Cynthia Carroll, la dame de fer d’Anglo American

Directrice générale du géant minier d’origine sud-africaine, elle a réussi en moins d’un an à transformer l’entreprise en profondeur. Menant de front la réconciliation avec l’ANC, le recentrage sur le cur de métier et la réforme des méthodes et de la hié

Publié le 9 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

Elle l’a fait. En bouclant, le 9 octobre à la Bourse de Londres, la vente de 67 millions d’actions d’AngloGold Ashanti, Cynthia Carroll a ramené de 42 % à 17 % la participation du géant Anglo American dans la société aurifère ghanéenne. « Les cours de l’or sont sujets à de trop brusques variations », explique celle qui a décidé de révolutionner de fond en comble le célèbre holding britannique d’origine sud-africaine qu’elle dirige depuis le 1er mars dernier. Pour elle, cette vente n’est qu’une étape de la restructuration qui doit lui permettre de recentrer le géant minier sur les minerais à forts débouchés industriels. Au risque de froisser, une fois de plus, les barons du groupe, qui voient partir une activité historique et une filiale pour laquelle ils avaient déboursé 1,7 milliard de dollars en 2004, lors de ce qui fut la plus grande fusion-acquisition de l’histoire économique africaine.
Déjà, il y a huit mois, la nomination de Cynthia Carroll avait fait l’effet d’une bombe dans le milieu très fermé de l’industrie minière. Première femme à accéder, à 50 ans seulement, à un poste aussi élevé que celui de directeur général, première non-Sud-Africaine à prendre les rênes d’un groupe en 1917 de l’exploitation de mines d’or en Afrique du Sud, et même première à accéder à la tête d’Anglo American alors qu’elle n’y avait pas fait ses classes, ni même dans les domaines qui ont fait sa fortune – l’or et le platine notamment. « Travailler dans un secteur dominé par les hommes ne me pose pas de problème », rétorqua l’intéressée. Américaine et mère de quatre enfants, Cynthia Carroll a commencé sa carrière comme géologue en 1982, prospectant pendant cinq ans aux États-Unis, dans les Rocheuses et en Alaska, pour le compte de la société pétrolière Amoco, qui appartient aujourd’hui au géant BP. Puis elle se lance dans un MBA à Harvard, avant de rejoindre le fabricant canadien d’aluminium Alcan, où elle restera dix-huit ans. À partir de 2002, elle dirige Alcan Primary Metal, qui chapeaute les activités de transformation et pas moins de 18 000 employés, soit un tiers des salariés de l’ensemble. Elle s’y distingue en menant à bien la fusion avec le français Pechiney en 2003, et en conduisant un ambitieux programme de réduction des coûts opérationnels. Autant de compétences qu’en cette fin 2006 Anglo American recherche précisément
Née à Johannesburg il y a quatre-vingt-dix ans, la « vieille dame », dont 60 % des effectifs et 50 % des actifs sont en Afrique du Sud, a bien besoin d’une cure de jouvence. Certes, Anglo American a réalisé un exercice 2006 exceptionnel, qui lui a permis de reprendre à BHP Billiton la place de numéro un mondial qu’il avait dû lui concéder en 2001. Mais le groupe minier vit aussi sous la menace d’une OPA hostile et, dans son pays d’origine, les critiques sur sa gestion conservatrice se multiplient. Qualifié d’« État dans l’État », le groupe a notamment provoqué la colère des dirigeants de l’African National Congress (ANC) en 2004, lors du vote de la loi sur le Black Economic Empowerment (BEE), qui préconise le transfert d’une partie des propriétés et des emplois détenus par les Blancs à des Sud-Africains noirs avant 2014. Thabo Mbeki lui-même a jugé « minimalistes » les propositions d’Anglo American, qui voulait se conformer à la loi dans le cadre de ses nouveaux projets et pas dans ses activités traditionnelles, comme le diamant (De Beers), l’or (AngloGold Ashanti) ou le platine (Anglo Platinum).

Deux barons démissionnent
À peine en poste, sourde aux dissensions sud-africaines, Cynthia Carroll use de son entregent pour reprendre le dialogue avec les autorités. Un premier accord est intervenu le 6 septembre dernier : Anglo American a cédé plusieurs actifs d’Anglo Platinum à deux sociétés proches de l’ANC, Anooraq Resources et Mvela Resources. En parallèle, la DG a entrepris une restructuration complète de ce groupe qui, faute d’avoir pu investir massivement à l’étranger à l’époque de l’apartheid, s’est éparpillé dans des activités aussi diverses que l’agroalimentaire, l’emballage ou encore la construction. Pour beaucoup, l’entreprise s’apparente à un dinosaure peu rentable, comptant 162 000 employés contre 33 000 pour l’australien BHP Billiton.
Cynthia Carroll commence par se défaire de la société de matériaux de construction britannique Tarmac, et d’une participation de 29,2 % dans le producteur d’acier sud-africain Highveld Steel & Vanadium. Affirmant la volonté de recentrer le groupe sur l’extraction minière et particulièrement sur les minerais les plus rentables, elle décide de porter le portefeuille des projets de recherche de 8,2 milliards de dollars à plus de 20 milliards et de se séparer totalement d’AngloGold Ashanti avant 2008. Désinvestissement qui est en passe de se concrétiser. Enfin, de manière à profiter de la forte demande sur les marchés chinois et indien, elle procède à une série d’achats ciblés d’actifs jeunes et prometteurs.
En interne également, Cynthia Carroll bouscule les habitudes. Alternant autoritarisme et diplomatie, elle commence par simplifier la chaîne de décision en supprimant de nombreux postes intermédiaires, jugés contre-productifs, comme ceux de présidents des divisions charbon, métaux industriels et métaux de base. Le 30 juillet, elle contraint à la démission un baron du groupe, Ralph Havenstein, directeur d’Anglo Platinum, pour cause de mauvaise gestion financière et d’une multiplication d’accidents dans les mines. Le message est clair : quel que soit le poste occupé, désormais, seuls les résultats comptent. Simple coïncidence ou refus du changement, le lendemain, Bobby Godsell, l’une des plus anciennes figures du patronat sud-africain, quitte la direction générale d’AngloGold Ashanti Une démission qui renforce alors le sentiment que Cynthia Carroll entend changer radicalement le fonctionnement de la société, en favorisant l’essor d’une nouvelle génération de dirigeants.
Le sentiment est d’autant plus fort que la nouvelle patronne a aussi trouvé le temps de dorloter ses actionnaires en consacrant 4 milliards de dollars au rachat d’actions, tout en relevant de 15 % le dividende relatif au premier semestre 2007 (à 38 cents l’action). Avec pour bienfait collatéral que les rumeurs d’OPA hostile ont aujourd’hui disparu

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