Oussama Ben Laden

Deux ans après les attentats du 11 septembre, le chef terroriste le plus recherché au monde continue de défier l’Amérique. Histoire d’une traque sans fin.

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 7 minutes.

«J’aimerais apporter à tous les musulmans du monde de bonnes nouvelles. Cheikh Oussama va bien, très bien, et le mollah Omar est également en vie. » Diffusé le 17 août, le dernier enregistrement en date attribué à un porte-parole d’el-Qaïda a été accueilli au siège de la CIA, à Langley, en Virginie, avec un mélange d’agacement et de résignation. Deux ans après les attentats terroristes du 11 septembre – le « mardi saint », selon la terminologie islamiste radicale -, George W. Bush et son entourage ne mentionnent plus que contraints et forcés le nom de Ben Laden en public. Même omerta d’ailleurs pour ceux du mollah borgne et, déjà, de Saddam Hussein. Embarrassé, le président américain a dû concéder lors d’un point de presse en juin dernier que la simple localisation de celui qu’il qualifiait de « recherché, mort ou vif » pourrait prendre « des années ».

À l’évidence, ni la récompense promise de 25 millions de dollars, ni les avions espions, ni les opérations commandos tout le long des 1 500 km de frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan, ni l’argent déversé au sein des tribus, ni le décryptage de milliers de conversations téléphoniques, ni la surveillance étroite de l’Internet n’ont encore produit le moindre résultat en ce qui le concerne. Certes, en collaboration avec les services pakistanais, la CIA a mis la main sur un peu plus du tiers de la direction d’el-Qaïda. Certaines « prises » comme Abou Zoubeïda, Ramzi Binalchibh et surtout Khaled Cheikh Mohamed, considéré comme le numéro trois de l’organisation terroriste, sont de gros, voire de très gros poissons. Mais aucun d’entre eux ne semble avoir livré des renseignements significatifs sur Ben Laden, sur son second Ayman el-Zawahiri, sur son chef de sécurité Saïf el-Adil, sur son porte-parole Souleiman Abou Ghaith, sur son conseiller spirituel Abou Hafs el-Mauritani, voire sur son épouse Oum Abdallah et sur la plupart de ses enfants.
Si les Américains ont désormais la quasi-certitude que cet homme de 47 ans, que ses fidèles appellent Cheikh Oussama ou Cheikh Abou Abdallah, est toujours vivant, le reste relève du domaine de la spéculation. Selon des informations fragmentaires, Ben Laden se déplacerait sans cesse, parfois en compagnie du mollah Omar, dans les zones tribales pachtounes des confins pakistano-afghans. Il ne voyagerait que de nuit, communiquerait ses ordres exclusivement par messages écrits et serait protégé par un triple cercle de défense : une population locale sympathisante, des chefs tribaux à la fois acquis et rétribués et des gardes du corps parmi lesquels figureraient cinq de ses fils. Selon une rumeur courante à Peshawar, Ben Laden aurait fait jurer à ces derniers de « faire de lui un martyr plutôt que de permettre qu’il soit capturé en vie ». Afin de ne pas être repéré au Pakistan, où il est traqué, le cheikh ne se déplacerait qu’avec un entourage restreint. Lorsqu’il passe la frontière afghane, sa garde serait renforcée de plusieurs dizaines de combattants talibans prêtés par le mollah Mohamed Omar.

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Sans que l’on sache très bien si c’est par prudence ou pour cacher une blessure, Oussama Ben Laden a renoncé à tout enregistrement vidéo depuis le 26 décembre 2001, date de la diffusion de sa dernière cassette sur Al-Jazira. Il utilise depuis les cassettes audio, les fax écrits de sa main et les courriels. C’est ainsi qu’il a pu envoyer un message, dont l’authenticité a été vérifiée, à sa mère, qui vit au Liban, souhaiter un bon Aïd à quelques fidèles ou présenter ses condoléances à certaines familles de « martyrs ». Sur des sites éphémères, connus en cercles fermés et rapidement clos, des militants et sympathisants d’el-Qaïda lui écrivent sans cesse, depuis les pays arabes, l’Europe, l’Indonésie, les Philippines et même l’Amérique latine. Le plus souvent, des réponses parviennent, signées de lui, truffées de citations du Coran. Certains de ses correspondants demandent de simples conseils spirituels, d’autres son approbation pour telle ou telle opération terroriste. Ben Laden n’est d’ailleurs pas le seul à communiquer de la sorte. Le mollah Omar, lui aussi, a ses adresses électroniques. De source policière marocaine, c’est après l’avoir consulté et obtenu sa bénédiction que certains des kamikazes du 16 mai 2003 à Casablanca ont accompli leur « mission »…
Pourquoi Oussama Ben Laden demeure-t-il insaisissable, au point de prendre l’allure d’un mythe auprès de millions de musulmans à travers le monde ? La CIA a sa réponse toute simple : depuis l’invasion, puis l’occupation de l’Irak, ses meilleurs éléments, ainsi que les « commandos de chasse » des forces spéciales les plus affûtés ont été distraits de Kaboul vers Bagdad. Question de moyens, en somme, et de priorités. Reste qu’il existe d’autres explications, moins avouables. Si Ben Laden est introuvable, c’est aussi parce que, à l’instar de Saddam Hussein, il est protégé, aidé, caché par un véritable réseau de complicités. Ses amis talibans sont ainsi en pleine résurrection, deux ans après leur déroute. De plus en plus actif dans le sud et l’est de l’Afghanistan, le mouvement du mollah Omar recrute des volontaires, assassine des « collaborateurs » et tente de reconquérir les coeurs des tribus pachtounes en jouant sur la diplomatie et la conviction. L’Iran est ambigu, officiellement hostile, officieusement tolérant, en réalité extrêmement poreux notamment dans ce triangle des Bermudes qu’est sa zone frontalière commune avec le Pakistan et l’Afghanistan – le Baloutchistan. Là, il suffit de 200 dollars glissés dans la poche d’un douanier pour faire passer n’importe quel membre d’el-Qaïda. Le Pakistan, enfin, allié des États-Unis dans leur lutte contre Ben Laden, joue un jeu trouble.

Des questions se posent en effet sur la profondeur de l’engagement du général-président Pervez Musharraf dans cette affaire. Certes, la police pakistanaise a elle-même procédé à l’arrestation, tant à Karachi qu’à Islamabad, Peshawar ou Rawalpindi, de plusieurs chefs d’el-Qaïda, livrés ensuite aux Américains. Mais aucune opération militaire d’envergure n’a été menée par l’armée à l’intérieur des zones tribales où se dissimulerait Ben Laden. Pourtant experts en rasages de villages, tortures et terres brûlées, les militaires pakistanais hésitent curieusement à pénétrer dans ces régions de non-droit où sévissent les contrebandiers. Les sympathies dont jouissent toujours les talibans au sein des services pakistanais – l’organisation du mollah Omar a, on le sait, été virtuellement créée par l’Inter-Services Intelligence, l’ISI, pour lutter contre les Soviétiques – expliquent en partie cela. Les liens entre les talibans et el-Qaïda sont à ce point étroits que cette dernière ne peut que profiter de cette connivence, d’autant que Ben Laden et ses hommes connaissent bien le Pakistan où ils évoluaient dans les années 1990 presque comme des poissons dans l’eau.
Explication complémentaire : le souci du président Musharraf de ménager une opposition islamiste interne en plein essor, notamment dans le Nord-Ouest à dominante pachtoune où le mollah et le cheikh sont des héros locaux. Explication cynique : la situation actuelle, qui permet au régime pakistanais d’obtenir l’aide économique, politique et diplomatique des États-Unis au nom de la lutte contre le terrorisme, est pour le général Musharraf un don du ciel qui se perpétuera tant que Ben Laden sera en vie. D’où l’intérêt de l’y maintenir…

Monnaie d’échange pour les uns, cauchemar pour d’autres, Oussama Ben Laden représente-t-il encore, deux ans après le World Trade Center, un danger ? Certains pensent qu’el-Qaïda est devenue une organisation à ce point éclatée et décentralisée, affaiblie aussi par les assassinats et les arrestations, que la capture ou la mort de son fondateur ne signifierait plus grand-chose. Devenu immatériel et de plus en plus démédiatisé, Ben Laden serait désormais un trophée potentiel pour ceux qui le traquent, rien de plus. Un jugement avec lequel les experts en contre-terrorisme sont en total désaccord : eux voient l’ombre du cheikh derrière les attentats de Riyad et de Casablanca en mai et de Bombay fin août. Ils estiment aussi que le chaos irakien produit chaque jour ou presque de nouvelles opportunités d’action et de recrutement pour el-Qaïda. Le plus vraisemblable est donc que les opérations visant à neutraliser l’ennemi numéro un de l’Amérique continuent inlassablement dans les mois, voire les années à venir, en dépit des échecs prévisibles et jusqu’à exécution finale.

La première a eu lieu en août 1998. Le président Bill Clinton avait pour les besoins de la cause signé une directive secrète autorisant la CIA à tuer Ben Laden et même à abattre sans sommations tout aéronef privé le transportant, lui ou ses lieutenants. Soixante missiles Tomahawk lancés depuis des navires croisant dans l’océan Indien s’abattirent sur des camps d’entraînement d’el-Qaïda non loin de Khost en Afghanistan. Vraisemblablement informé par un haut responsable pakistanais de l’ISI – Washington avait prévenu Islamabad de l’attaque 45 minutes avant son déclenchement -, Ben Laden put quitter les lieux au dernier moment. D’autres tentatives eurent lieu avant le 11 septembre 2001, notamment des opérations commandos, qui toutes échouèrent. En novembre 2001, un Predator, avion sans pilote muni de missiles, pulvérise une maison des faubourgs de Kaboul : Mohamed Atef, le chef militaire d’el-Qaïda, est tué. Ben Laden, lui, est déjà parti en direction de l’est. Quelques semaines plus tard, alors que les talibans battent en retraite, les écoutes américaines captent la voix de Ben Laden sur un téléphone satellitaire, dans la région montagneuse de Tora Bora. Des B-52 bombardent grottes et vallées pendant une semaine. Nombre de combattants arabes d’el-Qaïda trouvent la mort au cours de cet enfer, mais le cheikh en réchappe. À pied, à dos d’âne, puis à bord d’un bus, il franchit la frontière paskistanaise, accompagné d’une centaine d’hommes, quelque part au cours de la troisième semaine de décembre 2001. Depuis, le responsable moral, spirituel et politique de la plus extraordinaire – et de la plus effrayante – opération terroriste de tous les temps, est devenu un homme aussi invisible qu’omniprésent.

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