’un des petits concurrents du géant de la distribution automobile en Afrique subsaharienne francophone, CFAO. Un exemple loin d’être isolé : alors que CFAO détient les licences les plus porteuses sur le continent, celles de Peugeot et de Toyota, il doit de plus en plus abandonner ses premières positions au profit de concurrents locaux. La Sénégalaise de l’automobile, partenaire de Soeximex, a ainsi vendu davantage de voitures que lui en 2006 : « Si vous regardez les statistiques mondiales, Toyota est numéro un, loin devant Mitsubishi, et pourtant, au Sénégal, nous sommes les premiers », s’enorgueillit Christian Dagher.

Les régionaux en embuscade
De même, au Burkina, le Groupe Fadoul fait jeu égal avec le géant CFAO… L’ensemble construit par l’homme d’affaires libano-burkinabè Michel Fadoul a d’ailleurs longtemps été l’un de ses plus dangereux concurrents. En rachetant il y a vingt-cinq ans les filiales togolaise et béninoise du comptoir français Scoa, avant de mettre la main dix ans plus tard sur son entité nigériane, il s’est largement développé dans le secteur de la distribution automobile. Fadoul, qui représente notamment Mitsubishi ou encore Renault, est aujourd’hui présent dans huit pays d’Afrique, principalement à l’Ouest mais aussi au centre, au Cameroun et en Centrafrique. Et malgré les rumeurs qui le disent en perte de vitesse, il affirme poursuivre son développement. Il vient d’ailleurs de décrocher la licence Skoda pour tous les pays dans lesquels il est implanté à l’exception du Nigeria. Ce « groupe » souffre néanmoins d’un sérieux défaut : il est constitué d’une juxtaposition de sociétés détenues directement par la même personne, Michel Fadoul. Il n’y a donc pas de centralisation des commandes et des stocks, ni même une réelle gestion commune du personnel ou des implantations. Dommage : plusieurs professionnels avaient vu dans le rachat des filiales de Scoa les indications de la naissance d’un nouveau grand de la distribution automobile en Afrique. Finalement, Fadoul a davantage mis l’accent sur le développement de ses autres secteurs d’activité, comme le bois ou les travaux publics…
Au bout du compte, il vend désormais chaque année moins de véhicules neufs dans ses différents pays d’implantation que le groupe de transport et de logistique Necotrans, qui appartient à l’homme d’affaires Richard Talbot, également propriétaire de la société portuaire Getma. Présent sous l’enseigne Sera dans la distribution automobile au Sénégal, au Mali et en Mauritanie, Necotrans compte également des agents concessionnaires au Togo, au Niger et en Guinée-Conakry. « Au Sénégal, nous avons une concession de 30 000 m2, la plus importante du pays », explique Serge Floris, responsable de l’activité auto chez Necotrans. L’Algérie, où Necotrans est implanté depuis de longues années, dope très sérieusement les ventes du groupe dans un marché qui connaît un très fort développement.
En Afrique centrale, le concurrent régional de la CFAO est Tractafric Motors, concessionnaire des marques Mitsubishi et Mercedes, notamment, et filiale de l’ONA, le premier groupe privé marocain. Plus marginalement, Conrico Africa distribue également les marques Jaguar et Land Rover dans plusieurs pays africains. Pour tous ces groupes de petite taille – Necotrans, sans doute le plus grand, compte 2 500 collaborateurs quand CFAO en a 10 000 -, la nécessité d’être présent dans plusieurs pays s’est imposée naturellement : « Les marchés africains sont petits. Un par un, ils ne sont pas rentables. Il faut augmenter les volumes en étant présents dans plusieurs pays », explique Christian Dagher, de Soeximex. En outre, et particulièrement en Afrique de l’Ouest, les ventes de véhicules neufs constituent un marché très restreint. Dans certains pays, elles correspondent presque uniquement aux commandes que font les États pour leurs propres administrations. « Il y a vingt ans, le Nigeria, c’était 200 000 véhicules vendus chaque année, estime un ancien de la Scoa. Aujourd’hui, c’est dix fois moins. » Le Nigeria étant le plus grand marché de la zone, imaginez les autres…

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CFAO garde une longueur d’avance
Faisant le même constat de l’étroitesse des marchés francophones subsahariens, qui constituaient pourtant sa base historique, CFAO a tiré il y a quelques années un enseignement fondamental : mener une politique d’expansion sur d’autres marchés. CFAO Automotive, sa division de distribution automobile, s’est ainsi implantée dans plusieurs pays anglophones, notamment au Kenya, ainsi qu’en Afrique du Nord, particulièrement sur les deux plus gros marchés, l’Algérie et le Maroc. Même si le groupe ne dispose dans aucun de ces deux pays de la licence Toyota qui fait son succès au sud du Sahara, l’Algérie est devenue très rapidement son premier marché, représentant désormais environ un quart de ses ventes. Chaque mois, il y écoule davantage de véhicules qu’il ne s’en vend en une année au Burkina. Du coup, avec 40 000 véhicules neufs vendus en 2006 en Afrique, CFAO a accru son avance sur tous les autres groupes de distribution automobile présents en Afrique francophone, vendant quatre fois plus que le premier de ses concurrents.

Chery serait déjà au Nigeria
Le phénomène des voitures à bas coût, qui commencent à arriver sur les marchés africains, pourrait bouleverser la donne plus rapidement que prévu. La Logan, voiture économique de Renault, trouve lentement ses marques sur le continent. Les premiers signes sont positifs dans certains pays, comme en Côte d’Ivoire : « Elle est devenue la voiture la plus demandée du pays. Depuis le début de l’année 2007, nous en avons déjà vendu 350… », se réjouit un responsable du Groupe Fadoul. Quant aux véhicules chinois, leurs ventes ont littéralement explosé sur certains marchés. « Sur les sept premiers mois, les marques chinoises ont représenté 8,2 % des ventes au Sénégal », explique Christian Dagher. Dans ce pays, l’Espace Auto, ouvert en 2005 par la CCBM, appartenant au groupe de Serigne Mboup, commercialise plusieurs véhicules de marques chinoises. Au Maroc, le Groupe Bernard Hayot (GBH), jusqu’alors spécialiste de la distribution automobile dans les DOM-TOM français, a ouvert une concession spécialisée. Chery, l’un des plus grands producteurs de l’empire du Milieu, annonce être présent au Nigeria, au Burkina, au Ghana et dans tous les pays d’Afrique du Nord à part la Tunisie. Au Gabon, les Chinois ont même directement ouvert une entreprise de distribution, la Société gabonaise d’importation de véhicules. Mais c’est surtout en Égypte et en Algérie que Pékin bouleverse les marchés : selon un rapport de la Chambre chinoise de commerce pour l’importation et l’exportation de produits mécaniques, ces deux pays africains figurent déjà dans le Top 10 mondial des importateurs de véhicules chinois ! Pourtant, comme le rappelle Serge Floris, de Necotrans : « La distribution n’est pas vraiment organisée. Souvent, il n’y a pas d’atelier ni de service après-vente. » Ce qui revient à dire que la tendance à l’achat de véhicules en provenance de Chine pourrait s’essouffler rapidement en l’absence d’un service digne de ce nom. Ou encore, que de grandes enseignes spécialisées s’empareront un jour ou l’autre de la distribution de ces automobiles Le Groupe Fadoul nous a confirmé étudier avec la plus grande attention cette question. Mais des rumeurs attribuent à un groupe de plus grande taille l’intention de se lancer. Il y aurait alors de quoi mettre sens dessus dessous un marché aujourd’hui dominé par Toyota, Mitsubishi et Nissan d’un côté, Peugeot et Renault de l’autre…

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