Haïlé Gebreselassié

Sept ans après son dernier titre majeur, le coureur de fond éthiopien réalise son vieux rêve : battre le record du monde du marathon.

Publié le 9 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

Il en rêvait. Il avait encore faim de victoires et de records. À 34 ans, sept ans après son dernier titre majeur – l’or olympique sur 10 000 m, à Sydney -, Haïlé Gebreselassié s’est emparé, le 30 septembre, à Berlin, du record du monde du marathon. En couvrant les 42,195 km en 2 heures 4 minutes et 26 secondes, le champion éthiopien a amélioré de 30 secondes le chrono vieux de quatre ans de Paul Tergat, son grand rival kényan. Cruel clin d’il du destin. Tergat était déjà sur sa route, à Atlanta, en 1996, en finale du 10 000 m des jeux Olympiques, et, déjà, il avait été battu par celui dont le nom, en amharique, signifie Serviteur de la Sainte Trinité
Frêle comme un roseau, sec comme sa terre natale d’Arsi, village perdu des hauts plateaux abyssins, Haïlé Gebreselassié, 1,65 m, 53 kg, court depuis sa tendre enfance. L’histoire de sa vie est belle comme un cliché. Septième enfant d’une famille paysanne soumise au joug d’un père tyrannique, il découvre sa vocation un soir d’août 1980. Il a 7 ans, et écoute en cachette sur le transistor paternel la retransmission de la finale du 10 000 m des Jeux de Moscou, remportée par son compatriote Miruts Yifter, son idole. Quand, adolescent, « Gebre » annonce à son père qu’il veut faire du sport son métier, il se heurte à un refus sans appel : sa place est aux champs. C’est la rupture. La mort dans l’âme, il fait son baluchon et quitte la ferme familiale pour monter à Addis-Abeba, la capitale, et s’engager dans un club de l’armée.
C’est un jour d’hiver 1991 que Gebre rencontre celui qui allait devenir à la fois son manager et son mentor : l’ancien recordman de l’heure Jos Hermens. L’il aiguisé du Néerlandais est immédiatement subjugué par la foulée aérienne du jeune Éthiopien. La plante des pieds toujours rigide, la pointe seule servant d’appui, sa technique semble emprunter davantage aux sprinteurs qu’aux fondeurs, et sa manière de courir est reconnaissable entre toutes. « Il ne parlait pas un traître mot d’anglais, la seule chose qu’il a su me dire a été : Me, Europe ! », se souvient l’entraîneur. Les deux hommes ne se sont plus quittés. Pour Gebre, Hermens est bien plus qu’un entraîneur : il joue un rôle que son père n’a jamais vraiment assumé, le protège, lui dispense force conseils, l’aide à déjouer les pièges de la notoriété.

Haïlé Gebreselassié prend son envol à Stuttgart, aux Championnats du monde 1993 : à 20 ans à peine, il décroche l’argent au 5 000 m et l’or au 10 000, sa distance de prédilection. Son règne va durer dix ans. Avec, à la clé, une moisson de records, deux titres de champion olympique, en 1996 et 2000, et quatre titres de champion du monde, en 1993, 1995, 1997 et 1999. Une blessure l’empêche de défendre correctement ses chances, en 2001, à Edmonton, au Canada, où il ne finit que troisième. Chaperonné par Hermens, il apprend à s’économiser, à choisir ses courses. Contrairement aux frères ennemis de la vallée du Rift, les Kényans, qui s’épuisent à chasser les dollars dans les meetings du circuit européen, l’Éthiopien se réserve pour les grandes occasions. Il veut durer, pour marquer l’Histoire, mais aussi pour réaliser son rêve secret : monter sur le marathon, distance reine dans son pays depuis le prodigieux doublé du mythique Abebe Bikila, l’athlète aux pieds nus, le seul à avoir jamais gagné deux fois consécutivement l’or olympique sur la plus exigeante des distances, à Rome, en 1960, et à Tokyo, en 1964.
Malgré son statut de star planétaire, Gebreselassié accepte de bonne grâce de se fondre dans le moule de la préparation d’équipe, qui s’effectue invariablement à Addis-Abeba : il s’entraîne avec les autres athlètes, partage son quotidien et sa chambre avec eux. Cet esprit de groupe, qui se traduit, en compétition, par des courses d’équipe remarquablement maîtrisées, est sans doute une des clés de la réussite éthiopienne et constitue une des différences majeures avec le système kényan, plus individualiste.

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La gloire et l’aisance financière permettent au champion, marié et père de trois filles, de préparer l’avenir. Il crée une société, la Haïlé & Alem Company (Alem est le nom de son épouse), investit dans la pierre, fait construire plusieurs immeubles, à Addis-Abeba, le long d’Asmara Road, ainsi qu’à Bahar Dar et dans son village natal d’Arsi. Il ouvre aussi un cinéma dans la capitale et deux écoles en province. Des placements qui font sa fierté, car ils ont donné du travail à 225 personnes, mais qui ne le détournent pas de son métier de sportif de haut niveau. Il continue à se soigner au thé, au miel et à l’eau sacrée de l’église de la colline d’Entoto, où il s’entraîne. Sa seule concession à la modernité : des séances de physiothérapie et de massage pour faciliter la récupération. C’est que Gebre n’a plus ses jambes de 20 ans. Sa pointe de vitesse s’émousse. En 2003, aux Mondiaux de Saint-Denis (France), il s’incline devant son jeune compatriote Kenenisa Bekele, de douze ans son cadet. Sans amertume. Il a passé le témoin. Et peut se consacrer à son ultime défi : partir à l’assaut du marathon.
En accord avec son entraîneur, il décide cependant de s’aligner une dernière fois sur 10 000 m, à Athènes, où il ne finit que sixième, loin derrière Bekele, qui l’a entre-temps dépossédé de ses records du monde du 5 000 et du 10 000 m. Les débuts de l’empereur déchu du fond sur marathon se révèlent plus laborieux que prévu. Son corps n’est pas assez préparé. Son moteur tousse. Surtout, l’approche de la course diffère radicalement. Contrairement aux autres distances, le marathon se court en ville, et chaque tracé possède des caractéristiques différentes. Celui de Londres, par exemple, ne lui réussit guère.

Son organisme commence à lui jouer des tours. Gravement blessé au talon d’Achille, il se fait opérer en 2005, et déclare forfait pour les Mondiaux d’Helsinki. On pense sa fin de carrière compromise. C’est mal le connaître. Il se rassure en signant la meilleure performance mondiale au semi-marathon de Phoenix, aux États-Unis, en janvier 2006 (58’55 ») et en s’adjugeant le record de l’heure en juillet 2007, à Ostrava. Obsédé par le record du monde du marathon, Gebre, qui a coché le meeting de Berlin sur son agenda, fait l’impasse sur les Mondiaux d’Osaka. Les finales de championnat du monde, courses beaucoup plus tactiques, se prêtent mal aux performances chronométriques. Et il y a la moiteur du climat japonais, qui ne lui convient guère.
Sacré à Berlin, Gebreselassié veut maintenant sortir en beauté. Il a d’ores et déjà donné rendez-vous à ses supporteurs à Dubaï, le 18 janvier prochain, où il espère parvenir à améliorer encore sa marque, en passant sous les 2 heures et 4 minutes. Et rêve d’un final en apothéose aux Jeux de Pékin, en 2008. Un ultime exploit qui ferait alors de lui le plus grand sportif africain de tous les temps. Mais l’armada kényane est en embuscade

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