Blaise Compaoré : « J’assume tout ce que je fais »
Le chef de l’État du Burkina, au pouvoir depuis 1987, cultive le secret. Entretien avec un homme aux multiples vies, tour à tour militaire, révolutionnaire, libéral convaincu, président élu et… faiseur de paix.
Ouagadougou, fin septembre. En cette saison des pluies qui joue les prolongations, les orages s’abattent avec violence sur la capitale, dont les habitants n’ont d’autre choix que de se plier aux caprices du ciel.
La nouvelle ville Ouaga 2000 s’est considérablement développée en quelques années : immeubles administratifs, ministères, villas résidentielles, hôtels de luxe, restaurants, boutiques Depuis son lancement en 1991, ce site de 700 ha, au sud-est de la capitale, prolongement de Ouagadougou qu’il désengorge, est devenu l’autre cur institutionnel du Burkina et du pouvoir. Depuis, en fait, que le chef de l’État Blaise Compaoré – qui fêtera ses vingt ans de pouvoir le 15 octobre prochain – s’est installé dans sa nouvelle résidence de Kossiam. Un premier bâtiment, encore en travaux, abrite la partie administrative et les bureaux des conseillers. Un second, une centaine de mètres plus loin, accueille les appartements privés du couple Compaoré et de leur fille, Mimi. Là encore, les travaux de finition se poursuivent, supervisés par Chantal, l’épouse franco-ivoirienne née Terrasson de Fougères rencontrée chez le président Félix Houphouët-Boigny. Autour de cette « ville dans la ville », la sécurité se fait discrète. Pas plus d’une demi-douzaine de militaires visibles, les armes rangées. Il faut dire qu’une caserne de la garde présidentielle veille à un jet de pierre
Né le 3 février 1951, à Ziniaré, un village au nord-est de Ouaga, Blaise Compaoré a tout du caméléon. Il s’adapte quasi instantanément à son environnement, évolue en fonction du contexte ou des objectifs qu’il se fixe. Pragmatique, adepte de la Realpolitik mais jaloux de son indépendance, il peut afficher des visages extrêmement différents – angélique ou sévère -, des attitudes ou des postures opposées : impassible ou passionné, décontracté ou grave, c’est selon.
Ceux qui le connaissent disent de lui qu’« il ne fait pas de sentiment ». L’ambition, qui l’anime, ne peut s’embarrasser d’états d’âme Et l’ancien parachutiste qu’il est aime la stratégie et l’action, pas les longs discours. Encore moins les interviews. Mais éteignez le magnétophone placé devant lui et il vous contera mille souvenirs et anecdotes de ses années de pouvoir. Mieux, s’il est vraiment en forme, il les ponctuera d’imitations de Gnassingbé Eyadéma, d’Omar Bongo Ondimba et de bien d’autres.
Blaise Compaoré nous a reçu en tenue décontractée, pantalon de lin blanc impeccable, chemise bleue et mocassins. S’il ne s’est pas montré très à son aise, comme on pouvait s’y attendre, il n’a cherché, au cours de l’interview, à éluder aucune question. En passionné de football – il est véritablement incollable sur le sujet -, il s’est contenté de quelques feintes de corps et de dribbles savamment distillés. Ainsi n’en saurons-nous pas beaucoup plus sur les deux morts célèbres sous son ère, Thomas Sankara et Norbert Zongo, si ce n’est que ce sont des « affaires non élucidées comme cela arrive ailleurs ». Deux ombres sur son parcours, même s’il n’a jamais été établi que Compaoré ou les siens pouvaient être mêlés à ces crimes. Reste le soupçon et cette phrase de Thomas Sankara interrogé par des journalistes européens quelques semaines avant sa mort : « Le jour où vous apprendrez que Blaise prépare un coup d’État contre moi, ce ne sera pas la peine de chercher à vous y opposer ou même à me prévenir. Il sera trop tard. » Propos prémonitoires ?
Sur le dossier ivoirien, il a fait montre d’une prudence extrême, estimant que rien n’est réglé, qu’« il reste beaucoup de travail ». Des propos qui tranchent avec l’optimisme, entre autres, du président ivoirien Laurent Gbagbo, pressé d’en « découdre » avec ses adversaires Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara lors de l’élection présidentielle. Gbagbo-Compaoré : l’eau et le feu, le tribun et l’introverti, deux des principaux acteurs de la scène politique ouest-africaine, deux frères devenus ennemis, avant de se réconcilier. En attendant la suite
Les accusations de soutien à certains opposants de la sous-région et à Charles Taylor ? Il « assume ». Et dit ne rien craindre du procès à venir de l’ancien dictateur libérien. Enfin, Blaise Compaoré acceptera d’aborder avec nous des questions aussi diverses que l’évolution des relations entre l’Afrique et la France, l’avenir de l’Union africaine, le projet de commandement militaire américain sur le continent, sa proximité avec Taiwan ou la montée en puissance de la Chine. Sans oublier de nous en dire un peu plus sur ses relations avec Laurent Gbagbo, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou Mouammar Kadhafi.
Celui qui préside aux destinées du Burkina depuis vingt ans est un personnage complexe. Mossi, militaire et politique : il allie l’autorité du chef, le souci de la discipline mais aussi l’art du compromis. Facilitateur des accords de paix de Ouaga du 4 mars dernier, médiateur dans la crise togolaise entre Faure Gnassingbé et l’opposition, observateur attentif de la transition guinéenne, Blaise Compaoré revêt aujourd’hui les habits neufs d’un pacificateur, soucieux de son image et de la paix en Afrique de l’Ouest. Après ceux, moins seyants, de trublion, d’agitateur ou de boutefeux. Révolutionnaire puis rectificateur, homme d’extrême gauche avant de se convertir au libéralisme, jeune capitaine dans son fief de Pô et aujourd’hui chef d’État élu, craint et respecté, Blaise Compaoré a connu de multiples vies. Prochaine étape ? 2015 et le terme constitutionnel de sa présidence. Après, ce sera, encore, une autre histoire
Jeune Afrique : Vous allez célébrer, ce 15 octobre, le vingtième anniversaire de votre accession au pouvoir. Quel bilan personnel dressez-vous de cette période ?
BLAISE COMPAORÉ : Mon pays se modernise et a accompli d’importants progrès tant sur le plan démocratique que social. Ce n’était pas évident au départ. En vingt ans, le Burkina est devenu stable, paisible, uni et respecté au sein de la communauté internationale.
De quoi êtes-vous le plus fier ?
De l’adhésion des Burkinabè.
Vous éprouvez bien, tout de même, des regrets ?
Bien sûr, mais l’essentiel est d’avancer. Et j’assume tout ce que je fais.
Vingt ans, c’est long. Vous sentez-vous usé ?
Absolument pas, au contraire. Vous savez, l’évolution du monde, des technologies, des aspirations de la jeunesse fait que la situation actuelle est plus compliquée, plus mouvante. Tout va plus vite et nécessite plus d’efforts. Ce n’est plus comme il y a vingt ans, il faut s’accrocher
La Constitution limite le nombre de mandats présidentiels à deux, ce qui ferait de vous, en cas de réélection, un jeune retraité de la politique en 2015 [il aura 64 ans, NDLR]. Envisagez-vous une autre vie après le pouvoir ?
2015, c’est loin Je n’y pense pas encore. Mais il y a tellement à faire un peu partout, en Afrique comme ailleurs, que j’imagine très bien que l’on puisse faire autre chose que de la politique.
Verriez-vous un inconvénient à ce que votre frère et conseiller François brigue votre succession ?
Oui, certainement.
On vous présente souvent, entre autres, comme un président bâtisseur. Les projets et les chantiers se multiplient dans différents domaines, qui vont des infrastructures à la santé. Certains trouvent que cela fait beaucoup
Tous ces projets, qui avancent normalement, faut-il le préciser, répondent évidemment à une nécessité de renforcer nos infrastructures. Le Burkina a besoin de voies de communication et que l’on soutienne son développement.N’est-ce pas trop pour les finances du pays ?
Absolument pas. Notre pays est bien géré. Nos recettes propres couvrent largement nos dépenses courantes et dégagent même des excédents. À partir de là, il est facile d’investir dans ces projets et d’attirer des partenaires qui ont confiance en nous.
La Cour des comptes vient justement de rendre un rapport assez sévère sur la gestion du secteur des travaux publics, mais aussi sur celle de la municipalité de Ouaga. Y aura-t-il des sanctions ?
Ce n’est pour l’instant qu’un rapport. Il nous faut maintenant mener notre enquête, déterminer les causes et les coupables. Si les règlements n’ont pas été respectés, il y aura évidemment des sanctions.
L’augmentation des prix du carburant provoque un certain mécontentement au sein de la population et suscite des mouvements sociaux. Le Burkina s’est enrichi, mais reste très mal classé en termes de développement humain. Parallèlement, une importante classe d’affaires s’est constituée. Avez-vous conscience de cette fracture ?
Je ne connais pas de pays où la création de richesse profite en même temps et à tout le monde de la même manière. Ce qui est important, c’est de donner à la majorité des Burkinabè la possibilité de créer des ressources. Cela signifie mettre en place les conditions pour chacun de vivre de son travail.
Il faut rappeler que le Burkina n’est pas un pays nanti et que nous faisons ce que nous pouvons. Je ne dis pas que tout va bien, mais il n’y a rien d’alarmant. D’ailleurs, toutes les données montrent que nous progressons. Cela vaut pour la croissance économique, mais aussi pour le recul de la pauvreté, l’éducation, la santé, etc.
Enfin, l’augmentation importante du prix du carburant, puisque vous l’abordez, ne dépend pas de nous. Je n’y peux rien si nous ne produisons pas de pétrole
Vous avez mené la Révolution, puis la Rectification. Vous êtes passé de l’extrême gauche à ce que l’on pourrait appeler le libéralisme à l’africaine. Comment vit-on ce parcours ?
Tout converge vers un seul but : uvrer pour le pays. Les méthodes diffèrent, certes. La Révolution, par exemple, voulait libérer les Burkinabè et rendre le pays meilleur. Je me suis ensuite rendu compte que nous avions commis beaucoup d’erreurs. Et autour de nous, le monde évoluait. Il a donc fallu que, nous aussi, nous changions. Mais l’objectif restait le même.
L’opposition burkinabè semble affaiblie, presque absente. Ki-Zerbo n’est plus, Herman Yaméogo ou Gilbert Ouédraogo vont et viennent au hasard des gouvernements et sont difficiles à classer. On a l’impression que ce sont désormais les syndicats qui jouent ce rôle
C’est vous qui le dites. Moi, ce qui m’intéresse, c’est que chacun puisse exprimer librement ses opinions, qu’il s’agisse de partis politiques, d’organisations syndicales ou de simples citoyens. Le reste
Votre parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès, est le théâtre de tiraillements, voire de tensions. Notamment entre votre ministre d’État, Salif Diallo, et votre frère François Compaoré. N’est-ce pas gênant ?
Ces tensions existent dans tous les partis politiques. Il peut y avoir des divergences d’idées, et c’est normal, mais aussi des incompatibilités d’humeur. Quand je travaille avec Salif et François, je ne constate pas ces problèmes. En tout cas, ils ne perturbent pas notre action. Et je remarque que dès qu’on entend le mot élection, tout le monde se rassemble
Certains fêtent vos vingt ans de pouvoir pendant que d’autres commémorent le vingtième anniversaire de la disparition de Thomas Sankara. L’activisme des nostalgiques de Sankara vous gêne-t-il ?
Au contraire, cela signifie que le pays est libre.
On vous reproche de ne pas rendre suffisamment hommage à sa mémoire
Ce pays a été dirigé par plusieurs chefs d’État, qui l’ont géré avec des fortunes diverses. Nous souhaitons ériger un monument à leur mémoire. À tous et pas seulement à Thomas Sankara.
À vos yeux, quel héritage a-t-il laissé au Burkina ?
La Révolution. C’était une expérience historique, unique. Elle a cependant montré ses limites : quand les libertés n’accompagnent pas le mouvement, cela ne peut pas marcher. Il vaut mieux vivre dans le Burkina d’aujourd’hui, même avec des difficultés matérielles, en jouissant de la liberté de presse, d’opinion, d’association, etc.
Thomas Sankara et, plus récemment, Norbert Zongo constituent les deux morts célèbres de l’ère Compaoré. Saura-t-on jamais la vérité sur ces assassinats ?
Je ne crois pas que le Burkina soit le seul pays à connaître des affaires non élucidées. Pour Thomas, l’enquête n’a pas abouti, dans un contexte, à l’époque, d’État d’exception. Pour Norbert Zongo, c’est également le cas, même si le dossier n’est pas clos.
Le Compaoré sulfureux – qui abritait les opposants de la sous-région, était accusé de soutenir Jonas Savimbi ou Charles Taylor, de déstabiliser le Togo d’Eyadéma, la Côte d’Ivoire de Gbagbo ou la Mauritanie d’Ould Taya – semble avoir fait place à un Compaoré pacificateur, notamment en Côte d’Ivoire, au Togo, en Guinée où vous intervenez en qualité de médiateur. Qu’est-ce qui a provoqué cette métamorphose ?
Tout d’abord, on m’a souvent accusé sans preuve, comme en Mauritanie. Les problèmes d’Ould Taya étaient internes et on pouvait d’ailleurs pressentir ce qui lui est arrivé [il a été déposé lors du coup d’État du 3 août 2005]. Le Burkina n’a rien à voir là-dedans et n’y avait d’ailleurs aucun intérêt particulier.
Ensuite, en ce qui concerne les opposants qui se réfugieraient à Ouaga, je ne vois pas bien où se situe le problème. Nous sommes un pays libre, ouvert, qui accueille les citoyens étrangers qui en émettent le souhait. Je ne vois pas pourquoi nous refuserions de les accueillir sous prétexte qu’ils sont opposants dans leur propre pays ! La vraie question, d’ailleurs, serait plutôt « pourquoi ne peuvent-ils pas rester chez eux ? ».
Enfin, vous me parlez de métamorphose, mais je reste le même homme ! Moi, quand j’aime ou quand je n’aime pas quelqu’un, je ne m’en cache pas. Taylor, oui, je l’ai soutenu, et je n’étais pas le seul. À l’époque, il luttait contre un dictateur, Samuel Doe. Mes opinions m’ont amené à soutenir des personnes et, surtout, la plupart du temps, des causes. J’assume.
Où en est le processus de paix en Côte d’Ivoire depuis la signature de l’accord de Ouaga, le 4 mars dernier ?
Nous avons encore beaucoup à faire. Il faut, d’abord, plus de volonté de la part des parties. Ensuite, il reste quelques obstacles techniques à surmonter. Ainsi, notre programme prévoyait le début des audiences foraines pour le 22 avril. Elles n’ont commencé que fin septembre
Cela tranche avec l’optimisme exprimé par le chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo dans l’interview qu’il nous a accordée début septembre [voir J.A. n° 2436, ?16-22 septembre] et dans laquelle il a déclaré que les élections pourraient se tenir en décembre 2007
En tant que facilitateur, je me dois d’écouter toutes les parties. Mais la date des élections sera fixée par la Commission électorale indépendante.
Elle a récemment, quant à elle, évoqué l’échéance d’octobre 2008
C’est plus raisonnable, vu l’état d’avancement de notre programme. Mais il n’est pas exclu que nous allions plus vite. À condition, encore une fois, d’y mettre plus de bonne volonté.
La réintégration des Forces nouvelles [FN] au sein de l’armée nationale et la conservation de leurs grades constituent un autre écueil. Où en est-on ?
J’ai récemment reçu les différents chefs d’état-major concernés [Forces nouvelles, Fanci, Onuci et Licorne, NDLR] et les commandants de zones. Nous poursuivons nos discussions et je formulerai des recommandations d’ici peu.
Laurent Gbagbo a réitéré son opposition totale à la conservation des grades des FN. Qu’en pensez-vous ?
Nous verrons.
Vous avez été, tour à tour, présenté comme le principal soutien de Laurent Gbagbo dans les années 1990, puis comme son pire ennemi depuis 2002. Quels sont vos rapports aujourd’hui ?
Comme il vous l’a dit dans l’interview qu’il vous a accordée en faisant allusion au couple qui divorce et se remarie [rires]. Plus sérieusement, aujourd’hui, nos relations se sont normalisées.
Pourquoi alors cette « brouille » ?
Je crois que quand il est arrivé au pouvoir, en 2000, des personnes mal intentionnées lui ont affirmé que le Burkina avait d’autres choix politiques que lui en Côte d’Ivoire.
C’est-à-dire ?
En clair, que nous ne voulions pas de lui et que nous préférions Alassane Ouattara.
Et c’était faux ?
Bien sûr. Nous sommes voisins. Le Burkina ne peut se déplacer vers la Tunisie ou la Zambie [sic]. Nous n’avons aucun intérêt à provoquer une crise dans ce pays. Nous sommes condamnés à nous entendre avec les Ivoiriens, quels qu’ils soient. Cela dit, je n’ai jamais ressenti une très grave détérioration de nos relations personnelles. Et je persiste à croire que son entourage a beaucoup fait pour le persuader de notre animosité à son égard
On vous a souvent présenté comme le mentor de Guillaume Soro. Pensez-vous qu’il a un avenir de président ?
Soro est un jeune frère. Nous nous connaissons bien, nous nous apprécions mutuellement et partageons souvent les mêmes vues. Quant à son avenir, il a suffisamment à faire avec sa mission actuelle avant de penser à ce qui pourra se passer dans cinq ou dix ans. D’ailleurs, qui aurait cru il y a dix ans qu’il serait un jour Premier ministre ?
Vous avez mené une autre médiation, au Togo cette fois. Le pays est-il sorti de la crise ?
Il organise des élections législatives dans les prochains jours. Nous sommes en tout cas sur la bonne voie. Restons cependant vigilants.
Comment expliquez-vous que vous ayez eu de mauvaises relations avec Gnassingbé Eyadéma et que vous vous entendiez très bien avec son fils Faure ?
Ah, les journalistes Cela ne s’est pas toujours mal passé avec Eyadéma, mais il est vrai que nous avons eu des moments d’incompréhension. Faure, je ne le connaissais pas avant qu’il accède au pouvoir. Pour le reste, c’est une question de personnalités.
Une autre crise se profile à l’horizon, au Mali et au Niger avec la question touarègue qui revient avec acuité. Que faire ?
La seule solution consiste à tout mettre sur la table et à dialoguer. Les accords passés doivent être étudiés, point par point. Il faut déterminer ce qui a été respecté et ce qui ne l’a pas été. Seul le dialogue ramènera le calme.
Comment analysez-vous l’évolution de la Guinée depuis la nomination d’un nouveau Premier ministre de transition, Lansana Kouyaté ?
L’apaisement l’a emporté et c’est déjà beaucoup. Les perspectives, avec la possible organisation d’élections législatives, sont plutôt bonnes.
Comment avez-vous vécu le départ de Jacques Chirac ? Comme une page qui se tourne ?
Je crois que nous y étions préparés [rires] Je n’ai pas vécu cela comme un événement, en tout cas. Les relations avec la France sont multiples, complexes, mais étroites. Et elles ne dépendent pas d’un seul homme.
L’actuel locataire de l’Élysée, Nicolas Sarkozy, prône une nouvelle approche des relations entre la France et l’Afrique. Il parle même de rupture. Ce discours vous convient-il ?
Il faut dire qu’il est naturel que nos relations évoluent. Le monde entier a considérablement changé en trente ans. La France n’est plus ce qu’elle était et l’Afrique non plus. En outre, de nouvelles puissances émergent. Bref, le contexte rend cette évolution inéluctable. Quant à savoir, maintenant, si ces relations évolueront dans le bon sens, il est trop tôt pour le dire.
Qu’avez-vous pensé du discours prononcé à Dakar, le 26 juillet dernier, par Nicolas Sarkozy ? Beaucoup d’Africains ont été choqués par ses propos
J’essaie de passer outre les propos. Je comprends que cela ait pu choquer des étudiants, des membres de la société civile africaine. Mais dans mes fonctions, en tant que chef d’État, on ne peut s’attarder sur cela. De plus, il m’arrive moi-même de critiquer les Européens ou les Américains en des termes peu sympathiques
Avez-vous des contacts avec Nicolas Sarkozy ?
Pas directement.
La justice française s’intéresse de très près à un certain nombre de chefs d’État africains. Vous faites l’objet d’une plainte, aux côtés d’Omar Bongo Ondimba et de Denis Sassou Nguesso, dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis. On vous reproche d’avoir acheté des biens en France avec de l’argent d’origine douteuse. Qu’en pensez-vous ?
J’en ai entendu parler à propos de Bongo et de Sassou, mais je ne savais même pas que j’étais concerné De toute façon, n’importe qui peut déposer plainte en justice. Cela ne prouve en rien la culpabilité de l’accusé, que je sache.
Possédez-vous des biens en France ?
Je n’y ai jamais vu d’intérêt particulier, donc non. Maintenant, je ne vois pas en quoi cela serait gênant. Un de vos confrères a écrit dans un livre que je possédais une propriété à La Celle-Saint-Cloud. Eh bien cette maison appartient à l’État burkinabè depuis l’indépendance ! On peut tout dire, tout écrire On a même dit que l’avion présidentiel m’appartenait ! Soyons sérieux. Nous vivons dans un monde ouvert. Si cela me chantait, je pourrais avoir un appartement en Europe, par exemple. Un Français peut avoir des propriétés en Afrique, et pourquoi pas un Africain en France ?
Craignez-vous les révélations du procès de Charles Taylor, qui doit reprendre à La Haye ?
Non, pas du tout. Vu les chefs d’inculpation évoqués et le fait que cela concerne la Sierra Leone, je ne vois pas en quoi cela peut nous inquiéter.
Quel regard portez-vous sur le débat autour de la colonisation française ?
Politiquement, c’est un débat éternel. De mon point de vue, il s’agit d’un travail d’historien. Maintenant, si vous me demandez ce que je pense de la colonisation, c’était un mal tout simplement, une occupation. Demandez aux Français si l’occupation allemande a eu des effets positifs
Vous faites partie des cinq derniers États africains à reconnaître Taiwan et à avoir d’importantes relations économiques et politiques avec elle. Tous les autres ont cédé aux sirènes de Pékin. Pourquoi ?
D’abord, parce que nous partageons les mêmes valeurs de liberté et de démocratie. Ensuite, parce que nous sommes tout à fait satisfaits de la nature de nos relations avec les Taïwanais. Ils nous aident énormément, n’ont qu’une parole, sont fidèles et sérieux, forment des gens au Burkina Pourquoi devrais-je rompre avec Taiwan ? Au prétexte que la Chine refuse de collaborer avec des pays qui reconnaissent Taiwan ? Ce n’est pas ma conception. Nous aimerions avoir des relations avec les deux, mais c’est la Chine qui ne veut pas.
L’intérêt marqué et récent de la Chine pour l’Afrique est-il une bonne chose pour le continent ?
Ce sera bénéfique s’il y a transfert de technologies, si les Africains en retirent autre chose que de l’argent ou des infrastructures qu’ils ne seraient même pas capables d’entretenir par la suite. Et si ce partenariat dépasse le cadre des matières premières et du commerce.
Êtes-vous favorable au projet de commandement militaire américain en Afrique [Africom] ?
Le danger c’est, au regard de la faiblesse de nos États, que des groupes terroristes utilisent l’Afrique comme base arrière pour frapper ailleurs. Je crois que le projet américain, dont je ne connais cependant pas les contours exacts, s’inscrit dans ce cadre. Si c’est le cas, je n’y vois pas d’inconvénient, surtout si c’est dans l’intérêt de l’Afrique, dans un partenariat ouvert.
Le dernier sommet de l’Union africaine [UA] a consacré un nouvel échec dans la marche vers l’intégration africaine. Croyez-vous aux États-Unis d’Afrique, chers à votre ami Kadhafi ?
Que nous souhaitions plus d’intégration, c’est un sentiment partagé par l’ensemble des Africains. Mais la réalité, c’est que le continent est loin d’être homogène. Il y a trop de différences et de disparités pour décréter que nous pouvons créer rapidement les États-Unis d’Afrique. Appuyons-nous sur les structures régionales, développons-les, dotons-les d’outils et d’institutions efficaces. Ensuite, nous verrons vers quelle étape supérieure nous pourrons aller.
Vous connaissez bien le « Guide » libyen, qui est passé du statut de paria à celui de personnage redevenu fréquentable et courtisé. Pensez-vous que Kadhafi a réellement changé ?
Tous les hommes et, donc, tous les dirigeants évoluent. Ce qui ne signifie pas forcément changer sur le fond Sur le plan des valeurs, par exemple, c’est le même homme. Il s’est simplement adapté au contexte.
Et vous, avez-vous changé au contact du pouvoir ?
[Il réfléchit longuement] Non
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