Deux pôles et un centre

Publié le 9 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

L’intérêt grandissant de la Chine pour le continent africain et l’aide de plus en plus sophistiquée qu’elle lui apporte sont une inépuisable source d’interrogations et de controverse.
Les effets de l’aide chinoise sur les économies des pays africains ne se feront sentir que progressivement, et à moyen ou long terme. Mais, d’ores et déjà, le continent engrange quelques profits collatéraux.

– L’Union européenne s’est avisée tout d’un coup que ce malheureux continent, que l’Europe avait naguère colonisé, mais qui, à la fin du siècle dernier, semblait avoir perdu tout intérêt pour elle, n’était pas seulement source d’ennuis et d’émigrés clandestins.
L’un après l’autre, ses chefs d’État, comme en ce moment la chancelière d’Allemagne Angela Merkel, se sont sentis obligés de s’y rendre à nouveau et, en décembre prochain, ils rencontreront collectivement, dans le cadre d’un sommet Europe-Afrique, leurs homologues africains à Lisbonne.
– De leur côté, les États-Unis d’Amérique se sont mis à consolider leur implantation diplomatique sur le continent, leurs positions pétrolières le long de ses côtes et cherchent à y asseoir, par Africom interposé (voir J.A. n° 2438), un dispositif militaire.
– L’Inde et la Russie s’apprêtent à suivre le mouvement ; le Brésil ne les a pas attendues.
– La Banque mondiale et le FMI, eux, n’ont jamais quitté l’Afrique ; elle a même été, pour son malheur, leur champ d’expérimentation préféré. Mais n’ayant plus, depuis l’irruption de la Chine, le monopole (ou quasi-monopole) de l’aide à l’Afrique, ils la regardent d’un il différent.
Ces néopartenaires d’un continent qui avait été laissé au bord de la route – et « hors de l’Histoire » – se posent tous la question : cette Afrique, par quel bout – et comment – la prendre ?
Ils savent que le continent africain s’étend sur 30 312 000 km², soit 22,3 % de la superficie mondiale, qu’il compte 944 millions d’habitants en 2007 (14,3 % de la population mondiale, qui est de 6,6 milliards). Et que, répartis entre 53 pays, les Africains seront plus de 1,3 milliard en 2025.

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Mais ce continent, comment le prendre ?
Je vous soumets ma réponse à cette question fondamentale : pour moi, l’Afrique a deux pôles qui regroupent dix-huit pays, et un centre qui en rassemble trente-cinq ; les deux pôles sont presque tirés d’affaire, tandis que le centre se débat pour sortir de la (quasi) stagnation.
– Au sud du continent, douze pays forment l’Afrique australe ;
– à l’autre extrémité, l’Afrique du Nord (six pays).
La plupart de ces dix-huit pays sont déjà (moyennement) développés : il suffit de les pousser un peu pour qu’ils décollent et volent de leurs propres ailes.
Deux ou trois pays de ce groupe accusent encore un retard évident par rapport aux autres. Mais ces retardataires se trouvent dans un environnement favorable et devraient être tirés vers le haut par les autres : le progrès économique a toutes chances de se révéler contagieux, de fonctionner comme une spirale
Chacun de ces deux pôles du continent africain rassemble une population qui avoisine 150 millions d’habitants et dispose d’un revenu global annuel proche de 350 milliards de dollars : ils sont donc équivalents.
Le tableau ci-contre décrit les deux ensembles, montre leurs ressemblances et leurs différences.
Et situe le centre de l’Afrique par rapport à ses deux extrémités.

Par quel bout prendre l’Afrique ? Il faut, à mon avis, s’occuper en grande priorité de son centre, de sa partie ventrale, car c’est là où le continent a le plus de mal à briser ses chaînes, à se libérer de ses pesanteurs.
Les deux tiers des Africains, plus de 600 millions, y vivent, répartis entre trente-cinq pays, dont certains sont enclavés et pratiquement dépourvus de ressources naturelles.
La seconde moitié du XXe siècle leur a apporté la décolonisation à l’intérieur de frontières aussi artificielles et arbitraires que celles des pays de la péninsule balkanique en Europe ; elles ont d’ailleurs engendré les mêmes conflits et la même instabilité – et ont affecté négativement les progrès en matière de santé, d’éducation et de développement économique.
La décolonisation a libéré les peuples d’une oppression. Mais, très vite, ils ont vu d’autres fléaux s’abattre sur eux, parfois plus cruels.
Des guerres de voisinage et d’autres, civiles, la plupart du temps très longues, ont « cassé » l’une après l’autre les tentatives de construire des États stables.
Résultat : au lieu de s’enrichir, cette partie ventrale de l’Afrique s’est, à de rares exceptions près, paupérisée. Au lieu d’attirer talents, compétences et capitaux, elle les a fait fuir.

C’est ce mouvement qu’il s’agit aujourd’hui d’inverser : la mondialisation et les évolutions qui en ont résulté sur les autres continents, notamment en Asie, le fait que le nord et le sud du continent africain sont eux-mêmes touchés par le vent du progrès, font que le corps central de l’Afrique est en situation de reprendre espoir.
Non, il n’est pas condamné à stagner alors que tous les autres progressent.
N’a-t-il pas constaté avec soulagement que les conflits qui l’ont déchiré s’apaisent ?
N’a-t-il pas vu, depuis le début de ce siècle, ses finances s’assainir par le désendettement, la maîtrise des déficits publics et de l’inflation ?
Ne voit-il pas les ressources de son sol et celles de son sous-sol – et pas seulement le pétrole ! – revalorisées ?

La production alimentaire des principaux pays qui le composent peut augmenter de 50 % d’ici à 2010 grâce aux engrais et aux semences à haut rendement.
La lutte contre les fléaux du paludisme et du sida est enfin – depuis peu – entrée dans une phase décisive.
L’électrification, indispensable instrument de toute politique sérieuse de développement, ne devrait pas tarder à devenir un impératif.
La construction des infrastructures – routes, chemins de fer, ports et aéroports -, insuffisantes voire inexistantes, est désormais reconnue comme un must.

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Cette évolution-révolution prendra du temps, mais, grâce en grande partie à l’arrivée de la Chine en Afrique, elle semble avoir démarré

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